
« L'État apportera un soutien supplémentaire à Air France dans des délais rapides », a assuré ce lundi sur RTL Bruno Le Maire. Par nouveau soutien, il faut comprendre la recapitalisation par l'État de la compagnie aérienne française pour renforcer ses fonds propres. Cette aide, liée à une première accordée en mai dernier sous forme d'un prêt direct de l'Etat français à la maison-mère Air France-KLM (mais fléché Air France), d'un montant de 3 milliards d'euros, et assortie d'une garantie sur un prêt bancaire de 4 milliards d'euros. Car cette recapitalisation vise à renforcer les capitaux propres et le bilan de la compagnie en convertissant la dette liée au prêt d'actionnaire de 3 milliards d'euros en obligations hybrides, lesquelles, dans le schéma choisi par le groupe, sont considérées comme des capitaux propres et non comme de la dette.
Un montage complexe
Cette conversion permettrait de renforcer les fonds propres d'Air France sans augmenter la participation de 14,3% que détient l'Etat dans le capital d'Air France-KLM. Le schéma est le même chez KLM, mais la conversion du prêt de l'Etat néerlandais porte sur un montant moindre d'un milliard d'euros. Là aussi, sans jouer sur le niveau de participation que détiennent les Pays-Bas dans le capital d'Air France-KLM (14%). Ces deux opérations doivent s'accompagner d'une augmentation de capital, dont les besoins sont estimés par certains analystes à moins de trois milliards d'euros. L'Etat français entend bien y participer, mais en se gardant bien de dépasser les 30%, pour éviter de devoir lancer une offre publique d'achat (OPA) sur le reste du capital, comme l'oblige la réglementation française quand ce seuil est franchi. Si le groupe a toujours indiqué qu'il souhaitait réaliser cette opération de renforcement de fonds propres avant son assemblée générale prévue en mai, on n'en est pas encore là.
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Selon nos informations, le dossier a été formellement envoyé à Bruxelles pour validation. Il est aujourd'hui étudié par les services DG concurrence de la Commission européenne qui examine sa conformité avec la règlementation européenne sur les aides d'Etat; et mesure l'impact éventuel sur la concurrence.
Le précédent Lufthansa
Concernant le volet français du dossier en tout cas (chaque Etat négocie pour sa compagnie), les négociations sont tendues entre le camp français et la Commission sur les contreparties demandées par Bruxelles. Notamment celles concernant les créneaux horaires de décollage et d'atterrissage ("slots") que la compagnie française devrait lâcher à Orly, - un aéroport plafonné où tous les créneaux horaires sont déjà distribués -, contrairement à Roissy, où l'absence de restrictions de capacités n'entraîne pas de barrière à l'entrée.
Les discussions sont d'autant plus compliquées pour Air France qu'il existe un précédent. En juin dernier, Lufthansa a dû se résoudre à céder jusqu'à 24 créneaux horaires dans les aéroports de Francfort et de Munich pour permettre aux concurrents de baser quatre avions. Ce qui correspond à 12 vols aller-retour par jour sur chaque aéroport.
L'équivalent des "slots" que possédait Aigle Azur
Selon plusieurs sources, le volume de créneaux demandé à Air France serait « du même ordre ». Ce qui fait bondir la direction de la compagnie. Un volume de 24 créneaux par exemple représente 8.700 créneaux sur une base annuelle, soit peu ou proue le volume des slots laissés vacants par Aigle Azur fin 2019. Air France détenant environ 50% des 250.000 créneaux de l'aéroport d'Orly, la duplication du cas Lufthansa à l'aéroport parisien reviendrait à obliger la compagnie française à restituer près de 7% de son portefeuille de slots. Ce qui est significatif. A noter que les compagnies non communautaires ne peuvent prétendre à des créneaux provenant d'une rétrocession liée à des contreparties sur les aides d'Etat.
Dans le camp français, on fulmine contre ces mesures de sauvegarde « inadaptées » à la crise actuelle.
« Quand tout un secteur traverse une crise majeure et que toutes les compagnies aériennes présentes sur le long-courrier ont été aidées par leur État, qu'elles seraient aujourd'hui mortes sans cela, est-il raisonnable, après avoir accepté ces aides de gêner ensuite les opérateurs, en compromettant leurs chances de se remettre en selle en leur imposant de rendre des créneaux là où elles sont fortes », s'interroge un proche du dossier.
Pour autant, au-delà des questions de principe, on ne voit pas comment Air France pourrait éviter la jurisprudence Lufthansa. Ni KLM d'ailleurs, qui se retrouve dans la même situation. Selon certaines sources, la compagnie néerlandaise est également concernée par cette question de créneaux à Amsterdam Schiphol, aéroport lui aussi plafonné.
Interrogée, la DG Concurrence de la Commission n'a pas voulu faire le moindre commentaire sur le dossier Air France-KLM, mais a tout simplement rappelé que, dans le cadre des aides d'Etat, il existait des mesures de sauvegarde dans de tels dossiers de recapitalisation pour éviter des distorsions de concurrence. Air France-KLM n'a pas souhaité faire de commentaire. En première ligne dans les négociations, Bercy n'a pas répondu à nos sollicitations.
Les négociations peuvent-elles décaler le calendrier de la recapitalisation ? Depuis un an, Air France-KLM promet de présenter une opération de renforcement des fonds propres à la prochaine assemblée générale, en mai prochain. Une chose est sûre, ni Air France ni Air France-KLM n'ont d'échéance légale pour renforcer leurs fonds propres avant le mois de mai, a récemment indiqué dans nos colonnes, la directrice générale d'Air France, Anne Rigail. Selon le code du commerce, les entreprises qui ont enregistré des capitaux négatifs ont en effet deux ans pour se mettre en conformité. Et avant la crise, les fonds capitaux propres d'Air France étaient positifs.
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