[Edward Wilson, DG de Ryanair. Crédit photo: François Lenoir / Reuters]
LA TRIBUNE - Après trois mois d'arrêt, Ryanair reprend ses vols le 1er juillet prochain. Quelle capacité prévoyez-vous de remettre en ligne cet été ?
EDWARD WILSON - Nous remettons 40% de nos capacités en juillet et 60% en août. Nous espérons atteindre un coefficient d'occupation de 50-60% fin août, contre 94% en temps normal. Les gens sont restés chez eux pendant trois mois et ne vont recommencer à voyager que progressivement. Les réservations sont néanmoins très encourageantes, mais elles le sont à des tarifs très bas. L'important est de reprendre les vols.
Que représente la France dans ce programme estival ?
La plupart des destinations sont couvertes. Nous rouvrons 170 lignes cet été, de et vers 27 aéroports français, dont 36 lignes à Marseille, 20 à Bordeaux, et 10 à Toulouse. Les réservations montrent que la France est l'une des destinations les plus recherchées par les voyageurs européens. Parmi les réservations effectuées par les clients français, le Portugal, l'Espagne et l'Italie sont les destinations les plus demandées. Nous avons des avions basés à Marseille, Bordeaux et Toulouse. Leur nombre en opération a temporairement diminué.
Au-delà des deux mois d'été, comment voyez-vous la prochaine saison hiver?
L'hiver sera impitoyable pour le transport aérien. Avec une reprise de l'activité en été, le temps laissé aux compagnies aériennes pour se refaire est très court et ne permettra pas de "subventionner" les opérations pendant l'hiver. Cette période, déjà difficile pour le secteur du transport aérien, le sera assurément davantage cette année. Nous avons perdu 200 millions d'euros au premier trimestre de l'exercice 2020-2021(avril-juin), nous ne mettons en moyenne que 50% de notre offre en juillet et août, aussi est-il difficile aujourd'hui de dire quelle capacité nous mettrons en ligne cet hiver. Il est également difficile de prédire le retour du trafic à son niveau d'avant la crise, sauf à dire qu'il se rétablira avec des tarifs beaucoup plus bas et une rentabilité plus faible. Nous concernant, nous voulons revenir au trafic qui était le nôtre avant la crise le plus rapidement possible. Certes, l'été sera compliqué, mais Ryanair est une entreprise solide. Nous ajustons notre base de coûts. Nous sommes dans une situation meilleure que d'autres compagnies aériennes sous-capitalisées dont la seule issue pendant cette crise est de réduire la voilure.
En France, le groupe Air France va réduire son offre. Avez-vous l'intention de vous développer dans l'Hexagone ?
Quand nous nous développons, nous faisons une étude stratégique de la rentabilité des routes et des bases d'exploitation que nous avons identifiées afin de nous positionner sur les marchés les plus rentables. Beaucoup d'éléments jouent sur la compétitivité. Les taxes en particulier. Si les taxes diminuent en France, cela encouragera à développer le trafic. Dans le cas présent, la décision du gouvernement français de favoriser les compagnies aériennes françaises en ne faisant payer certaines taxes qu'aux compagnies étrangères est une mauvaise nouvelle pour la France parce que cela va pousser les compagnies étrangères à se développer dans d'autres pays. Des pays comme la France, l'Italie, l'Espagne dépendent beaucoup du secteur touristique. Ces pays ont besoin de passagers aériens. Il faut encourager le trafic.
Nous réduisons notre capacité sur tous les marchés et, par conséquent, nous aurons moins de passagers. Mais nous allons recevoir de nouveaux avions au cours des prochains mois. Nous devrons donc définir les endroits où il sera le plus rentable de les opérer. Comme les tarifs des billets d'avion seront inférieurs, les "incentives" des aéroports et des régions devront avoir de la valeur. Si les taxes aéroportuaires diminuent en France, Ryanair ou d'autres compagnies comme Easyjet par exemple, seront probablement en mesure de faire venir plus de passagers.
Certains observateurs prévoient une guerre des prix cet hiver. Partagez-vous cette analyse?
Les difficultés sont vraiment dues au fait que nous sommes en concurrence avec d'anciennes compagnies nationales qui ont obtenu d'importantes aides financières de leur État. Cet argent sera utilisé pour lutter contre les compagnies à bas coûts. Ce qui signifie que les compagnies aériennes qui dépendent de leurs propres ressources comme Ryanair sont désavantagées. C'est un vrai problème pour l'Europe. Que des compagnies aériennes bénéficient d'un traitement spécial va à l'encontre des principes de l'Union européenne. Nous ne voulons pas d'aides. Pourquoi des compagnies en reçoivent automatiquement de leur État en un temps record ? La Commission européenne a approuvé l'aide de 1,2 milliard d'euros accordée par l'État portugais à TAP Portugal en trois heures seulement. En France, Air France a reçu 7 milliards d'euros d'aides en avril alors que, dans le même temps, les compagnies étrangères subissent une discrimination en France puisque, je le redis, seules les compagnies françaises bénéficient d'un report de certaines taxes. C'est fou. Aucun autre pays ne fait ça. En ces moments exceptionnels, les "stimulants" ne nous posent pas de problème, mais ils doivent bénéficier à tout le monde.
Ryanair se plaint des aides d'État, mais son modèle est fondé sur les aides publiques des régions. N'est-ce pas paradoxal?
C'est complètement différent. Il y a beaucoup de désinformation sur ce sujet. Pour lancer des routes européennes, les régions françaises ne décident pas d'accorder des "incentives" pour nous faire plaisir, mais parce qu'il y a un retour sur investissement. Il y a un sens pour les régions d'investir pour faire venir des passagers qui dépensent de l'argent sur leur territoire. Chaque passager de Ryanair ou d'une autre compagnie dépense en moyenne plus de 700 euros dans l'économie locale. C'est une forme de décision commerciale. C'est totalement légitime. Avec ses prix exceptionnellement bas, Ryanair peut faire venir des passagers dans les régions. Les autres compagnies peuvent le faire également car les "incentives" des régions ne sont pas proposés à Ryanair seulement, mais à tout le monde. La difficulté pour les autres compagnies, c'est qu'elles ne peuvent pas -ou ne veulent pas- voler vers des petites villes comme Béziers ou Carcassonne, car leur structure de coûts élevée ne leur permet pas de proposer des bas tarifs. C'est un cercle vertueux : la compagnie est performante et a des coûts bas, lesquels permettent de proposer des bas tarifs et de faire venir des touristes dans des régions, lesquelles nouent des partenariats avec des compagnies comme Ryanair ou d'autres comme Easyjet. Comparé à l'aide reçue par Air France, cela a du sens. Air France, dit à l'État : "On perd de l'argent. Donnez-nous-en s'il vous plaît !" Le secteur du voyage aérien n'est pas systémique. Il survit à la faillite d'une compagnie. Les passagers se moquent d'utiliser ou pas une compagnie nationale. Pourquoi le contribuable doit-il payer pour les maintenir?
Pour la reprise, Ryanair et d'autres compagnies ont demandé aux aéroports de faire de gros efforts sur les redevances aéroportuaires en leur disant que ceux qui accepteraient vos demandes seraient privilégiés. Ont-ils répondu favorablement à vos demandes ?
Nous avons dit aux aéroports que nous souhaitions reprendre nos vols mais, qu'en cette période de crise, une baisse des redevances permettrait de positionner plus de capacités sur leur plateforme. Beaucoup ont été sensibles à cela. Il n'est pas déraisonnable, avec une telle crise, de demander à tous nos fournisseurs de partager une partie des difficultés.
L'Autriche veut interdire que les prix des billets d'avion puissent être inférieurs aux taxes et aux frais réels, soit 40 euros en moyenne par vol dans ce pays ? Qu'en pensez-vous ?
Je pense qu'un contrôle des prix est digne de l'économie de la Corée du Nord. Nous sommes dans le marché unique européen, qui fonctionne sur la concurrence. Son succès repose sur le fait que les consommateurs peuvent acheter des biens qui sont le fruit d'une concurrence entre les acteurs, laquelle concurrence crée des emplois. Les consommateurs ne veulent pas de prix minimum. En Autriche, vous avez les entreprises privées du groupe Lufthansa qui reçoivent des fonds publics de leurs pays [Austrian Airlines, filiale de Lufthansa a reçu 450 millions d'euros d'aide publique, Ndlr], et qui essaient ensuite de mettre fin à la concurrence afin de pouvoir pratiquer artificiellement des tarifs élevés. C'est le retour à l'âge de pierre.
Quel sera le paysage du transport aérien européen après cette crise, et quelle sera la place de Ryanair ?
À long terme, Ryanair deviendra probablement plus fort, mais il faudra du temps pour que le trafic, les prix et la rentabilité reviennent au même niveau qu'avant la crise. Je pense que nous allons poursuivre la consolidation en Europe avec des compagnies aériennes qui ne peuvent pas espérer obtenir d'aides d'État. Quant à l'idée de voir certaines compagnies classiques se renouveler (une nouvelle Air France, une nouvelle Lufthansa, une nouvelle Alitalia), c'est une idée fantaisiste. À long terme, ces compagnies deviendront encore moins performantes. Mais, en raison des aides d'État, il va y avoir une distorsion de concurrence pendant plusieurs années. Pendant cette période, ces compagnies vont essayer d'éliminer la concurrence. Elles ne parviendront pas à éliminer Ryanair, mais cela va clairement affecter notre capacité à générer des profits. Nous sommes en concurrence avec des compagnies subventionnées.
Au final, il devrait y avoir quatre grands groupes de compagnies aériennes, peut-être cinq, comme Air France-KLM, Lufthansa, IAG et Ryanair. Les autres vont bientôt s'effondrer ou rejoindre l'un de ces groupes. Je pense que la part des voyages à bas prix augmentera au cours des cinq prochaines années et qu'il n'y a aucune raison pour que, demain, Ryanair n'ait pas 20% du marché intra-européen (15% environ aujourd'hui), voire davantage si les compagnies classiques réduisent leur présence sur les vols court et moyen-courriers.
Vous ne citez pas Easyjet dans les quatre groupes ?
Easyjet fait marche arrière. Des livraisons d'avions ont été décalées. Et quand vous devenez plus petit, vous allez probablement finir dans un autre groupe aérien.
Ryanair a annoncé la suppression de 3.000 postes. Quelles sont les autres mesures de réduction de coûts que vous avez décidées ?
Nous avons demandé des efforts à nos fournisseurs de services aux aéroports... Nous sommes en discussion avec les syndicats pour réduire de 10% les salaires des personnels de cabine et de 20% pour ceux des pilotes pendant quatre ou cinq ans. C'est ce que nous négocions en France avec les syndicats. Si nous ne pouvons pas sécuriser cette baisse salariale, il pourrait y avoir plus de suppressions de postes car cela nous rendrait moins performants. En France, nous avons actuellement un sureffectif parmi les personnels de cabine qui rend nos bases françaises moins performantes que d'autres ailleurs en Europe. Si nous ne parvenons pas à trouver un accord sur les salaires, ce sureffectif pourrait devenir plus important en cas de réallocation des capacités vers d'autres bases.
Cette baisse temporaire des salaires pendant cinq ans, n'est-ce pas une mesure excessive?
Ce sont des négociations. C'est notre position. À l'issue de cette période, les salaires seront rétablis intégralement. Le principal message que je souhaite faire passer est le suivant : nous savons tous que la crise est profonde, que nous sommes une entreprise privée, que nous n'avons pas d'aides d'État, donc tout le monde doit faire un effort pendant cette période. Négocions cela. Lorsque le trafic et la rentabilité reviendront, nous pourrons rétablir les salaires et les emplois. Nous voulons préserver le plus grand nombre d'emplois possible, parce que nous allons continuer de croître.
Avec une commande de 210 appareils, Ryanair est l'un des plus importants clients du 737 MAX, cloué au sol depuis 15 mois après deux accidents mortels. Quand comptez-vous recevoir le premier exemplaire ?
Je pense que le premier vol de certification aux États-Unis devrait avoir lieu prochainement. La mise en service pourrait par conséquent intervenir en septembre aux États-Unis. En Europe, la certification devrait intervenir d'ici à la fin de l'année. Aujourd'hui, nous n'avons pas besoin d'avions supplémentaires pour cet hiver. En revanche, nous en avons vraiment besoin pour l'été prochain, et le 737 MAX nous permettra à la fois de croître mais aussi de remplacer les avions les plus anciens de notre flotte. Le MAX nous permettra de réduire nos coûts unitaires et nos émissions de CO2, puisqu'il consomme 16% de carburant en moins que le 737-800, et d'avoir 4% de sièges supplémentaires à bord puisque notre version disposera de 210 sièges. À moyen et à long terme, Ryanair sera gagnante avec le MAX.
Ne craignez-vous pas un boycott de l'avion par les passagers ?
Je ne pense pas. C'est un problème de logiciel et non de design, qui est le même depuis des décennies. C'est en effet à peu près le même avion depuis son lancement au milieu des années 1960. Cet avion est le plus sûr au monde en termes de nombre d'accidents. Je pense que les doutes de certains passagers s'estomperont au fur et à mesure de la remise en service de l'avion.
Pour limiter les interactions entre le personnel navigant commercial et les passagers, les ventes à bord, qui représentent une grande partie de vos revenus, ne sont pas recommandées. Comment comptez-vous compenser cette perte ?
Je le dis à nouveau. Nous sommes une entreprise privée. Nous n'irons pas voir les gouvernements en leur disant : "Nous ne pouvons plus vendre à bord, donnez-nous de l'argent, s'il vous plaît". Nous devons trouver le moyen de réduire nos coûts ou de créer d'autres revenus auxiliaires. Ryanair est une compagnie qui a toujours innové. Laissons les passagers revenir à bord, réassurons-les sur les mesures sanitaires que nous prenons dans les avions et, ensuite, travaillons sur de nouveaux produits. On ne peut pas dire : "S'il vous plaît Monsieur Macron, donnez-nous de l'argent parce que nous ne vendons plus à bord".
L'installation du Wifi à bord des avions peut-il être le moyen de compenser la baisse des ventes à bord ?
Le problème du Wifi est que tout le monde en veut, mais de manière gratuite. De plus, son installation entraîne une hausse de 2% de la consommation de carburant et ce n'est pas intéressant en termes d'émission de CO2.
Pensez-vous que le mouvement "Honte de prendre l'avion" puisse se développer au point d'impacter le transport aérien ?
Je pense que la honte de prendre l'avion devrait concerner les contribuables français qui ont volé au secours d'Air France. C'est une honte d'avoir donné de l'argent à une compagnie qui utilise des vieux avions. Ryanair exploite la flotte la plus jeune d'Europe, et son niveau d'émissions de CO2 par passager est le plus faible d'Europe (66g CO2 par passager/kilomètre).
Ryanair a une mauvaise réputation. Il y a quelques années, vous aviez lancé un programme de montée en gamme. Allez-vous continuer?
Je ne suis pas d'accord. Je ne peux accepter qu'on dise que Ryanair a une mauvaise réputation. Nous transportons 150 millions de passagers par an et ces personnes nous apprécient pour la valeur et le service que nous leur apportons. C'est pour cela que beaucoup de concurrents ne nous aiment pas et colportent de fausses informations sur Ryanair. Nous volons en toute sécurité, nos vols sont à l'heure et nous permettons à des personnes de partir en vacances et à d'autres de venir dans les régions françaises. Nous faisons probablement plus pour l'intégration européenne que n'importe quelle institution en Europe en donnant la possibilité à un grand nombre de personnes de voyager. Sans Ryanair, les étudiants, ceux du programme Erasmus par exemple, ne pourraient pas voyager. Les critiques viennent de ceux qui sont contre cela. Ryanair est la plus belle success story du marché unique européen. Les critiques nous concernant me rappellent celles à l'encontre des voitures japonaises quand elles sont arrivées en Europe dans les années 1960. Leurs concurrents européens, notamment français, disaient que les voitures n'étaient de bonne qualité. Or, elles l'étaient et elles étaient mêmes moins chères que les voitures françaises. C'est ce que nous faisons.
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