Certes, Jean-Baptiste Djebbari ne veut pas accabler la SNCF pour les bugs multiples de son application numérique SNCF Connect, mais devant le tsunami de critiques, l'homme politique ne pouvait rester les bras croisés.
Dimanche, sur la chaîne de télévision CNews, le ministre délégué aux Transports a appelé la SNCF à "résoudre au plus vite" les dysfonctionnements de sa nouvelle application numérique SNCF Connect.
"Ce que j'ai dit à la SNCF, c'est que cette transition vers l'application Connect, qui, c'est vrai, offre beaucoup plus de fonctionnalités à moyen terme, était nécessaire. En revanche, il y a des dysfonctionnements qu'il faut résoudre au plus vite", a indiqué M. Djebbari, interrogé sur la chaîne de télévision CNEWS.
Fiasco en direct d'une application pour le grand public
Le tollé est général, à la mesure de l'importance de cette application pour la vie quotidienne de la population française : l'application, stratégique pour la mobilité des Français, n'est pas seulement moquée ou fustigée sur les réseaux sociaux, car les médias de masse ont tous relayé les critiques, pour expliquer le pourquoi et le comment d'un tel fiasco en direct. Tous s'étonnent qu'une si grande entreprise disposant de si grands moyens, avec une telle expérience numérique accumulée, se retrouve dans une telle situation.
Sur son propre compte Twitter, SNCF Connect se prend aussi des volées de bois vert de la part de ses utilisateurs dépités de ne pouvoir aboutir leurs démarches en ligne - il suffit de lire par exemple les dizaines de commentaires qui accompagnent ce tweet épinglé sur le compte de la société ferroviaire.
L'humoriste de France Inter, Tanguy Pastureau, avait twitté le 4 février dernier : « Je propose que la réservation de billets de train par l'appli SNCF Connect devienne discipline olympique. »
La leçon administrée à la SNCF par le cofondateur de Captain Train
Le comble semble être atteint par la leçon de développement informatique administrée en direct samedi 12 février via Twitter, par Jean-Daniel Guyot, le cofondateur de Captain Train (startup rachetée par Trainline en 2016), qui reproche à l'entreprise publique très expérimentée et aguerrie d'avoir commis les mêmes erreurs qu'il avait fait, lui... lorsqu'il débutait :
« L'ironie aura donc voulu, 13 ans après notre idée, que notre principal concurrent de l'époque essaye vraiment d'aller jusqu'au bout du concept que nous avions jeté à la poubelle après quelques tests », affirme-t-il sur le réseau social.
Le risque d'une perte majeure de parts de marché pour l'appli SNCF Connect
Le problème de ce fiasco n'est pas seulement la grogne des utilisateurs, ni même la détérioration de l'image de marque : le risque que court l'entreprise ferroviaire française, c'est aussi celui d'une perte majeure de parts de marché pour son application.
En effet, l'application britannique Trainline (qui a racheté en 2016 la pépite Captain Train pour pouvoir opérer le marché français) a largement déjà profité des déboires de l'entreprise ferroviaire française. Elle annonce avoir recruté +28% de nouveaux clients en France par rapport au précédent record d'août 2020, dans la semaine qui a suivi le lancement de SNCF Connect, selon le magazine Capital, mais également elle revendique une "hausse de 50% de ses ventes de billets SNCF et Ouigo sur Trainline" entre le 31 janvier au 5 février, comparé à la moyenne des trois semaines précédentes.
La SNCF a renforcé son service d'assistance téléphonique
Pour autant, dimanche sur CNews, le ministre de tutelle de l'entreprise ferroviaire a essayé de calmer la grogne en expliquant que l'entreprise faisait de gros efforts pour rattraper les bourdes informatiques:
« [À la SNCF], ils s'y sont engagés, ils ont mobilisé plus 30% d'effectifs pour répondre au téléphone à un certain nombre de requêtes. »
L'avant-veille, vendredi 11 février, le PDG de la SNCF Jean-Pierre Farandou avait promis sur RTL que des améliorations (les corrections d'environ 150 bugs) seraient apportées d'ici à la fin mars.
Une transition « un peu compliquée » mais prometteuse
Dimanche, Jean-Baptiste Djebbari se faisait indulgent et optimiste: pour lui, "c'est une transition, toutes les transitions sont parfois un peu compliquées".
"Mais à terme, à moyen terme et dans un délai que j'espère le plus court possible, c'est en tout cas ce que je leur ai demandé, il n'y a pas de doute que cette nouvelle application offrira beaucoup plus de fonctionnalités", a-t-il assuré.
SNCF Connect est essentiellement le fruit de la fusion de oui.sncf (le site marchand) et de L'Assistant SNCF (l'application d'information, surtout orientée sur les déplacements de proximité).
Des fonctions clés touchées : recherche, résa, achat, transfert...
Des fonctions clés comme la réservation, la récupération ou le transfert de billets semblent touchées : certains utilisateurs font état de billets égarés dans la transition vers la nouvelle application, de pertes de dossiers voyageurs, d'autres évoquent des QR codes devenus illisibles au moment de monter dans le train. ("Le QR code édité par l'application est trop petit pour les lecteurs des contrôleurs.")
Le moteur de recherche est également incriminé pour ses propositions d'itinéraires fantaisistes: si l'on saisit les noms "Dijon Paris", le moteur renvoie d'abord comme résultat "rue de Dijon, Paris"...
Les utilisateurs fustigent aussi l'impossibilité de faire plus de deux correspondances ou de choisir une étape, la disparition des comparatifs de prix, des difficultés à accéder à un billet pour l'annuler, voire même le fond très sombre choisi pour l'appli.
Analyse des dysfonctionnements d'un projet web mal piloté
Sur Twitter, un thread (séquence continue de tweets) rencontre un bel écho: celui d'un tandem de designers web, Julien Dubedout et Marie-Anaïs Beyne, qui ont décortiqué et analysé sans langue de bois (et même disons-le avec un langage fleuri) toute la conception de l'application de la SNCF et surtout proposé des pistes sur ce qui a pu dégénérer dans le management de l'équipe de conception et dans la commande du projet entre le commanditaire (la direction de la SNCF) et l'équipe projet pour aboutir une telle somme de dysfonctionnements.
La critique des dysfonctionnements, ici étayée par l'analyse de nombreux témoignages d'usagers, pourrait se résumer à :
« Qui a désigné ça ? Qui a codé ça ? Qui a recetté ça ? », écrit le tandem de designers web Marie et Julien.
(avec AFP)
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