Télétravail et concurrence, la SNCF face au défi de la reconquête de la classe affaires

SNCF Voyageurs, qui mise sur l'augmentation des volumes de passagers au détriment du panier moyen, multiplie les offensives, notamment tarifaires et servicielles pour reconquérir sa clientèle affaires désormais habituée au télétravail. Celle-ci lui apportait 40% de son chiffre d'affaires sur les lignes à grande vitesse, en 2019. L'opérateur espère retrouver 95% de ses niveaux de ventes professionnelles en 2023, et même atteindre 101% d'ici à 2024, par rapport à l'avant-crise. Reste à quantifier l'impact de l'ouverture à la concurrence sur cette activité, alors que le groupe SNCF affiche toujours de lourdes pertes.
(Crédits : Vincent Kessler)

Les voyageurs d'affaires de la ligne à grande vitesse Paris-Lyon s'en sont peut être aperçus : la classe "business première" expérimente une montée en gamme sur cet axe non seulement le plus fréquenté mais aussi et le plus rentable de la SNCF, lequel représentait un tiers de son trafic annuel TGV total avant la crise. Les passagers professionnels trouveront par exemple des services augmentés, à l'instar de l'accueil presse/café directement à leur siège, leur commande bar directement livrée à leur place ou encore une plus grande flexibilité sur leurs réservations. Signe du caractère stratégique de la liaison et de cette clientèle, les premières rames Océane - issues de la rénovation des duplex - sont en partie déjà en circulation sur cet axe. Elles proposent un plus grand confort en "classe pro", une liseuse à l'intensité réglable et une meilleure connectivité (câblage USB, plus de prises, etc). Bref, l'idée est d'en faire un véritable bureau pour les voyageurs-travailleurs.

Si la SNCF Voyageurs oriente ses tests sur cette ligne de 45 millions de passagers annuels, prisée par la clientèle professionnelle, c'est que l'entreprise doit faire face à un double défi : celui du télétravail d'une partie des salariés et celui de l'arrivée de la concurrence internationale. Alors qu'en 2019 sa clientèle professionnelle représentait 20% de ses 120 millions de voyageurs TGV par an et 40% de son chiffre d'affaires, la crise sanitaire a fait plonger ce segment en 2020 (-60%), participant au déficit abyssal de 3 milliards d'euros du groupe. Depuis le trafic n'a que légèrement repris. Pour 2021, la SNCF table sur une perte de sa clientèle d'affaires de 50% par rapport à 2019. Mais les dirigeants constatent une reprise et des "signaux faibles" encourageants en septembre.

Selon les chiffres communiqués ce mercredi 5 octobre par Alain Krakovitch, directeur de Voyages SNCF et son directeur marketing Jérôme Laffon, le groupe constate un "retour progressif de la clientèle affaires". 60% ayant un tarif pro sont de retour par rapport à septembre 2019, et même 75% sur le segment des TPE/PME, explique la SNCF.

La dynamique est portée notamment par sa nouvelle offre "mon forfait télétravail". Elle a déjà séduit 3.500 voyageurs, dont la moitié provient de ses anciennes offres pro classiques et l'autre moitié de nouveaux clients. Les offres classiques concernent désormais 5.000 contre 7.000 utilisateurs. Au total, le portefeuille d'abonnement du groupe s'élève à 8.500 cartes.

Une clientèle pro supérieure à 2019 en 2024

Reste que l'abonnement télétravail a connu des difficultés dans sa mise en place face à un certain engouement, limitant sans doute les adhésions.

"Nous avons reçu plus de 10.000 appels sur les quatre semaines à cheval entre septembre et août saturant nos opérateurs, mais aujourd'hui, c'est résolu", estime Alain Krakovitch. L'autre écueil à régler pour doper ce nouveau dispositif sera celui de la combinaison de ce pass TGV avec les offres TER, alors que les Français s'exilent de plus en plus dans les campagnes et territoires périphériques. "C'est une discussion à mener avec les régions. C'est complexe au niveau des systèmes d'informations, de la tarification", poursuit Alain Krakovitch.

Toutefois, l'opérateur ferroviaire espère retrouver 95% de ses niveaux de ventes professionnelles en 2023, et même atteindre 101% d'ici 2024, par rapport à 2019, selon l'indice de référence du groupe.

La SNCF appuie notamment ses prévisions sur une étude interne. Selon ce sondage réalisé auprès d'une centaine d'entreprises sous contrat, 89% des clients affaires ne remettraient pas en cause leur voyage professionnel suite au Covid-19. La perte sèche serait autour de 11%. La mobilité liée à des réunions internes d'une entreprise serait la plus impactée (en recul de 30% sur ce segment), les usagers préférant les rencontres virtuelles dans ce cas. Mais pour les autres temps d'échange, comme la formation (85%), la visite de chantier (100%) ou les rencontres client/fournisseur (95%), les travailleurs consultés maintiennent leur besoin de mobilité. Et dans l'ensemble, pour répondre à leurs attentes, 72% des sondés recommandent le train comme la meilleure solution pour un trajet professionnel de plus de 200 kilomètres.

Pour tirer cette reprise du segment affaires dans ce contexte en pleine mutation, le groupe mise sur la poursuite de la refonte de ses offres abonnements. A partir du quatrième trimestre 2021, le groupe initiera une consultation avec les acteurs du marché professionnel pour lancer courant 2022 de nouvelles offres. Il devrait également renforcer sa connectivité internet ,"globalement satisfaisante", sauf sur la ligne Paris-Bordeaux, qui rencontre encore des coupures. Surtout, SNCF Voyages espère convaincre les professionnels grâce à l'argument écologique.

Argument écologique

Profitant, d'une part, de l'interdiction des vols sur les routes où il existe une alternative ferroviaire en moins de 2h30, et, d'autre part d'une prise en compte des critères ESG plus fortes dans les comptes des entreprises, l'opérateur veut accompagner les acteurs économiques dans la construction d'un bilan carbone personnalisé.

La transition écologique sera en effet l'un des axes majeurs de la réussite de la SNCF. Le groupe mise sur la bascule de l'usage de la voiture vers le train. "On veut grignoter des parts modales supplémentaires sur la route", "2-3 points", qui représenteraient "20 à 30% de volume en plus", expliquait dans nos colonnes, en février dernier, le PDG du groupe Jean-Pierre Farandou. En mai, il répétait son objectif "de doubler le nombre de voyageurs en dix ans dans les trains".

En gros, le transporteur ferroviaire a augmenté ses volumes de passagers car il mène en même temps une politique de baisse des prix qui fait chuter son panier moyen, aussi bien sur le segment loisir que celui affaires. La multiplication des offres OuiGo (et notamment sur la ligne... Lyon-Paris), l'instauration d'une tarification maximale pour les détenteurs d'une carte avantageS, la remise à plat de la grille tarifaire, ainsi que les offres promotionnelles, participent à cette tendance de baisse du panier moyen. L'abonnement télétravail est par exemple commercialisé 40% moins cher que le forfait annuel.

Ouverture à la concurrence

Alors que le groupe est sous pression financière, malgré la reprise de l'Etat de 25 milliards de dette, et qu'il a entamé une restructuration visant 3.000 postes, reste à savoir quel sera l'impact de l'ouverture du marché intéririeur du transport ferroviaire de passagers à la concurrence internationale. Celui-ci est accessible à tout opérateur depuis décembre 2020. Ces nouveaux acteurs européens entendent notamment prendre des parts de marché sur le volet premium et en premier lieu sur la ligne Lyon-Paris, la plus rentable. C'est le cas de l'opérateur ferroviaire espagnol Renfe, qui a confirmé fin septembre sa volonté de s'intégrer au marché français. Alors qu'il était seulement attendu sur le Lyon-Marseille, il veut finalement aller plus loin avec l'axe Paris-Lyon-Marseille.

L'offensive ibérique devrait succéder à celle de l'Italien Trenitalia. L'opérateur veut notamment s'attaquer à cet axe le plus rentable, grâce à ses rames Frecciarossa ETR 500 et de sa classe "executive", ultra confortable et équipée d'une salle de réunion. "L'arrivée de cet opérateur est importante pour nous, notamment au regard de la qualité de leur service premium. Mais il n'aura pas les fréquences que nous avons, et ce facteur est essentiel pour la clientèle d'affaires", défend le directeur de SNCF Voyageurs. Avec seulement cinq trains autorisés à rouler en France pour le lancement de ses opérations, la compagnie publique italienne ne devrait pas trop impacter la SNCF sur cette ligne.

Enfin, pour doper son segment affaires, la compagnie française pourrait compter sur la fusion de Thalys et Eurostar. Ce rapprochement doit permettre d'optimiser l'utilisation du capital de l'infrastructure réseau et offrir plus de flexibilité horaire aux voyageurs professionnels.

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Commentaire 1
à écrit le 06/10/2021 à 4:36
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Ne jamais mettre tous ses oeufs dans le meme panier. A la sncf on ne connait pas le bon sens. Les francais paieront.

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