
Vent de panique chez tous les acteurs du transport aérien français mais aussi des compagnies étrangères basées dans l'Hexagone. Déjà au fond du trou en raison de l'impact du Covid-19 sur leur activité, tous craignent la mise en place d'un choc fiscal d'une ampleur sans précédent sur le transport aérien avec la loi sur les sujets de la convention citoyenne pour le climat prévue en novembre. Le calendrier s'accélère en effet. Un projet de loi doit être déposé d'ici à fin septembre et le texte qui sera voté à l'issue du débat parlementaire s'appliquera dès 2021.
Réunion à la DGAC
Selon nos informations, la direction générale de l'aviation civile (DGAC) a réuni jeudi 3 septembre les dirigeants des différentes associations professionnelles comme le Board Airlines Representatives (BAR), la Fédération Nationale de l'Aviation Marchande (FNAM), le Syndicat des Compagnies Autonomes (SCARA), l'Union des Aéroports Français (UAF), mais aussi Anne Rigail, la directrice générale d'Air France, pour leur présenter l'étude d'impact qu'elle avait réalisée des sept propositions de la convention citoyenne sur l'aviation. Ils en sont ressortis abasourdis.
La proposition qui vise à augmenter considérablement l'éco-taxe sur les passagers aériens engendrerait un alourdissement de la fiscalité sur le secteur de près de 4 milliards d'euros sur la base du trafic passagers enregistré en 2019.
Alors que la taxe varie aujourd'hui entre 1,5 euro en classe économique pour un vol domestique et intra-européen à 18 euros en classe affaires sur un vol hors UE, la convention citoyenne recommande de la faire passer à 30 euros en classe économique et 180 euros en classe affaires sur les vols de moins de 2.000 kilomètres, et à 60 euros en classe économique et 400 euros en classe affaires sur les vols dépassant les 2.000 kilomètres. Les jets privés seraient encore plus touchés : 360 euros pour les vols inférieurs à 2.000 km et 1.200 euros pour les vols plus longs.
Près de 150.000 suppressions de postes
Au final, toujours sur la base du trafic 2019, les recettes de cette taxe s'élèveraient à 4,2 milliards d'euros contre 440 millions en 2020 en tenant compte de la majoration prévue en début d'année. Pour rappel, alors que l'écotaxe décidée l'an dernier s'est en fait traduite par une hausse de la taxe de Solidarité (taxe Chirac) pour financer des programmes de santé dans les pays en développement, les montants préconisés par la convention citoyenne s'ajouteraient à la taxation existante, déjà parmi les plus élevées en Europe. Un tel niveau de taxe ferait chuter le trafic de 14 à 19% et provoquerait la suppression de 120.000 à 150.000 emplois, selon l'étude d'impact.
«Ce serait bien plus, il faudra ajouter toutes les emplois indirects liés au transport aérien », fait remarquer un professionnel de l'aérien.
« Avec ça, on tue Air France et tout le transport aérien français », peste un autre.
Une telle explosion de la fiscalité sur le transport aérien ne serait pas sans conséquence sur la connectivité aérienne des territoires. Encore plus qu'avant la crise, les compagnies aériennes low-cost étrangères choisissent de positionner leurs avions sur les lignes les plus rentables et privilégient des aéroports sur lesquels les coûts au passager sont les plus faibles. Déjà considérés comme chers par rapport à de nombreux voisins européens, les aéroports français risqueraient d'être les grands oubliés de la reprise. C'est pour cela que les acteurs du transport aérien appellent à une baisse des taxes qui sont aujourd'hui parmi les plus élevées en Europe.
"Il y a un risque de destruction massive de la connectivité aérienne pour la France. L'accessibilité aérienne est l'un des critères majeurs des entreprises lorsqu'elles s'installent en région. Si celle-ci diminue ou devient inexistante, il y a un risque de délocalisation", explique Thomas Juin, le président de l'Union des Aéroports Français.
Fin des vols intérieurs d'ici à 2025
La convention citoyenne préconise six autres mesures, dont celle d'organiser la fin du trafic aérien sur les vols intérieurs d'ici à la fin 2025 « uniquement sur les lignes où il existe une alternative bas carbone en moins de 4 heures ». Autrement dit d'aller au-delà du seuil de 2h30 décidé par le gouvernement. Sur ce sujet, Emmanuel Macron s'est déjà prononcé. Lors de l'interview du 14 juillet, il a expliqué que l'avion avait toute sa pertinence sur les axes assurés par le train en plus de 2h30.
"Quand vous avez le train qui met 3, 4, 5, 6 heures, est-ce que le vol domestique, la ligne d'avion se justifie ? Oui parce qu'on a besoin d'aller à Brive. On a besoin de continuer à développer à Toulouse, à Pau, de l'industrie. On a besoin de continuer à aller dans des villes qui sont des chefs-lieux de département, elles-mêmes des métropoles, où l'industrie a commencé à se développer. On ne va pas, du jour au lendemain, dire : "on ne fait plus d'avion". Donc il faut le faire là aussi avec du bon sens », avait déclaré le chef de l'Etat.
Les acteurs de l'aérien entendus prochainement
La convention citoyenne pour le climat recommande également d'interdire la construction de nouveaux aéroports et l'extension des aéroports existants, de taxer davantage l'aviation de loisir, de promouvoir l'idée d'une écocontribution européenne, de garantir que les émissions qui ne pourraient être éliminées soient intégralement compensées par des puits de carbone, et en fin de soutenir la recherche & développement d'une filière biocarburants pour les avions.
Face à l'accélération du calendrier, les professionnels du transport aérien seront prochainement entendus par des membres de la convention citoyenne accompagnés de membres de certains ministères.
Même si le projet de loi ne reprendra pas la totalité des recommandations de la convention citoyenne et même si le niveau d'éventuelles nouvelles taxes devait être très en deçà de la proposition de la convention citoyenne, certains craignent qu'elles ne soient inéluctables pour des raisons politiques.
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