"Bien plus que la politique, c'est le marché qui va décider du sort du nucléaire" (Bertrand Piccard, Solar Impulse)

L'explorateur suisse aux deux tours du monde, en ballon puis en avion solaire, a suivi les négociations de la COP26 à Glasgow. Il dresse le bilan des résultats décevants pour le climat tout en affichant son optimisme sur une écologie du bon sens, non punitive et fondée sur l'innovation. Sa Fondation Solar Impulse a identifié plus de 1.300 solutions, dont 411 françaises, pour sauver la planète. Le vrai combat selon Bertrand Piccard : accélérer sur la voie de l'efficience énergétique sans tomber dans la décroissance.
(Crédits : AFP)

LA TRIBUNE- "Flop26", "potion amère", "pas à la hauteur" : les mots sont sévères après la COP26 de Glasgow. Les attentes étaient trop fortes en l'absence de la Chine ou bien les conditions n'étaient pas réunies pour un accord mondial ambitieux sur la réduction des émissions de CO2 ?

BERTRAND PICCARD- Cette COP était fidèle à la manière dont les négociations internationales se déroulent quand on recherche l'unanimité. Le résultat est toujours aligné sur les moins ambitieux et ceux qui résistent le plus. Mais cela ne doit pas faire oublier que la COP n'est pas seulement cette version émergée. C'est aussi la rencontre foisonnante d'entreprises, de pays, de régions et de métropoles qui veulent aller plus vite que le consensus. C'est pour cela qu'on a pu construire des coalitions pour lutter contre la déforestation, pour lutter contre le méthane, pour réduire le financement  international du charbon et des énergies fossiles. Sur ces sujets, il y a eu de réelles avancées à Glasgow et c'est remarquable. On a aussi vu des coalitions de villes qui se regroupent autour de solutions durables, zéro carbone, des entreprises financières qui se regroupent pour sortir progressivement du financement des énergies carbonées. Le tableau est donc globalement positif : en coulisses, les choses avancent plus vite que ce que l'on peut en voir dans la COP formelle, mais ce n'est possible que parce qu'il y a cette pression exercée par la COP et son environnement global, sous le regard du monde et de la jeunesse.

Donc il ne faut pas s'arrêter aux apparences. On critique les pays émergents d'Asie pour leurs réticences à prendre des engagements de réduction des émissions de CO2, mais il ne faut pas oublier qu'ils produisent pour nos marchés. Une part de leur pollution, c'est la résultante de nos délocalisations et de notre mode de vie et de consommation. Nous avons voulu ainsi gagner un peu de pouvoir d'achat, mais c'est devenu une aberration écologique, car ces quelques euros gagnés sur ces produits sont ensuite perdus en allocations pour tous ceux qui souffrent chez nous de ces délocalisations. Alors c'est vrai, cela a aussi permis de sortir ces pays de la pauvreté extrême, mais au prix d'une exploitation de la main d'œuvre locale, du chômage en Occident, avec un bilan carbone désastreux et souvent au mépris des règles des droits humains dans des pays lointains. 

Quand on veut juger néanmoins ceux qui polluent à l'autre bout de la planète, il faut aussi regarder ce qu'on fait chez nous qui avons pollué les premiers. 

Nous sommes loin d'être exemplaires : quand on voit que la Suisse a refusé la loi sur le CO2 en référendum alors qu'elle a le parc automobile le plus polluant d'Europe, parce que ce sont pour beaucoup de grosses cylindrées et des voitures lourdes, il faut balayer devant notre porte et se remettre en question avant de critiquer les autres. Quand on voit la difficulté en France d'établir une taxe carbone qui a fait sortir dans la rue les bonnets rouges bretons sur les camions, puis les gilets jaunes sur le prix des carburants, on voit bien qu'il faut aussi trouver chez nous des solutions.

Le problème des négociateurs à la COP, c'est qu'il est difficile de revenir chez eux avec des engagements trop ambitieux dont ils savent qu'ils seront désavoués au Parlement local et par la population. Pour avancer, il faut arriver à changer le narratif, cesser de présenter la transition écologique comme quelque chose qui est cher et sacrificiel. Il faut au contraire montrer que ce sont de nouvelles opportunités économiques et industrielles susceptibles d'ouvrir de nouveaux débouchés locaux avec les énergies renouvelables, le solaire, l'éolien terrestre et offshore, la biomasse, la géothermie, l'hydroélectrique, et de créer de nouvelles filières comme les batteries, l'hydrogène et l'efficience énergétique. La rénovation des bâtiments, des chauffages, des processus industriels, la mobilité propre et décarbonée, il faut le présenter avec enthousiasme. Et montrer que, malgré un investissement initial de départ, cela va permettre de payer son énergie moins cher, de baisser sa facture énergétique et climatique tout en contribuant à sauver la planète du réchauffement. Pour y arriver, nous devons réunir les écologistes qui veulent aller vite, les industriels qui ont des solutions, les Etats régulateurs sans qui rien n'avancera car il faut moderniser les réglementations au même rythme que les solutions techniques le permettent, et la population pour valider les changements. 

Oui mais les consommateurs et citoyens sont-ils prêts à des mesures qui dans un premier temps sont perçues comme punitives sur leur pouvoir d'achat ?

Les citoyens peuvent faire une partie du chemin, en consommant plus local, en évitant le gaspillage et les achats inutiles, en chauffant leur logement : à 20° au lieu de 25°, c'est 40% de réduction de la facture énergétique, mais pour cela il faut mettre des thermostats sur les radiateurs etc. Les citoyens aimeraient aller plus vite mais il faut les aider à le faire : dans beaucoup de cas, ils sont juste locataires de leur logement. Il faut donc que les propriétaires et les promoteurs immobiliers puissent faire des investissements et se rembourser sur les économies d'énergies faites par les locataires, mais pour cela il faut une réglementation. Sans cela, on n'y arrivera pas. Même chose pour ceux qui sont propriétaires : il faut des prêts à taux zéro remboursés par les économies de chauffage. On ne peut pas réussir cette transition sans avoir une politique puissante pour aider les gens à consommer moins. C'est une question de leadership politique : il faut montrer le but et comment on peut y arriver.

L'échec de Glasgow n'est-il pas aussi le signe que nous entrons dans une forme de renoncement, celui de l'atténuation du changement climatique, et qu'on passe directement à l'étape suivante, celle de l'adaptation à des dérèglements devenus inévitables et sans doute irréversibles ? Le président de la COP26 l'a dit : l'objectif de Paris des 1,5° seulement de réchauffement est en « soins intensifs »... On s'oriente plutôt vers 2,5° ou plus !

Malheureusement oui, vous avez raison de pointer cette tentation et c'est une catastrophe de raisonner comme cela. Ce n'est pas parce qu'un Etat ou un continent a suffisamment d'argent pour financer cette adaptation que la qualité de la vie va être bonne avec cette adaptation. On ne se rend pas assez compte de ce que veut dire 2 degrés de plus. Cela implique une altération de l'équilibre naturel qui est extrêmement dangereux pour notre santé et notre avenir commun. Quand vous avez  devant vous une augmentation prévisible du niveau des océans, des vagues de chaleurs et des inondations plus fréquentes, ce n'est pas parce que vous avez les moyens de construire des digues pour protéger les zones côtières que la vie sera agréable. On va faire quoi pour les maladies tropicales qui arrivent en Europe ? On va épandre des pesticides partout contre le moustique tigre porteur de maladies graves ? Il faut donc encore se battre pour que les conséquences soient atténuées : 2,5 degrés sera catastrophique, 2 degrés sera très grave et 1,5 degré sera grave mais supportable.

Une glaciologue m'a dit à la COP26 : « les lois de la physique ne vont pas varier en fonction des décisions politiques. La glace fond au-dessus de zéro degré ».  Ce ne sera pas seulement un problème pour les stations de ski ; cela va libérer des milliards de mètres-cubes de méthane par le dégel du permafrost, toute cette masse biologique organique qui est maintenue congelée avec des virus et des bactéries inconnues. Nous allons au devant de déséquilibres fondamentaux de la nature. 

Que pensez-vous de la polémique sur le marché du carbone et des droits à polluer que dénoncent les écologistes ?

Si le marché du carbone, quand on est un gros pollueur, c'est de pouvoir acheter un droit de polluer à quelqu'un qui pollue moins, c'est une aberration qui rappelle les « indulgences » du Moyen-Âge où l'on payait à l'Eglise pour racheter ses pêchés. En revanche, si le marché du carbone consiste à mettre un prix très élevé sur le carbone et d'utiliser ces montants pour réabsorber ailleurs le carbone que l'on a émis, ce n'est pas idiot. Car c'est vrai que c'est difficile de baisser rapidement ses émissions de CO2 dans certains pays développés ou dans certains secteurs comme l'aviation.

Quand en France, la taxe carbone est attribuée directement au budget de l'Etat, cela ne sert à rien ; la taxe carbone, doit servir à diminuer les émissions ailleurs. Et là, cela permet de financer une transition en douceur, car malgré toutes les bonnes volontés, on ne va pas sortir tout de suite et brutalement des énergies fossiles, sinon ce serait un écroulement de nos sociétés. Le pétrole est partout. On a vu un activiste manifester avec une veste en nylon... 

On voit que le nucléaire revient en grâce dans certains pays dont la France car c'est une énergie décarbonée. S'agit-il selon vous d'une énergie de transition qu'il est nécessaire de relancer face aux limites physiques des énergies renouvelables intermittentes et de plus en plus rejetées par les populations en raison des nuisances que cela impose, visuelles ou autres ?

Le nucléaire est plus carboné que le solaire et l'éolien, mais beaucoup moins que les énergies fossiles . Aujourd'hui, on a des centrales nucléaires en activité et je pense que c'est une erreur de vouloir les démanteler car on en a encore besoin. Mais il faut savoir que le nucléaire est déjà plus cher que le solaire et l'éolien. En outre, il y a une question mal évaluée, celle du temps nécessaire pour construire de nouvelles centrales nucléaires. Flamanville et Hinkley Point ne sont pas des records du monde de vitesse. Et s'agissant des nuisances, je ne suis pas sûr que la tour de refroidissement d'une centrale nucléaire avec en permanence un panache de vapeur qui prend beaucoup plus de vue qu'une éolienne, ce soit mieux accepté que des champs solaires ou éoliens. En résumé, bien plus que la politique, c'est le marché qui va décider du sort du nucléaire. Le marché nous dit que le solaire et l'éolien sont plus rapides à mettre en exploitation, coûtent moins cher et posent moins de soucis de sûreté. 

Oui mais on ne sait pas bien stocker l'énergie intermittente des renouvelables ... Dans la récente flambée des prix de l'énergie en Europe, on mesure bien le risque de trop dépendre du vent ou du soleil et sans nucléaire, on produit de l'électricité avec du charbon ou du gaz... La France n'a-t-elle pas raison de préférer un mix énergétique plus équilibré que l'Allemagne, et de se préparer à construire de nouveaux réacteurs pour son indépendance énergétique ?

Pour moi, c'est un choix illusoire : la véritable solution pour diminuer le prix de l'énergie tout comme notre dépendance à l'étranger, c'est d'agir sur l'efficience énergétique afin de réduire la consommation  et donc les besoins de production. Les trois-quarts de l'énergie produite est perdue par des comportements de gaspillage inadaptés, par exemple trop chauffer ou trop refroidir des bâtiments, ou par l'inefficience de nos infrastructures, avec des logements mal isolés, des chauffages obsolètes, des moteurs thermiques qui consomment trop. Il faut agir sur la baisse des besoins : c'est cela le plus rentable, qui crée des emplois et du bien-être, et coûte moins cher que de construire de nouveaux EPR. Je préfère bien sûr le nucléaire au charbon. Mais je préfère encore plus l'efficience énergétique à l'augmentation sans limite de la demande et donc de la production. 

Vous contestez le scénario central de RTE, qui privilégie pour la France un équilibre misant à la fois sur le nucléaire et les renouvelables ?

Non. RTE a prévu six scénarios dont l'un prévoit une énergie à 100% renouvelable. Il ne faut pas repartir vers des choix idéologiques parce que sinon on aura de nouveau des clivages. Aujourd'hui on a la possibilité d'investir dans des infrastructures de stockage des énergies intermittentes qui prendront moins de temps à construire et qui coûteront beaucoup moins cher que de nouveaux réacteurs. Notamment par le pompage-turbinage : on construit deux lacs de retenue à des niveaux différents et on peut faire cela dès que l'on a du relief, en réutilisant la même eau. Quand vous avez beaucoup de soleil et de vent, vous remontez l'eau vers le lac supérieur à l'aide d'une pompe ; et à l'inverse, en cas d'intermittence, quand vous avez besoin d'énergie, il suffit de faire passer cette eau vers le lac inférieur via une turbine qui produit de l'électricité. Il y a un potentiel énorme pour cette technologie simple qui existe en Suisse et je crois en France. Nul besoin de faire d'énormes barrages comme les Trois Gorges en Chine qui produit en permanence. L'installation que j'ai visitée en Suisse offre 1 gigawatt pendant 30 heures. Il y a bien sûr des contraintes sur le choix des lieux mais l'hydroélectrique en pompage-turbinage est une bonne solution alternative. Il y a 600.000 lieux possibles dans le monde pour de telles installations, soit 100 fois les besoins.

Autre solution, labellisée par la Fondation Solar Impulse, stocker de la chaleur dans le sol pendant l'été pour l'utiliser en hiver. Il y a des solutions logiques, simples mais qui ne sont pas assez connues et donc pas utilisées.

Avec l'essor de la classe moyenne dans les pays émergents et le manque d'efforts des Etats et des populations dans les pays développés, l'ampleur des besoins énergétiques nécessaires à la transition écologique sera énorme. La résilience énergétique que vous prônez n'est-elle pas par conséquent illusoire?

On ne  peut pas demander aux pays en développement de la sobriété. En revanche, on peut les encourager à avoir de l'efficience. Pour faire venir de l'électricité dans les zones qui en sont dépourvues, le recours à l'énergie solaire ou à la biomasse revient beaucoup moins cher que de tirer des câbles électriques. Les pays en voie de développement commencent à comprendre qu'ils n'ont pas besoin de passer par notre stade de gaspillage et d'inefficience énergétique pour arriver au développement économique. Ils peuvent y arriver en sautant une étape. L'Afrique s'est équipée de téléphones portables sans avoir tiré de câbles téléphoniques. Cela peut-être exactement la même chose pour l'énergie. Je rappelle que les pays qui s'appauvrissent le plus sont ceux qui doivent importer les énergies fossiles en payant en devises étrangères, donc en dollars. Cela leur coûte une fortune et beaucoup de points de PIB.

Pour des pays pauvres, c'est une catastrophe, alors qu'une aide sous forme d'investissements dans des centrales solaires, éoliennes ou à biomasse leur assurerait un développement local, à bas prix et générateur d'emploi, de paix sociale et de stabilité. C'est ce que fait par exemple Schneider Electric en installant des microgrids, des micro-réseaux électriques de petite taille, conçus pour fournir à un petit nombre de consommateurs un approvisionnement électrique comprenant des panneaux solaires, des pompes d'irrigation, des batteries, des prises électriques, de l'éclairage...  Des régions entières se développent ainsi de manière décarbonée.

Les terres rares et autres minerais et métaux stratégiques sont pour la plupart produits en Chine. Les tensions géopolitiques entre la Chine et l'Occident, notamment les Etats-Unis et leurs alliés, peuvent-elles ralentir la transition énergétique ?

Oui, mais il faut comprendre que les terres rares ne sont pas rares, elles sont diluées. Ce n'est pas la même chose. Il faut brasser des quantités énormes de minerais pour en extraire quelques grammes. Les pays occidentaux ont accès à des terres rares mais ne les exploitent pas parce qu'ils préfèrent s'approvisionner en Chine. Cette façon de faire les mets dans des situations de dépendance dangereuses. L'Europe dépend des pays tiers pour le gaz, le pétrole, et désormais les terres rares. Cette imprévoyance qui remonte à de nombreuses années a été invraisemblable. Aujourd'hui, il y a une prise de conscience pour retrouver de l'autonomie. On voit bien que la Commission européenne cherche à reprendre le contrôle de son avenir. L'utilisation des énergies renouvelables, de l'hydrogène qui permet de stocker et de transporter l'énergie renouvelable sont autant de moyens pour y arriver.

La fondation Solar Impulse a identifié plus de 1000 solutions de réduction des émissions de CO2. Comment passer à l'échelle pour qu'elles contribuent à la transition écologique ?

Il y a plusieurs leviers. Celui de l'investissement tout d'abord. Nous avons par exemple participé à la création de deux fonds d'investissement, l'un avec BNP Paribas, l'autre avec Rothschild and Co et Air Liquide. Ces deux fonds disposent d'une enveloppe de 350 millions d'euros pour investir dans les solutions labellisées par la fondation Solar Impulse, c'est-à-dire des solutions qui existent, protègent l'environnement tout en étant économiquement rentables.

Nous sommes  par ailleurs en mesure de proposer aux pays des kits de solutions adaptées à leurs spécificités. Le premier guide a été offert à l'Ecosse, car Nicola Sturgeon, la première ministre écossaise, avait soutenu la fondation Solar Impulse pendant 3 ans. Il comprend 230 solutions qui apporteront de nombreux bénéfices environnementaux et économiques à l'Ecosse. Solar Impulse propose (gratuitement, je le précise) à tous les pays qui le souhaitent de les aider à élaborer un guide similaire. Nous l'avons proposé à la France et à 23 autres pays. C'est aussi le moyen de pointer du doigt les réglementations archaïques qu'il est nécessaire de faire évoluer pour implémenter les solutions.

Que faudrait-il pour la France

Essentiellement des solutions utiles pour la mobilité, l'industrie, la construction et l'agriculture. Nous allons sélectionner toutes les solutions qui permettront de produire de l'énergie propre, de la stocker, de l'économiser de manière efficience et de l'appliquer dans les processus industriels ou agricoles mais aussi dans la construction.

Il y a quatre ans dans La Tribune, vous teniez des propos très durs à l'encontre du monde de l'aviation qui n'en faisait pas assez pour lutter contre le réchauffement climatique. Depuis quelque temps, vous semblez plus complaisant.

Je ne sais pas où vous avez perçu un changement de ma part. Je continue à dire que les compagnies aériennes sont tellement attaquées à l'échelle mondiale, qu'elles doivent introduire urgemment une compensation carbone complète sur tous les billets qu'elles vendent. Elles montreraient ainsi qu'elles font leur part du chemin dans la lutte contre le réchauffement climatique. Car la manière qu'a eue l'aviation de rester en dehors de l'accord de Paris lui a coûté énormément en termes d'image et en termes de réglementation (le transport aérien et maritime ne sont pas inclus dans les COP car leur activité est par nature internationale. Il est  régi par l'organisation internationale de l'aviation civile qui dépend de l'ONU, Ndlr). Si certains vols intérieurs commencent à être interdits au profit du TGV, c'est parce que les compagnies aériennes n'ont pas pris leur responsabilité dans le passé. Air France a décidé déjà avant la crise de compenser le carbone sur les vols intérieurs. C'est une bonne initiative, et il faut que toutes les compagnies suivent le mouvement et appliquent la même politique sur tout le réseau.

Pour autant, si peut-être vous avez perçu un changement de ton dans mon discours à l'égard des compagnies aériennes, c'est parce que des activistes prennent ce secteur comme un bouc-émissaire pour faire oublier qu'on pollue ailleurs. Quand je vois certains activistes militer pour démanteler l'aviation, je trouve une telle attitude excessive, contre-productive, et, à dire vrai, aberrante. Car le transport aérien est indispensable et sa pollution beaucoup moins importante que d'autres secteurs comme le numérique, le textile ou encore l'habitat, qui représente 40% des émissions de CO2. L'aviation pèse 3% des émissions de CO2. Il faut donc que tout le monde fasse sa part, sans stigmatisation spécifique.

Toujours dans la même interview, vous disiez qu'il y aurait un avion électrique de 50 places d'ici à 10 ans? Etes-vous toujours aussi confiant?

Oui, mais tout en précisant que le plus gros obstacle à la rapidité dans l'aviation, c'est la certification. Quand il faut deux ans pour développer un nouveau système, il faut doubler le temps pour le faire certifier. J'espère qu'on arrivera à lancer un avion électrique de 50 places d'ici à la fin de la décennie. Pour des moyen et long-courriers, la solution ne viendra pas des batteries, mais de l'hydrogène, des biocarburants ou des carburants synthétiques. Les ingénieurs avancent très vite. Airbus a un programme d'avions à hydrogène très sérieux. Il faudra que la réglementation et la certification suivent. En tout cas, je soutiens complètement Emmanuel Macron quand il dit qu'il faut gagner cinq ans, à 2030, sur la mise en service d'un avion à hydrogène.

Certains estiment que la décroissance est le seul moyen de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Qu'en pensez-vous ?

De quoi parle-t-on ? Si c'est de la pollution, du gaspillage, de l'inefficience, bien sûr qu'il faut décroître. En revanche, si l'on parle de décroissance de l'économie, c'est juste impossible sauf à toucher aux salaires, aux retraites, à la sécurité sociale, ou encore à la protection des citoyens. La décroissance économique part d'une bonne intention, car c'est vrai que nous sommes dans la démesure. Mais c'est une voie qui se heurte au fonctionnement de la nature humaine.

Le débat est d'ailleurs mal posé. On nous dit, "êtes-vous pour la décroissance ou pour la croissance illimitée ?" Or, la première mène au chaos social et la seconde à un désastre écologique. Il faut les rejeter toutes les deux et prendre au contraire une troisième voie que j'aime appeler "la croissance qualitative", celle qui crée de l'emploi et du développement économique en remplaçant ce qui pollue par ce qui protège l'environnement. Pour cela, il faut découpler la création de valeur de la quantité de consommation pour la coupler à la qualité de l'efficience. En faisant cela, on gagnera sur tous les tableaux.

Quel regard portez-vous sur le débat sur l'écologie dans la campagne présidentielle française ?

Il n'y a pas assez de réalisme et trop d'idéologie et de clivages. Même au sein des écologistes, il y a des tenants d'une décroissance économique dure et les tenants du pragmatisme. J'ai rencontré Yannick Jadot à la COP et j'ai été impressionné par son réalisme économique mais aussi écologique. Je suis également impressionné par les industriels qui se réconcilient avec l'écologie en mettant en place de nouvelles solutions techniques propres et durables.

Il faut absolument sortir du clivage écologie-industrie, et du clivage gauche-droite. Il n'y a aucune raison pour que l'écologie n'appartienne qu'à la gauche. Car des électeurs de droite veulent aussi pouvoir voter écologiste mais ne soutiendront pas un parti écologiste s'il est trop à gauche. A l'inverse, il y a des écologistes qui veulent protéger non seulement l'environnement mais aussi leur pouvoir d'achat et les entreprises. Il faut donc leur offrir une version de l'écologie qui ne soit pas clivée à gauche. Si on ne met pas fin à ces clivages, on va ralentir la transition. Soyons donc capables de mettre de l'écologie à droite et chez les industriels,  comme de l'économie chez les écologistes, et on avancera très vite. En d'autres termes, il faut que chacun puisse marcher sur la plate-bande des l'autre, que l'économie puisse marcher sur la plate-bande écologiste et inversement.

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L'impasse de la décroissance

Dans son dernier livre, "Réaliste. Soyons logiques autant qu'écologiques", le psychiatre et explorateur belge dit son optimisme pour résoudre la crise climatique. "Non, la préservation de notre espace naturel ne se réduit pas obligatoirement à une accumulation de sacrifices. Renversons plutôt la tendance et proposons une logique contraire", soutient Bertrand Piccard. Qualifiant d'impasse la décroissance, il prêche une "croissance qualitative" consistant à remplacer ce qui pollue par ce qui protège l'environnement. "Ne soyons pas pessimistes, pas même optimistes, soyons tout simplement réalistes !", conclut-il.

Bertrand Piccard

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Commentaires 14
à écrit le 23/11/2021 à 19:40
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B. Piccard est bien sympathique, mais il manque de bases techniques pour porter un jugement sur la possibilité de produire l'électricité avec du solaire et de l'éolien seulement, ce qui nécessite de développer du stockage de masse de l'électricité. ...

à écrit le 23/11/2021 à 17:20
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Oui je ne comprends pas que les medias ne remettent pas sur le tapis l'arrêt du projet ASTRID. La Chine s'apprête à lancer le tout premier réacteur à sels fondus tandis que la France envisage l'avenir avec des EPR dépassés..

à écrit le 23/11/2021 à 10:35
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La demande en electricité decarbonée va croitre considerablement, donc on peut penser que le marché reguera la demande avec l'offre ( mix energetique) mais le politique doit impulser la relance du nucléaire propre et durable. d'abord mix MOX ( uraniu...

à écrit le 22/11/2021 à 10:26
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La consommation d'électricité va exploser : Oui. Les énergies renouvelables seront elles suffisantes :Non. Les centrales nucléaires seront elles nécessaires : Évidemment.

à écrit le 22/11/2021 à 10:25
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La "transition" n'existe pas et n'existera pas, nombreux sont ceux qui l'ont déjà démontré (J.B. Fressoz du CNRS par exemple). Et je suis pour une discours de vérité: oui, il est urgent de diminuer nos émissions de carbone, et cela impactera nos mode...

à écrit le 22/11/2021 à 10:11
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Le marché a déjà décidé à propos du nucléaire :zéro investisseur , il n'y a que quelques états qui prennent le risque de perdre massivement de l'argent comme la France avec l'EPR qui ne fonctionne toujours pas en France pas plus qu'en Finlande et 1 s...

le 22/11/2021 à 14:02
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Pas du tout. Il n'y a pas d'investissement sur le nucléaire de 3ème génération (comme l'epr et le projet de smr français). Mais il y a bcp d'invistissements privés dans la 4ème géneration et dans la fusion.

le 23/11/2021 à 13:42
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Adieu , le bien nommé ,nous parle d'investissements privés dans la 4ème génération (c'est quoi au juste il n'y a rien de privé)), quant à la fusion il s'agit de budget de recherche financé à 100 % par l'état.

à écrit le 22/11/2021 à 9:47
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Si le marché doit décider sur le nucléaire et bien ça ne se fera pas car là où y a de l'argent à se faire avec les ENR il n'y a que des Emm... à récolter avec le nucléaire. Le Nucléaire fonctionne pour des pays riches, industrialisés et à l'abri de l...

à écrit le 22/11/2021 à 9:05
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C'est là, que l'on constate que l'on a pris une mauvaise route par notre "politique de l'offre" et de son corollaire publicitaire! Tout cela n'aurait pas exister en répondant simplement a une demande!

à écrit le 22/11/2021 à 8:02
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"Les citoyens peuvent faire une partie du chemin, en consommant plus local, en évitant le gaspillage et les achats inutiles, en chauffant leur logement " Ça serait une bonne idée en effet mais voyez vous des incitations publiques à se comporter de la...

à écrit le 22/11/2021 à 7:12
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On enfonce des portes ouvertes avec Mr Picard. Mettre des thermostats sur les radiateurs? C’est ce qui va nous sauver...et c’est Le marché qui doit décider de notre sort énergétique ? Non mais allô quoi. Le nucléaire doit être remis en route et vite....

le 22/11/2021 à 8:52
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Les Reacteurs a neutro rapide permettront de recycler les dechets produits pendant des décennies dans nos centrales. La durée de vie des dechets radio actif passent de quelques centaines de millions d annee a quelques centaines d annee. Tout en prod...

le 22/11/2021 à 9:50
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Le nucléaire c'est aussi du Thorium et d'autres filières à découvrir

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