Bio : les ventes continuent de chuter, la filière au pied du mur

Après la première baisse enregistrée en huit ans en 2021, la consommation de produits bio a poursuivi son décrochage en 2022 : -4,6 % pour la grande distribution et jusqu’à -8,6 % dans les magasins spécialisés. Tous les débouchés renvoient des signaux négatifs et la filière, malgré une production en croissance, ne peut que miser sur un changement des habitudes de consommation.
Maxime Giraudeau
Les ventes de produits biologiques ont reculé de 8,4 % dans les enseignes spécialisées, plus que dans la grande distribution.
Les ventes de produits biologiques ont reculé de 8,4 % dans les enseignes spécialisées, plus que dans la grande distribution. (Crédits : Reuters)

Et deux de suite. Pour la deuxième année consécutive, la consommation de produits bio est en baisse. Du jamais vu depuis 11 ans. Selon les chiffres de l'Agence Bio présentés ce 1er juin dans un domaine viticole de Gironde, le marché est tombé à douze milliards d'euros l'an passé, soit un recul de -4,6 %. La grande distribution, qui représente 53 % de ce marché, accuse la même proportion de baisse, plus élevée qu'en 2021. L'ampleur est encore plus importante dans les magasins spécialisés avec -8,6 % de ventes en valeur. La chute s'explique par la fermeture d'environ 200 de ces points de vente à travers le pays pour un total de 3.086 magasins fin 2022.

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Les deux autres débouchés, qui captent 21 % des parts de marché, ne s'en sortent pas vraiment mieux. La croissance de la vente directe à la ferme et sur les marchés a été divisée par deux par rapport à 2021 et par cinq par rapport à 2020. Elle demeure tout de même le seul secteur en progression puisque les artisans-commerçants ont vu leur ventes bio ralentir de -2,6 %. Un recul généralisé qui s'inscrit dans un contexte inflationniste où les ménages ont réduit de 5,1 % en 2022 la part de l'alimentation dans leur budget global.

Viser une consommation en dehors de la grande distribution

Si le bio fait les frais de ce repli, il a pourtant connu un plus faible niveau d'inflation que celui des produits conventionnels grâce à l'absence de recours aux intrants et produits phytosanitaires souvent importés. Mais dans un contexte où le pouvoir d'achat des consommateurs s'est réduit, ces derniers se sont reportés vers d'autres valeurs identifiables et restées moins chers que le bio. Selon un baromètre commandé par l'Agence Bio, 73 % des pertes en valeur de la filière ont profité à d'autres produits labellisés (« haute valeur environnementale » par exemple). Seuls 65 % des Français se disent attentifs au logo « agriculture biologique » lors de leurs achats, soit 11 points de moins qu'en 2021.

« L'inflation a joué, mais elle représente une part très minime dans la baisse du bio. Ce qui a eu un impact, c'est la défiance. Les gens s'estiment de moins en moins informés. Quand on ne connaît pas le bio, on est moins prêt à payer un supplément », indique Laure Verdeau, la directrice de l'Agence Bio, à La Tribune. En 2022, la part de produits bio dans le caddie des Français est tombée à 6 %. « Cela nous met au niveau des Etats-Unis », constate-t-elle, amèrement amusée. Malgré des débouchés tous contrariés, il y a un travail à mener sur la vente directe pour revaloriser les produits labellisés. « Là où, dans l'alimentaire en France, 80 % des achats se font dans la grande distribution, cette part n'est que de 53 % pour le bio. La grande distribution a été vecteur de développement du bio. On est dans une période où la demande doit redémarrer mais on sait que, de toute façon, on ne peut pas se focaliser que sur ces distributeurs », pointe-t-elle en visant les marchés et épiceries locales.

Vers des « déconversions » ?

Les consommateurs boudent une production pourtant en pleine santé. La part des parcelles cultivées en biologique dans la surface agricole utile (SAU) totale du pays est passée de 10,4 à 10,7 % entre 2021 et 2022. La hausse des conversions vers le bio ralentit mais est toujours positive avec +3,5 % de nouvelles exploitations converties. Avec presque 2,5 millions d'hectares déjà labellisés, la France est de loin la première nation du bio en Europe en surface brute... mais elle ne pointe qu'à la 13e place au regard de cette part dans sa surface agricole totale. L'objectif annoncé par l'Etat est d'atteindre 18 % de la SAU en 2027. « Il faut avoir un objectif ambitieux car l'agriculture biologique est un laboratoire à ciel ouvert de ce que l'on demandera à toute l'agriculture demain. Mais on l'atteindra à condition de doper la consommation », agite Loïc Guines, président de l'Agence Bio et producteur laitier en Ille-et-Vilaine.

Comment en effet poursuivre la croissance de la production si le marché ne suit pas ? C'est le dilemme vécu par de nombreux producteurs, dont certains dans la filière fruits envisagent sérieusement d'engager des « déconversions ». L'Agence Bio réfute ce phénomène mais reconnaît que ni le marché ni l'intervention de l'Etat sur celui-ci ne pourront produire d'effets assez significatifs. « Le chantier de long terme c'est de faire rentrer les sujets de l'agriculture et de l'alimentation dans l'éducation, de la maternelle à la terminale », vise Laure Verdeau. « On réclamerait presque une « bio pride » des producteurs », imagine-t-elle alors que l'image du bio s'essouffle.

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Enjeux de renouvellement et de transition écologique

La balle est donc aussi dans le camp des producteurs, comme en viticulture par exemple, où la filière veut pousser les grands châteaux qui se convertissent à développer des marques de négoce spécialement pour porter leurs vins bios. Certains vignobles montrent la voie, comme en Gironde, où 20 % de la surface viticole est cultivée en bio. « Le bio doit compter sur les aménités positives qu'il engendre et pas sur le seul marché. Les pouvoirs publics doivent engager une réflexion sur le bio comme sur la voiture électrique », souhaite Philippe Leymat, président d'Interbio Nouvelle-Aquitaine.

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Dans l'avenir de la filière se jouent aussi les enjeux de transition écologique de l'agriculture et de renouvellement des générations, alors que les jeunes sont plus nombreux que leurs aînés à vouloir s'installer en bio. Un virage à ne pas manquer, mais qui s'annonce pourtant délicat : comment soutenir ce mouvement alors que le marché n'est pas réceptif, même avec un cadre réglementaire ? Un exemple : la loi Egalim, qui impose 20 % de produits bios dans les cantines scolaires. « On est passé de 6 à 7 % l'an dernier », glisse timidement Laure Verdeau, alors que les capacités de production actuelles permettraient d'atteindre « sans difficulté » les 20 % légaux. Mais le marché fait mal les choses et empêche le bio de se démocratiser.

Maxime Giraudeau

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Commentaire 1
à écrit le 02/06/2023 à 2:34
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Le bio, l'arnaque du siecle. Rien ne peut etre bio, la pollution generale est l'empecheur de tourner en rond. La seule chose qui vaille et encore a la marge, c'est sans pesticide qui sont partout.

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