Agriculture : « Nos concurrents les plus féroces sont nos voisins immédiats », alerte le patron de la FNSEA

Auditionné devant la Commission des affaires économiques du Sénat, le président de la FNSEA a pointé les risques qui pèsent sur la compétitivité de l'agriculture française. Au-delà de la souveraineté alimentaire du pays, priorité affichée du gouvernement, Arnaud Rousseau alerte sur la nécessité pour la France de renforcer sa place sur la scène européenne et internationale. Et ce, en valorisant l'image d'une profession qui fait face à un véritable défi démographique.
Coline Vazquez
Le nouveau président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, était interrogé lors d'une audition, ce mercredi, devant la Commission des affaires économiques du Sénat.
Le nouveau président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, était interrogé lors d'une audition, ce mercredi, devant la Commission des affaires économiques du Sénat. (Crédits : Blondet Eliot/ABACA via Reuters Connect)

Priorité de l'exécutif, la souveraineté alimentaire est aussi au centre des préoccupations de la FNSEA. Et pour le nouveau président de la Fédération nationale des exploitants agricoles, c'est surtout une question de compétitivité. « La souveraineté alimentaire ne va pas sans compétitivité ni sans moyens » : Tel est le message qu'il a développé ce mercredi lors d'une audition devant la Commission des affaires économiques du Sénat.

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Et pour cause, « les chiffres de l'importation depuis cinq ans nous alarment : nous importons une part de plus en plus importante de notre alimentation : 40% de nos légumes, 60% de nos fruits, 50% de nos poulets, 25% de nos viandes bovines, 50% de nos viandes ovines »a ainsi interpellé Arnaud Rousseau.

« La place de la France en Europe et dans son environnement immédiat »

Au-delà de « la capacité qu'a la France à pouvoir assurer, demain, la fourniture d'une alimentation de qualité et en quantité pour l'ensemble de ses compatriotes, [la souveraineté] c'est aussi la place que la France occupe en Europe et dans son environnement immédiat », a rappelé celui qui a été élu mi-avril à la tête de l'organisation, succédant à Christiane Lambert.

Malgré ses atouts indéniables, la France fait état d'une « balance commerciale des produits agricoles en chute libre », a regretté Arnaud Rousseau. « Il nous reste encore un peu les vins et les spiritueux, les produits laitiers et un peu les céréales, mais nous avons largement perdu des parts de marché », a-t-il signalé, regrettant que « depuis une vingtaine d'année sur bien des plans, nous sommes en recul : sur celui de la production, de la création de valeur ajoutée, des échanges ».

Or, la souveraineté alimentaire mondiale a été largement fragilisée à la suite de l'éclatement du conflit en Ukraine qui a provoqué une flambée des prix de certaines matières premières. Et ce, particulièrement sur le continent africain où « une bataille s'opère pour l'approvisionnement en céréales », explique Arnaud Rousseau. Mais si « seuls une dizaine de pays [dont la France, ndlr] sont capables de fournir durablement des produits laitiers, des céréales, des viandes, des huiles », « on voit bien que les grands blocs mondiaux, notamment les Etats-Unis et la Chine, regardent la question alimentaire comme une arme de soft power ».

« L'agriculture cherche 70.000 collaborateurs »

Face aux sénateurs, l'agriculteur de Seine-et-Marne a donc développé les pistes pour renforcer une vision « ouverte » de la compétitivité de l'agriculture française. Et l'une d'elles consiste à valoriser l'image d'une profession en quête de nouveaux arrivants pour remplacer les nombreux départs à la retraite. Dans les dix années à venir, 30 à 40% des agriculteurs et agricultrices devraient quitter la profession, prévenait Christiane Lambert en mars dernier interrogée par La Tribune. Autrement dit, ils sont 150.000 à pouvoir faire valoir leur droit à la retraite. « L'agriculture cherche 70.000 collaborateurs », a confirmé, ce mercredi, son successeur, pointant à regret que « cette classe socioprofessionnelle est celle où l'on travaille le plus, mais qui a la plus faible rentabilité des capitaux employés. Seulement 1 à 2% contre 10% dans l'industrie et 20% dans les services ». Or, « ce qui fera que l'agriculture se développe, c'est d'abord la capacité à accéder à un marché qui rémunère ses travailleurs », ajoute-t-il, concluant que « ce qui fera que l'agriculture se développe, c'est d'abord la capacité à bénéficier d'un marché qui rémunère ».

Pour renforcer l'attractivité du secteur, la FNSEA a d'ailleurs dévoilé trois mois plus tôt lors de son 77e congrès, son dernier rapport d'orientation pour les trois prochaines années dédié au défi démographique qui se pose au monde agricole.

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« Il faut recréer un dialogue avec l'ensemble de la société », a en outre affirmé Arnaud Rousseau. Et d'expliquer qu'« il y a encore 10 ou 20 ans, la plupart de nos compatriotes avaient un lien avec l'agriculture plus ou moins direct, un cousin, un oncle, un grand-père. Aujourd'hui, un certain nombre de Français ne savent plus rien sur l'agriculture. Il faut réexpliquer l'intérêt de préserver une agriculture de production ».

La question des interdictions de produits phytosanitaires

Lors de son audition, le président de la FNSEA a également abordé la concurrence avec l'Europe quant à l'utilisation de produits phytosanitaires, évoquant la décision de la France « de retirer certaines molécules qui ne le sont pas ailleurs, ce qui nous questionne en matière de compétitivité ». Et d'estimer que « nos concurrents les plus féroces sont nos voisins immédiats, à l'intérieur de l'Europe ».

Le 21 avril, l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a, en effet annoncé, l'interdiction des principaux usages du S-métolachlore, un puissant herbicide polluant les eaux souterraines en France. Une décision à laquelle s'est opposée la FNSEA, mais aussi le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau. Ce dernier avait demandé fin mars à l'Anses « une réévaluation de sa décision » qui priverait les agriculteurs français de ce désherbant avant que l'interdiction ne soit généralisée dans l'ensemble de l'Union européenne.

« Je ne serai pas le ministre qui abandonnera des décisions stratégiques pour notre souveraineté alimentaire à la seule appréciation d'une agence », avait-il assuré devant les agriculteurs et représentants de la FNSEA réunis en congrès.

Le syndicat a également obtenu le soutien du Sénat qui a adopté le 23 mai dernier en première lecture une proposition de loi sur la compétitivité de l'agriculture, dont la mesure la plus controversée vise à autoriser le ministre à suspendre des décisions de l'Anses sur les pesticides, après évaluation du risque économique pour l'agriculture française. Une mesure qui revient sur l'indépendance même de l'agence pourtant consacrée par une loi datant de 2014. Et si le texte a peu de chances de prospérer en l'état, Marc Fesneau a néanmoins estimé qu'il constituait une « bonne initiative », dans le sens où il permet de replacer la notion de compétitivité agricole au coeur du débat.

Coline Vazquez

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Commentaire 1
à écrit le 01/06/2023 à 9:45
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Et la férocité vous la connaissez.

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