Climat : le gouvernement veut renforcer le controversé label bas-carbone

Alors que les scientifiques alertent sur le besoin de réduire la concentration en dioxyde de carbone dans l’atmosphère, le ministère de la Transition écologique entend « redynamiser » un outil de certification de projets locaux vertueux pour le climat créé en 2018, le label bas-carbone. En mettant en avant des actions locales de séquestration du CO2, il permet à des acteurs notamment privés de les financer, en échange d’une attestation de baisse de leurs propres émissions. Mais le mécanisme, qui se base sur le principe de compensation carbone, fait l’objet de vives critiques.
Marine Godelier
À l’occasion d’un déplacement en Ardèche, le jeudi 26 août, la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, est venue réaffirmer le rôle du label bas-carbone pour soutenir la restauration des forêts incendiées et annoncer le lancement d'un plan d’action pour dynamiser le développement de ce label dans les 6 prochains mois.
À l’occasion d’un déplacement en Ardèche, le jeudi 26 août, la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, est venue réaffirmer le rôle du label bas-carbone pour soutenir la restauration des forêts incendiées et annoncer le lancement d'un plan d’action pour dynamiser le développement de ce label dans les 6 prochains mois. (Crédits : ardeche.gouv.fr)

C'est une prouesse : depuis sa création, le label bas-carbone a permis d'« éviter » l'émission de pas moins « 300.000 tonnes de gaz à effet de serre », a affirmé la semaine dernière le ministère de la Transition écologique. Pour cause, depuis son lancement en 2018, ce nouvel outil de certification national a récompensé « plus de 100 projets » partout en France, principalement de plantation et de restauration d'espaces boisés qui, en absorbant une partie du dioxyde de carbone (CO2) présent dans l'atmosphère, en ont diminué la concentration - à l'heure où les scientifiques alertent sur son pouvoir réchauffant.

Un bilan qui impressionne autant qu'il interroge : en étiquetant des actions garanties vertueuses pour le climat, notamment dans les secteurs forestier et agricole, le label n'agit pourtant pas directement sur les émissions. Il incite plutôt des entreprises, parfois polluantes, à financer la sauvegarde de ces puits de carbone.

« Pour s'engager, ces financeurs potentiels souhaitent que la qualité et l'intégrité environnementale des projets soient assurées. Le Label bas-carbone leur offre ces garanties et permet ainsi de diriger des financements vers des projets vertueux pour le climat et l'environnement », explique le ministère dans un communiqué.

Seulement voilà : les entreprises dont l'activité n'a rien à voir avec ces secteurs « peuvent se prévaloir dans leur image de marque d'en avoir compensé une partie », confirme le cabinet de Barbara Pompili. Et ce, grâce à l'obtention, en contrepartie du financement des actions bas-carbone, d'une attestation de baisse de leurs propres émissions.

Ce n'est pourtant pas l'objectif premier du dispositif, affirme-t-on à l'I4CE (Institut de l'Economie pour le Climat), qui a collaboré à la mise en place de la certification en 2018. « Le but est  d'améliorer la gestion forestière, les propriétaires ayant besoin de financements. Mais force est de constater que le sujet a été porté politiquement, et a pu devenir un outil sur lequel le gouvernement et les acteurs privés qui les financent peuvent communiquer », explique Julia Grimault, cheffe de projet forêt agriculture et climat I4CE.

Objectif 1 million de tonnes de CO2 évitées

De fait, le gouvernement communique : en déplacement en Ardèche ce jeudi 26 août, où le label bas carbone a permis la reconstitution de deux forêts incendiées, Barbara Pompili a su en vanter les mérites. Et l'Etat ne compte pas s'arrêter là : fort des bons résultats du mécanisme, il souhaite en dynamiser le développement dans les six prochains mois, afin d'atteindre « 1 million de tonnes de CO2 évitées » par un fonds d'amorçage de 30 millions d'euros, explique-t-on au ministère de la Transition écologique.

« Dès septembre 2021, j'irai à la rencontre des entreprises pour recueillir un engagement à compenser 1 million de tonnes de CO2 équivalent, soit le bilan carbone annuel de 100.000 Français », a ainsi déclaré Barbara Pompili la semaine dernière.

Une cible qui s'éloigne peu à peu du prisme d'actions volontaires de la part des entreprises pour financer les projets, et s'aligne avec une nouvelle réglementation de la loi Climat - qui oblige par exemple le secteur aérien à compenser ses émissions d'ici à 2024. « Les compagnies pourront se servir de cet outil pour mettre en oeuvre ces compensations obligatoires », fait-on savoir au cabinet de la ministre. Face à cette perspective, le gouvernement ne manque pas de comparer les émissions évitées dans les forêts reboisées et celles émises par le secteur des transports :

« La replantation d'arbres sur 7,5 hectares » en Ardèche « correspond à la séquestration de 700 tonnes de CO2, soit 1 400 vols Paris New-York pour un passager ou 3,5 millions de km parcourus avec une voiture diesel », répète-t-il  à l'envi.

Dette carbone

Mais le procédé est loin de faire l'unanimité. En effet, alors qu'une forêt incendiée a émis tout le carbone qu'elle stockait, sa reconstruction ne signifie pas qu'elle en absorbera autant, et surtout pas tout de suite. Car les mécanismes d'élimination du carbone dans l'atmosphère sont complexes, et atteignent parfois jusqu'à des dizaines de milliers d'années. Entraînant un décalage temporel entre les émissions immédiates à compenser, et le temps nécessaire pour que les arbres stockent l'équivalent du carbone émis.

Lire aussi Faut-il planter des arbres pour compenser les émissions de carbone?

« Les mettre en parallèle avec des émissions actuelles, c'est soit un abus de langage, soit un problème de compréhension », estime Jonathan Guyot, président de l'association pour la préservation et la restauration des forêts All4Trees. « On est inquiets : cela fait vingt ans qu'on répète qu'on ne peut pas mettre en équivalence l'absorption de CO2 par les arbres (qui prennent des dizaines d'années à pousser) et les émissions fossiles qu'on relâche aujourd'hui », abonde Sylvain Angerand, coordinateur des campagnes à l'ONG Canopée Forêts Vivantes.

« Non seulement les entreprises peuvent en faire un argument marketing, mais surtout, cela empêche de poser la vraie question de la réduction des gaz à effet de serre. Tant qu'on continuera d'affirmer que planter des arbres équivaut à réduire ou éviter des émissions, on fera l'autruche », s'alarme-t-il.

Mais « il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain », avertit l'I4CE : les projets labellisés bas-carbone permettent au moins d'éviter les coupes rases, et d'avancer autour de logiques de régénération.« Ces secteurs ont besoin de financements, car les fonds publics ne suffisent pas. Certes, des entreprises peuvent en profiter, mais mieux vaut qu'elles soient encadrées par une certification aux vertus climatiques reconnues par l'Etat, plutôt que de laisser les acteurs privés créer leurs propres critères à des fins de communication. Tirer sur le label bas carbone, c'est se tromper de cible », assure Julia Grimault.

Un contrôle difficile

Reste que, même à un horizon de temps long, rien ne garantit que les forêts reconstituées stockeront bien un jour le CO2 émis. « Si elles sont exploitées par leurs propriétaires pour des besoins en bois énergie, par exemple, il y aura libération de CO2. Et au-delà, les incendies actuels montrent bien que ces espaces ne sont pas éternels, et peuvent disparaître du jour au lendemain », précise Jonathan Guyot. Or, scientifiquement, la neutralisation complète de l'effet climatique de l'émission d'une unité de CO2 implique sa séquestration pour une durée d'un siècle - un laps de temps difficile à garantir aujourd'hui.

« En Californie, des projets de plantation d'arbres ont été financés par des entreprises, avant que ces arbres ne soient décimés cet été par les incendies. Résultat : toutes les émissions absorbées potentielles vendues aux entreprises pour soi-disant compenser leur activités ont été relâchées à nouveau dans l'atmosphère », illustre All4Trees.

Business as usual

Mais si elle n'est « pas parfaite », la méthodologie est « robuste », et l'exploitation des espaces boisés par les propriétaires forestiers prise en compte dans le modèle, affirme le gouvernement. « Il est difficile de tracer si tout le carbone sera effectivement capté, mais quand on s'engage à planter X arbres, on vérifie qu'ils l'ont bien été », avance-t-on au cabinet de Barbara Pompili. Pour calculer les émissions évitées, un scénario de référence est établi, comparé au scénario que propose le projet bas carbone.

Une comptabilisation qui engendre un risque fort d' « aditionnalité », selon Alain Karsenty, économiste et chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) :

« Pour optimiser leurs forêts, beaucoup de porteurs de projet noircissent le tableau afin de prétendre avoir évité le pire, et donnent l'impression d'avoir fait beaucoup en comparaison avec ce scénario de business as usual », note le chercheur.

Afin d'éviter cet écueil, ce n'est jamais le propriétaire qui établit le scénario de référence, assure-t-on à I4CE. « On prend en compte l'usage de la terre qui a été fait jusque là, et on s'assure de l'absence de fonds publics pré existants ou d'un modèle rentable pour améliorer la situation sans financement supplémentaire », précise Julia Grimault.

Vision écosystémique

Reste que les scénarios de référence, qui correspondent au fait de « ne rien faire », et ceux d'une replantation sont difficiles à établir, notamment dans le cas d'une forêt incendiée. « Il n'est pas toujours bon pour la forêt de la restaurer. On va souvent choisir des essences rapides, qui vont séquestrer beaucoup de carbone et vite », fait valoir Alain Karsenty. Des choix qui ne sont pas forcément adaptés aux sols, aux ressources en eau, et aux conditions climatiques de demain, considère le chercheur. « Laisser la régénération naturelle se faire, mais de manière assistée, en désherbant ou en favorisant la libération de jeunes pousses prometteuses, coûte généralement moins cher que de reboiser et s'avère beaucoup plus efficace. Mais c'est plus long », ajoute-t-il. Et certainement moins vendeur.

« La question c'est : quelles forêts aurons-nous demain, dans un contexte de réchauffement ? Les enjeux sur les types de peuplements, la diversité des essences, doivent orienter prochaines reconstitution de ces écosystèmes. Il faut lutter contre la déforestation mais aussi contre la malforestation », alerte Jonathan Guyot.

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Marine Godelier

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Commentaires 3
à écrit le 03/09/2021 à 11:17
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CO2 ou autre gaz à effets de serre, pollution chimiques, l'éventualité d'une réduction à l'échelle mondiale : C'est MORT. Que dire d'autre? RIEN....Subir et s'adapter.

à écrit le 02/09/2021 à 21:44
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C'est une très bonne idée, bravo, la critiquer c'est de la démagogie car ne pas être conscient du monde qui nous entoure et de l'aliénation de notre classe dirigeante, entre le délit d'écocide et cette idée à la fois réaliste et pragmatique Macron es...

à écrit le 02/09/2021 à 9:13
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Le bas carbone, c'est la pauvreté. Si on veut diminuer les émissions de CO2, il faut appauvrir les citoyens. C'est ça qu'on veut ? Allons y alors

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