Les multinationales restent sourdes à l’appel de la forêt

La journée internationale des forêts, célébrée aujourd'hui, vise à rappeler leur rôle fondamental dans l'équilibre de la planète. Pourtant, les entreprises qui utilisent les principales matières premières responsables de la déforestation, ne tiennent pas leurs promesses, selon les ONG.
Giulietta Gamberini
157 sociétés ayant assuré qu'elles ne participeraient plus à la déforestation en 2020, plus de la moitié ont soit déjà complètement abandonné leur promesse, soit repoussé la date limite, soit réduit le périmètre de leurs engagements, révèle un rapport de l'ONG Global Canopy.
157 sociétés ayant assuré qu'elles ne participeraient plus à la déforestation en 2020, plus de la moitié ont soit déjà complètement abandonné leur promesse, soit repoussé la date limite, soit réduit le périmètre de leurs engagements, révèle un rapport de l'ONG Global Canopy. (Crédits : Reuters)

La déforestation mobilise l'opinion publique depuis des décennies. A la différence du réchauffement climatique survenu plus récemment, cette activité figure parmi les inquiétudes environnementales majeures depuis longtemps. Or, malgré les récents et terribles incendies au Brésil et en Australie, qui ont révélé une aggravation du danger, l'enjeu reste trop peu pris au sérieux par les multinationales et leurs investisseurs, dénoncent encore les ONG.

Plusieurs études pointent du doigt cette négligence. Dernière en date, "Forest 500", publiée début février par Global Canopy. Depuis 2014, l'ONG analyse les promesses des 350 plus grosses sociétés utilisant les six principales matières premières responsables de la déforestation (l'huile de palme, le soja, la viande de bœuf, le cuire, le bois et le papier), et de 150 institutions qui les financent. Le tout dernier bilan montre que 140 sociétés et 102 institutions financières n'ont pris aucun engagement public en la matière. Amazon, BlackRock, Samsonite, le groupe français Lactalis en font partie.

Un manque de transparence et d'action

"Forest 500" révèle aussi que moins d'un quart des sociétés et institutions financières analysées ont adopté des engagements couvrant l'ensemble des matières premières qu'elles utilisent ou financent. Et que sur 157 sociétés ayant assuré qu'elles ne participeraient plus à la déforestation en 2020, plus de la moitié ont soit déjà complètement abandonné leur promesse, soit repoussé la date limite, soit réduit le périmètre de leurs engagements. Une centaine d'entreprise, telles que Nike et Carrefour, ne publient d'ailleurs aucun rapport rendant compte de la mise en œuvre de leurs affirmations, dénonce l'ONG.

Une conclusion similaire est tirée dans une étude publiée en juillet 2019 par Carbon Project Disclosure. "Quelque cinq millions d'hectares de forêts sont défrichés chaque année, soit 15 terrains de football chaque minute", dénonce l'ONG -qui échange en partie ses données avec Global Canopy. Pourtant, "l'action de l'industrie est loin d'être suffisante", regrette CPD, dont le rapport pointe comme "Forest 500" un manque tant de transparence que d'action.

Juste avant Halloween, Rainforest Action Network dénonçait pour sa part la déforestation indirectement perpétrée en Indonésie par les principaux fabricants de bonbons et chocolats: les marques Nestlé, Mars, Mondelēz et Hershey's, qui utilisent de l'huile de palme en grande quantité.

L'ONG y déplorait "une lutte de plusieurs années pour amener ces entreprises à prendre leurs propres engagements au sérieux".

Les projets de reforestation critiqués

Pratiquée par un nombre croissant de multinationales pour compenser -souvent bon marché- leurs émissions carbone, et pour redorer l'image de leurs marques, la reforestation montre aussi ses limites. Non seulement le sérieux et l'efficacité des projets de plantations d'arbres sont souvent critiqués, mais leur nombre commence aussi à être insuffisant face à l'explosion de la demande, a récemment expliqué dans une enquête publiée pars Le Monde la journaliste Marjorie Cessac. Des groupes tels qu'Air France doivent ainsi se tourner vers des projets de "simple" "déforestation évitée".

Lire aussi: Le plan d'Air France pour compenser 100% de ses émissions de CO2 (pour ses vols intérieurs)

Sans compter le risque de greenwashing: compenser la déforestation est toujours moins efficace que diminuer les émissions de gaz à effet de serre (GES), soulignent experts et ONG. En donnant bonne conscience aux entreprises, la reforestation risque donc de ralentir la réduction des GES, rappellent-ils.

Les consommateurs et le législateur s'emparent du sujet

Ces incohérences environnementales finissent toutefois par pénaliser les entreprises négligentes qui ne prendraient pas en compte les nouvelles attentes des consommateurs. Ceux-ci sont en effet de plus en plus nombreux à éviter les produits contenant de l'huile de palme, voire de la viande, au nom de la lutte contre le réchauffement climatique et la déforestation. Et en France, le gouvernement s'est lui-même emparé du sujet, en adoptant fin 2018 une "Stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée" (SNDI).

Certes, de nombreuses ONG la considèrent trop peu contraignante, contredite par l'indulgence montrée vis-à-vis de la bio-raffinerie ouverte en 2019 par Total à La Mède (Bouches-du-Rhône) -qui utilise massivement de l'huile de palme-, et cette stratégie n'a toujours pas été suivi d'actions concrètes. Mais elle montre un premier signe du risque que les législateurs multiplient les contraintes réglementaires.

Les ONG, telles que Global Canopy, soutiennent d'ailleurs l'adoption de législations "sur le devoir de diligence, exigeant des entreprises qu'elles évaluent, préviennent, atténuent et signalent les risques de déforestation dans leurs chaînes d'approvisionnement et leurs opérations".

La pression des images satellitaires

Les entreprises reconnaissent d'ailleurs elles-mêmes "des risques commerciaux majeurs liés à la déforestation, tels que des dommages à la marque ou une modification des lois", note l'ONG Carbon Disclosure project.

D'autant que, la technologie vient ajouter une nouvelle pression. Drones, GPS, téléphones portables, applis sont autant d'outils redoutables de plus en plus utilisés par les populations locales afin de documenter la déforestation au quatre coins du monde. Et les images satellitaires contribuent de mieux en mieux à cette mission. L'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), la Californie, mais aussi plusieurs gouvernements locaux brésiliens y ont recours.

Lire: Plus petits qu'une boîte à chaussures, ces satellites permettent de lutter contre la déforestation

De leur côté, les investisseurs commencent aussi à changer d'approche. Aux Pays-Bas, le gérant d'actifs Robeco a ainsi lancé une collaboration avec l'entreprise Satelligence, spécialisée dans l'exploitation d'images satellitaires sur la déforestation. Son objectif est d'être mieux informé de l'impact sur la déforestation des entreprises qu'il finance, afin d'orienter désormais de manière plus propre ses investissements.

Giulietta Gamberini

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Commentaires 3
à écrit le 23/03/2020 à 9:11
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Le dragon céleste a besoin d'un arbre par repas afin de s'en faire un cure dent, c'est comme ça ce sont eux qui décident hein...

à écrit le 21/03/2020 à 21:21
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avec la crise actuelle, c est frait que la deforestation c'est un sujet qui fait mouche

à écrit le 21/03/2020 à 11:07
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Je ne comprends pas ce qu'on reproche à Amazon sur ce coup là. Faudrait t'ils qu'ils emballent les envois dans des sac et des caisses en matière plastique plutôt qu'en carton? Est ce que le "coût" des compensations écologique n'est pas déjà in...

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