Décarbonation des travaux publics : les majors du BTP se mettent en ordre de marche

Au premier plan de la construction des infrastructures, Vinci, Bouygues, Eiffage et Saint-Gobain viennent de présenter leurs résultats annuels 2021. Au moment même où la Fédération nationale des travaux publics auditionne le chef de l'Etat et les candidats à l'élection présidentielle sur leur volonté environnementale, chacune de ces quatre sociétés cotées au CAC 40 ou au SBF 120 annoncent de nouvelles initiatives en ce sens.
César Armand
(Crédits : Reuters)

Elles n'ont plus le choix. D'ici à 2030, les "majors" françaises du BTP devront avoir diminué leur empreinte carbone de 40% avant d'atteindre le zéro carbone en 2050. Ce sont les Vinci, Bouygues, Eiffage et Saint-Gobain dont le rôle est primordial dans la construction des infrastructures: canalisations, rails, routes, ponts et autres voies ferrées.

Pour connaître leur poids carbone et celui de l'ensemble du secteur, la Fédération nationale des travaux publics (FNTP), dont Vinci, Bouygues, Eiffage sont membres, a mandaté le cabinet de conseil Carbon4, l'agence d'accompagnement au développement durable Utopies ainsi que l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Surprise: l'acte de construire dans les travaux publics représente 3,5% des émissions de gaz à effet de serre (GES) françaises. Pire, les flux d'énergies et de personnes qui empruntent ces ouvrages - trains, véhicules... - pèse plus de 50% des GES. Soit 53,5% au total...

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Pour régler le problème, les trois équipes d'experts ont élaboré deux scénarios. Le premier est fondé sur la sobriété, c'est-à-dire la limitation des usages, des consommations et le développement des circuits courts et de la mobilité durable. Il coûterait 16,2 milliards d'euros par an d'ici à 2050, soit 486 milliards d'euros au total. La seconde hypothèse, basée sur les technologies, fait, elle, le pari de l'innovation, de l'hydrogène et de l'électrification massive des routes et de la métropolisation. Cette dernière reviendrait à 29,9 milliards d'euros par an, soit 897 milliards d'euros au cours des trente prochaines années.

Reste une question-clé: qui va payer la facture ? Les collectivités qui représentent 45% des marchés des travaux publics, dont 33% les communes et les intercommunalités ?  Les promoteurs immobiliers qui pèsent 35% de leur carnet de commande ? Les grands opérateurs (25%) type EDF, Enedis, SNCF... ? Ou les majors elles-mêmes ? La FNTP a interrogé ce 24 février le chef de l'Etat ainsi que les candidats à la présidentielle en ce sens.

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Pour Vinci, transition écologique rime avec performance économique

Hasard du calendrier: Bouygues et Eiffage ont présenté au même moment leurs résultats annuels, et ce trois semaines après Vinci. Après avoir annoncé une ambitieuse stratégie environnementale en janvier 2020, dévoilée en juin 2021, le géant du BTP et des concessions a depuis pris des engagements au travers de ses filiales immobilière et autoroutière. Pour la première, il s'agit d'atteindre la zéro artificialisation nette (ZAN) des sols avec vingt ans d'avance, soit dès 2030 ; pour la seconde, il est question d'écologiser les 12.000 kms de grands axes moyennant 60 à 70 milliards d'euros.

"Si nous voulons avoir une chance de décarboner le pays, il faut s'intéresser à la décarbonation de la mobilité, et d'abord à la mobilité routière et autoroutière qui représente 80% des déplacements", a souligné son Pdg Xavier Huillard, interrogé par La Tribune.

"Nous avons fait le calcul: le respect des engagements se fera à des conditions économiques raisonnables. Ce ne seront pas des capitaux à fonds perdus. La transition environnementale ne nécessite pas exclusivement de l'argent public mais génère de la performance économique. Nous nous sentons capables de le faire", a-t-il ajouté.

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2,2 milliards d'euros débloqués par Bouygues d'ici à 2024

Par la voix, à l'époque, de Martin Bouygues, son voisin du CAC 40 avait, lui aussi, dévoilé ses ambitions en ce sens dès février 2020, suivies en décembre 2020 d'une feuille de route pour chacun de ses cinq métiers rail-route, construction, immobilier, télécoms et médias. En ce 24 février 2022, Bouygues accélère en promettant une enveloppe de 2,2 milliards d'euros parmi ses dépenses 2022-2024 pour l'intégralité du groupe et sur les scopes 1, 2 et 3, c'est-à-dire les émissions directes et indirectes. Au menu notamment: moins de moteurs thermiques et davantage de béton bas-carbone.

"Nous y travaillons dans nos trois métiers de la construction avec toutes les conséquences que cela suppose sur nos organisations et nos façons de travailler. C'est très nécessaire et même si la France n'est pas aussi demandeuse que l'Angleterre par exemple, c'est le sens de l'histoire", a relevé le DG du groupe Olivier Roussat, interpellé par La Tribune.

"Nous sommes un membre très actif de la Fédération nationale des travaux publics (FNTP) et très bien représenté dans ses instances. Nous sommes alignés avec leurs propositions et cette démarche volontariste pour développer des solutions bas-carbone", a renchéri Pascal Minault, pdg de Bouygues Construction.

Le groupe au logo orange s'est en outre distingué en novembre dernier pour avoir racheté Equans à Engie, moyennant 7,1 milliards d'euros. Spécialisée dans les installations électriques, type chauffage, climatisation ou ventilation, ainsi que dans la mécanique, la robotique, le numérique et les services généraux, cette société compte 74.000 salariés répartis dans 17 pays et réalise près de 12 milliards d'euros de chiffre d'affaires.

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Eiffage publiera bientôt un 3ème rapport climat

Egalement engagé dans la lutte contre le dérèglement climatique depuis février 2020, le troisième groupe de BTP français, qui a publié son 2ème rapport climat en avril 2021, a déclaré avoir rehaussé ses engagements pris en 2020 "en alignant chacun de ses métiers sur la trajectoire climatique de 1,5°C", "en prenant l'engagement de neutralité carbone à horizon 2050" et "en démarchant le processus de validation de ses objectifs" auprès de la science-bases targets initiative, ce projet notamment porté par les Nations unies et WWF.

"Nous voulons moderniser nos engins, nos usines, nos bâtiments, en y projetant nos savoir-faire et nos solutions industrielles. Quand nous sommes maîtres d'ouvrage, nous devons imposer des choses. C'est une question de crédibilité bas-carbone. Le climat est pleinement intégré dans notre business model", a estimé le Pdg d'Eiffage, Benoît de Ruffray, sollicité par La Tribune.

Avant de publier "prochainement" son 3ème rapport climat, le patron a ainsi affirmé sa volonté de réduire d'ici à 2030 ses émissions d'au moins 46% sur les scopes 1 et 2, c'est-à-dire les émissions directes de gaz à effet de serre et les émissions liées aux consommations énergétiques. C'est 6 points de plus qu'en août dernier et 6 points de plus que l'objectif de 2030. "Sur l'électrification de notre parc par exemple, il vaut mieux être en avance, les paramètres évoluant à grande vitesse et amenant des investissements peut-être plus importants que sur un rythme classique ", a rétorqué Benoît de Ruffray. Pour le scope 3 amont, c'est-à-dire les émissions des fournisseurs, la baisse d'au moins 30% est confirmée.

"Nous savons faire plein de choses, mais tout dépend de la vitesse à laquelle nous le demandent nos donneurs d'ordre.  A court-terme, nous nous trouvons sur un chemin de crête pour accélérer: nous avons les solutions techniques, mais elles coûtent plus cher car n'étant pas suffisamment utilisées pour faire baisser drastiquement les coûts", a-t-il ajouté.

En attendant, Eiffage maintient ses investissements, de l'ordre de 100 millions d'euros par an à l'échelle du groupe, a rappelé son directeur financier Christian Cassagne.

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Saint-Gobain rehausse son prix du carbone

100 millions d'euros, c'est le même budget moyen annuel que consacre chaque année Saint-Gobain à la recherche et au développement pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Depuis la publication de sa feuille de route dédiée en novembre 2020, et même avant, le fabricant coté de verres et de matériaux de constructions multiplie les acquisitions en ce sens, à coup de milliards d'euros sur la table.

"Nous ne fabriquons pas le béton et le ciment, mais sachant que nous n'allons pas vivre un monde de la construction sans béton, nous leur permettons de décarboner leur offre", a l'habitude de répéter son directeur général Benoît Bazin.

C'est son credo : 75% des produits de son catalogue visent à réduire l'empreinte environnementale de ses clients, jusqu'à 1.300 millions de tonnes de CO2, soit 400 fois ses propres émissions. Dans cet esprit, le patron vient de doubler la part de l'électricité verte de 20% à 40% et de rehausser son prix du carbone, un levier économique permettant d'intégrer dans les prix du marché les coûts des dommages causés par ses propres émissions. De 50 euros, la tonne de carbone atteint les désormais 75 euros pour les investissements industriels et 150 euros pour la recherche et le développement.

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César Armand

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