La chaleur perdue en ville, un levier trop souvent oublié de la transition énergétique

Les énergies renouvelables ne constituent pas le seul levier pour accélérer la transition énergétique. De nombreuses sources de chaleur déjà présentes dans les villes peuvent être récupérées et réinjectées dans le réseau urbain. Grâce aux technologies existantes, la récupération de cette chaleur, aujourd’hui perdue, permettrait de diminuer de 20% la consommation de chaleur et climatisation des bâtiments collectifs, estime une étude de l’Institut national de l’économie circulaire.
Juliette Raynal
(Crédits : CHARLES PLATIAU)

Un filet de vapeur d'eau qui s'échappe d'une bouche d'égout l'hiver, un courant de chaleur issu des cuisines d'un restaurant, un autre courant chaud qui provient des fours d'une boulangerie ou des machines d'un pressing. En ville, les petites fuites de chaleur sont nombreuses et, la plupart du temps, inexploitées. Or, ces petits ruisseaux accumulés constituent un énorme gaspillage énergétique. Car s'ils étaient valorisés, ces "déchets énergétiques" permettraient de répondre aux besoins en chaleur d'autres acteurs de la ville. C'est ce que souligne une étude publiée ce jeudi 5 novembre par l'Institut national de l'économie circulaire (Inec), en partenariat avec France Energie, une PME mayennaise spécialisée dans la récupération de la chaleur en ville.

Ces gisements variés de chaleur sont appelés "chaleur fatale" ou "chaleur de récupération". Ces expressions désignent la chaleur résiduelle issue d'un procédé et non utilisée par celui-ci. Fin 2017, l'agence de la transition écologique (Ademe) s'était penchée sur la chaleur fatale issue des processus industriels démontrant son rôle clé pour la transition énergétique. Selon l'agence, cette perte de chaleur dans l'industrie représentait un potentiel de 109,5 TWh / an, soit l'équivalent de deux fois la consommation de la ville de Paris. En revanche, jusqu'à présent, aucune étude ne s'était attardée sur les gisements de chaleur non exploités en zone urbaine.

Des déchets énergétiques qu'on ne voit pas

Or, "les villes sont les lieux où l'on consomme le plus de chaleur. [Le résidentiel et le tertiaire représentant 42% de la consommation énergétique en France, contre 43% pour les transports et 9% pour l'industrie, ndlr]. Et c'est aussi là où on en perd le plus", souligne Emmanuelle Ledoux, directrice générale de l'Institut national de l'économie circulaire.

L'enquête propose une première évaluation de cette perte d'énergie à l'échelle d'un bâtiment mixant logements et activités tertiaires : 1,3 MWh de chaleur serait perdue par l'électroménager (sèche-linge...) d'un ménage de 3 personnes chaque année. La chaleur perdue dans les eaux usées représenterait, elle, 1,2 MWh par an. La chaleur perdue provenant des installations informatiques d'une entreprise oscillerait pour sa part entre 25 et 75 MWh par an. A titre de comparaison, un foyer français constitué de quatre personnes consomme en moyenne 14,7 MWh/an.

"En l'état actuel des technologies et du marché, la récupération de chaleur en ville permettrait de diminuer de 20% la consommation de chaleur / froid des bâtiments collectifs, pour contribuer aux objectifs de la transition énergétique", avance l'étude.

Les solutions technologiques sont là

"Nous ne sommes pas en attente de révolution technologique. Les solutions technologiques existent déjà et elles sont éprouvées", souligne Emmanuelle Ledoux.  Depuis plus de 30 ans, France Energie développe ainsi des "pompes à chaleur capables de récupérer de toutes petites quantités de chaleur disséminées dans la ville mais qui additionnées représentent un volume majeur pour nos enjeux de transition énergétique", explique son directeur général Henri Marraché.

Comment cela fonctionne ? Concrètement, deux tuyaux remplis d'eau font circuler la chaleur en circuit fermé. "La machine permet de capter une petite calorie comme source de chaleur et de la redistribuer dans une pièce où elle est nécessaire", explique le dirigeant. Au total, la PME en a installées quelque 200.000. France Energie a ainsi équipé les nouveaux locaux de la Banque de France, mais aussi la tour TF1, le siège de l'Oréal et bientôt celui de Canal +. L'entreprise souhaite désormais se renforcer sur le marché du logement et en équiper 5.000 par an à partir de 2025.

Ce système de pompe à chaleur, dont 80% des composants sont fabriqués en France, est particulièrement adapté pour les quartiers mixtes, dont les usages différents dans la journée améliorent la performance de la boucle d'eau : la chaleur accumulée pendant la journée dans les bureaux permet de chauffer les logements le soir.

Des ordinateurs-radiateurs

France Energie n'est pas la seule entreprise à travailler sur la circularité de la chaleur. La start-up Qarnot Computing s'est, quant à elle, spécialisée dans la valorisation de la chaleur fatale informatique. La jeune pousse propose une alternative écologique aux centres de données centralisés, très gourmands en énergies en raison de leur alimentation et de leurs besoins en refroidissement.

"Nous distribuons la puissance de calcul directement là où la chaleur est nécessaire", explique Quentin Laurens, responsable des relations publiques de Qarnot.

L'entreprise a deux types de clients : ceux qui ont besoin d'effectuer des calculs informatiques et ceux qui ont besoin de chauffage. "Les opérations de calculs de nos premiers clients tournent sur les machines de nos seconds clients. Et la chaleur des uns devient une ressource précieuse pour les autres", résume Quentin Laurens.

Un levier clé pour la transition énergétique

La jeune pousse a déjà installé quelque 1.500 ordinateurs-radiateurs et 40 chaudières numériques. Dès 2014, elle a équipé une bâtiment collectif dans le 15ème arrondissement de Paris. A Bordeaux, un bâtiment neuf, comprenant bureaux et logements, est entièrement chauffé par ses ordinateurs. En Finlande, sa technologie permet d'alimenter des réseaux de chaleur et à Nantes elle permettra bientôt de chauffer l'eau des douches publiques d'un bâtiment.

"La boucle locale d'énergie est probablement une piste essentielle pour atteindre les objectifs [de transition énergétique, ndlr] de demain", estime, pour sa part, Olivier Richard, responsable de l'environnement, de l'énergie et des réseaux à l'Atelier parisien d'urbanisme.

Pour rappel, la loi Royale vise 32% d'énergies renouvelables et de récupération en 2030 à l'échelle nationale, contre 16% en 2018. La ville de Paris s'est, quant à elle, fixée un objectif plus ambitieux avec 100% d'énergies renouvelables et de récupération à l'horizon 2050, dont 20% doivent être produites localement. Une dimension de proximité pour laquelle l'exploitation de l'énergie fatale devrait être déterminante alors que 90 à 95% des bâtiments déjà construits aujourd'hui seront encore là dans 30 ans. "Il faut travailler sur la ville qui existe", insiste Olivier Richard.

Une stratégie nationale

Partant de ces constats, l'Inec estime que la récupération de chaleur en ville doit être une priorité pour accélérer la transition énergétique. L'organisme déplore que ce levier soit largement oublié des politiques publiques, qui mettent davantage l'accent sur la production d'énergies renouvelables.

"Face à ce gaspillage, il n'y a pas de réponse politique à la hauteur. Il faut cibler cette énergie disponible dans l'espace urbain, qui aujourd'hui n'est pas exploitée, ni réinjectée dans le système", regrette François-Michel Lambert, président de l'Inec et député des Bouches du Rhône.

Le parlementaire plaide pour la mise en place d'une stratégie nationale s'appuyant sur plusieurs leviers, comme la fiscalité et la réglementation, pour pousser les élus locaux à se saisir de cette opportunité.

"La France doit devenir le leader européen de la récupération de l'énergie en ville", insiste-t-il. Pour rendre ces initiatives plus "sexy" et visibles aux yeux des Français, François-Michel Lambert évoque la mise en place d'un système de labellisation des communes en fonction "de leur gaspillage ou non de l'énergie sur leur espace".

Juliette Raynal

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Commentaires 2
à écrit le 08/11/2020 à 9:36
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Le problème majeur étant que la chaleur devient de moins en moins rare. Regardez nos saisons comme elles se sont largement réchauffées toutes...

à écrit le 06/11/2020 à 10:25
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Et un débat sur l'éclairage urbain et rural de façon général, ne pourrions nous pas au moins économiser la moitié de cette énergie ?

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