La portée stratégique de la loi climat mise en cause par le Haut Conseil (HCC)

Selon l'instance consultative indépendante, la compatibilité du projet de loi, présenté en Conseil des ministres le 10 février, avec la stratégie nationale bas carbone de la France est non seulement peu claire, mais également limitée. Elle appelle les parlementaires, qui ont commencé l'examen du texte, à corriger ce défaut.
Giulietta Gamberini
A la différence de nombreuses prises de positions d'autres institutions ou ONG, son avis ne ne juge pas la portée et la reprise des mesures proposées par la Convention Citoyenne pour le Climat, met en garde le HCC.
A la différence de nombreuses prises de positions d'autres institutions ou ONG, son avis "ne ne juge pas la portée et la reprise des mesures proposées par la Convention Citoyenne pour le Climat", met en garde le HCC. (Crédits : CHARLES PLATIAU)

La France est en retard par rapport aux objectifs de réduction des gaz à effet de serre qu'elle s'est elle-même fixés. Et la prochaine décennie sera cruciale afin d'engager les changements structurels nécessaires afin de redresser la trajectoire. Pourtant, le projet de loi "portant sur la lutte contre le dérèglement climatique et le renforcement de la résilience face à ses effets" (dit projet de "loi climat et résilience"), présenté en Conseil des ministres le 10 février, et que le Parlement a commencé à examiner, peine à s'inscrire dans la stratégie nationale bas carbone (SNBC) de la France.

C'est la conclusion à laquelle parvient le Haut Conseil pour le climat (HCC) dans l'avis qu'il publie mardi 23 février sur le projet de loi. Elaboré dans des délais trop courts pour permettre une analyse détaillée de chaque disposition, cet avis se propose néanmoins d'évaluer la contribution du texte dans son ensemble à la transition bas-carbone de la France, en amont du processus législatif afin de permettre aux députés et sénateurs d'en tenir compte lors de leur examen. A la différence de nombreuses prises de positions d'autres institutions ou ONG, "il ne ne juge pas la portée et la reprise des mesures proposées par la Convention Citoyenne pour le Climat", met donc en garde le HCC. Il se penche en revanche aussi sur l'évaluation du projet de loi au regard des enjeux climatiques, menée par le gouvernement lui-même dans son étude d'impact.

Un manque de clarté sur la valeur ajoutée des mesures

Selon l'avis, la portée stratégique du projet de loi est non seulement pas claire, mais également limitée. Seule une vingtaine de mesures qu'il contient, soit 32% de ses articles, ont en effet fait l'objet d'une évaluation quantitative de leur contribution à la réduction des gaz à effet de serre (GES). Or, même pour celles-ci, un  défaut de transparence de l'étude d'impact empêche d'en comprendre clairement l'impact sur les budgets carbone français. Quant aux mesures plus difficiles à évaluer quantitativement, puisque leur effet sur la réduction des GES est surtout indirect ou lié à d'autres dispositifs, le gouvernement aurait dû au moins détailler leur valeur ajoutée par rapport aux diverses orientations de politiques publiques de la SNBC, ainsi que les mesures complémentaires nécessaires pour atteindre les objectifs français. Mais ces explications sont insuffisantes, estime l'instance consultative indépendante.

Globalement, l'étude d'impact ne se risque en outre à aucune évaluation de l'impact global du projet de loi sur la trajectoire des émissions de GES de la France, regrette le HCC. Quant à la seule conclusion partagée par le gouvernement à ce sujet, selon laquelle le projet de loi contribuerait à "sécuriser l'atteinte d'entre la moitié et les deux tiers du chemin à parcourir entre les émissions en 2019 et la cible en 2030", les données sur lesquelles elle se fonde restent floues, souligne le Haut Conseil.

Des périmètres d'application trop limités

Au-delà de leur clarté, les effets potentiels des mesures prévues dans le projet de loi sur la réduction des GES sont en outre souvent diminués en raison de leurs champs, conditions ou délais d'application, regrette le rapport, en citant plusieurs exemples.

Ainsi, "quatre mesures du projet de loi constituent des expérimentations de pratiques déjà existantes mais qui n'ont pas vocation à être généralisées avant 2023 (articles 9 'Oui Pub', article 12 'Consigne pour le verre', article 28 'voies pour les transports collectifs/covoiturage' et article 59 'choix végétarien dans la restauration collective publique')', note le HCC.

"L'article 36 portant sur la fin du trafic aérien sur les vols intérieurs là où il existe une alternative bas carbone en moins de 2h30 concerne huit liaisons qui ne représentaient en 2019 que 10% du trafic de passagers aérien métropolitain (2,6 millions de voyageurs concernés sur 26,8 millions pour l'ensemble des liaisons aériennes métropolitaines)", ajoute-t-il.

Ces limites représentent "une opportunité manquée pour accélérer la réduction des GES", regrette la présidente du Haut Conseil, Corinne Le Quéré.

Sans compter que la portée de certaines mesures dépendra de leurs décrets d'application, alors que les effets des mesures de pilotage et de conduite de la transition bas carbone (nouvelles compétences de collectivités territoriales, nouveaux objectifs programmatiques etc.), saluées par le HCC, dépendra des actions concrètes qu'elles permettront d'engager.

Les parlementaires appelés à "compléter et améliorer"

Le Haut Conseil pour le climat appelle donc le Parlement à "mieux inscrire les mesures retenues dans l'approche plus large de la stratégie de décarbonation, afin de rattraper le retard de la France sur sa trajectoire d'émissions et de respecter les prochains budgets carbone", en réservant par ailleurs "une attention particulière" "au calendrier de mise en œuvre des actions" permettant de tenir le rythme fixé.

"Pour cette dernière grande loi de la législature sur le climat", il incite même les députés et sénateurs à "compléter et améliorer la portée des mesures proposées", en signalant par ailleurs l'impact supposé de leurs amendements quant à l'objectif national de neutralité carbone. Dans deux domaines où il a pu conduire une analyse plus approfondie de la portée des dispositions de la loi climat, les articles sur l'affichage environnemental et sur le secteur du bâtiment, il leur suggère même des améliorations concrètes.

Le but est d'obtenir une portée de la loi "la plus large possible" par rapport à la stratégie climatique française, résume Corinne Le Quéré.

La loi devra également intégrer son dispositif de suivi et d'évaluation, note l'étude. Et une fois qu'elle sera promulguée, le HCC appelle enfin le gouvernement à mettre à jour l'étude d'impact, afin de guider la préparation des décrets d'application, ainsi qu'à s'assurer de la compatibilité de ces derniers avec les budgets carbone de la France.

Giulietta Gamberini

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Commentaires 4
à écrit le 23/02/2021 à 13:14
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Pourquoi, ils pensaient que ce projet de loi climat allait aboutir à quelque chose ? Macron a réuni 150 gus tirés au sort histoire d'occuper le terrain médiatique ,point.

à écrit le 23/02/2021 à 11:52
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En politique cela s'appelle la différence entre le tourisme et l'immigration.

à écrit le 23/02/2021 à 10:14
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L'axe de la loi est d'exploiter financièrement les conséquences sans s'attaquer au cause des problèmes pour ne pas perturber les rentes existantes!

à écrit le 23/02/2021 à 8:59
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Tant que l'on s'interdit, du fait du dogme cupide des saigneurs financiers, d'imposer du protectionisme afin de générer une nouvelle économie moins polluante on s'empêche de se procurer les outils nécessaires à sa réalisation. Et quand un moteur ...

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