Le Grand-Est se voit comme territoire pilote de la transition énergétique

Féminisation des filières industrielles, sobriété énergétique, souveraineté et croissance des entreprises : lors de l'étape strasbourgeoise de la tournée Transformons la France au cœur des régions, des élus, décideurs et acteurs de l'économie ont débattu des enjeux du développement économique du Grand-Est. Cette matinée d'échanges, le 5 avril dans l'hémicycle du Conseil régional du Grand-Est, apporte un éclairage inédit.
Gilles Pouret (à droite), directeur régional Grand-Est de TotalEnergies, s’est entretenu avec Martin Delavenne, journaliste, lors de l’étape strasbourgeoise de la tournée « Transformons la France au cœur des régions » le 5 avril à Strasbourg.
Gilles Pouret (à droite), directeur régional Grand-Est de TotalEnergies, s’est entretenu avec Martin Delavenne, journaliste, lors de l’étape strasbourgeoise de la tournée « Transformons la France au cœur des régions » le 5 avril à Strasbourg. (Crédits : Georges Vignal)

L'industrie représente 20 % du PIB de la région Grand-Est et près de 300.000 emplois. Ce particularisme est aussi une affaire de talents. Quelle est la place des femmes dans les filières dominantes de l'économie régionale ? A l'occasion des débats de « Transformons la France au cœur des régions » le 5 avril à Strasbourg, Séverine Sigrist, fondatrice et présidente de Defymed a porté un message d'équité. « Il y a un verrou psychologique. Une femme se demande si elle va parvenir à concilier sa vie professionnelle et sa vie personnelle. On a un devoir de dire aux femmes qu'elles vont y arriver », a rappelé cette dirigeante d'entreprise strasbourgeoise, ancienne présidente du pôle Biovalley qui fédère les industries de la biotech et de la pharmacie en Alsace. « Les femmes auront bientôt une place essentielle dans la bioproduction, un métier dans lequel les exigences de qualité sont très élevées, mais qui n'est pas assez couvert par les formations », a prévenu Séverine Sigrist.

Pour Eric Gnaedinger, directeur de l'école polytechnique de l'Université de Lorraine (Polytech Nancy), il s'agit de « redorer le blason de l'industrie ». « Certains domaines attirent davantage que les domaines purement industriels, qui ont du mal à recruter. On a du mal, aussi, à recruter des élèves dans notre école alors que les entreprises sont en demande d'ingénieurs ! » a-t-il témoigné. Depuis près d'une décennie, les effectifs féminins de Polytech Nancy plafonnent à 20 %. « Il y a une évolution, mais ce n'est pas suffisant. On a l'impression d'être arrivés à un plafond de verre », a reconnu Eric Gnaedinger.

Le vecteur de l'énergie

« Le Grand-Est est une terre d'énergie avec trois centrales nucléaires, une terre d'hydroélectricité, d'énergies renouvelables et de réseaux de chaleur. On produit deux fois et demi ce qu'on consomme dans de Grand-Est », a calculé Jean-Michel Deveza, Délégué Régional EDF Grand Est. « Le Grand-Est est la première région en puissance installée en production renouvelable, avec 5.600 mégawatts en éolien et en solaire », a confirmé Jean-Baptiste Arnould, délégué à l'action régionale Grand-Est d'Enedis. La loi d'accélération des ENR, qui prévoit une multiplication de ces installations, a été anticipée par le Grand-Est : 26 installations d'auto-consommation collective sont déjà en service dans ses collectivités.

« Le Grand-Est est la région la plus dynamique en termes de production d'énergies renouvelables », a observé Gilles Pouret, directeur régional de TotalEnergies. « D'un point de vue géographique, le Grand-Est est particulièrement intéressant pour l'éolien. Il y a une cinquantaine de sites de production d'énergies renouvelables, solaires ou éoliennes, qui représentent la consommation de 400.000 habitants », a indiqué Gilles Pouret.

Pour accompagner cette transition énergétique, Amandine Aubert, présidente de la société d'ingénierie EcoGreenConcept, propose une solution. « La crise énergétique a accéléré la demande », a constaté la dirigeante de cette entreprise qui élabore des solutions industrielles sur mesure pour la récupération d'énergies fatales. « Nous avons accompagné des industriels de l'agro-alimentaire comme Meteor et Heineken, des équipementiers automobiles comme Punch à Strasbourg. On aboutit à des réductions de consommation de gaz autour de 15 % et à des TRI entre deux ans et cinq ans. C'est un excellent investissement. La décarbonation, c'est aussi de la rentabilité », a promis Amandine Aubert.

Denis Boudailliez, vice-président de la production en Europe du groupe belge John Cockerill, porte depuis deux ans à Thann (Haut-Rhin) un projet d'investissement dans une usine d'électrolyseurs alcalins. Ces équipements sont destinés à la production d'hydrogène vert. « L'objectif est de démarrer l'usine à la fin de l'année 2023. Nos clients sont des grands groupes qui cherchent à décarboner. Ce marché va continuer à croître. Il faudra investir dans des extensions, voire de nouvelles usines dans les mois à venir », a déjà prévu Denis Boudailliez.

Les réseaux des énergéticiens traditionnels se sont aussi adaptés à la transition énergétique. « Nos réseaux distribuent du gaz qui devient de plus en plus renouvelable », a témoigné Emmanuel Connesson, directeur territorial de GRDF dans le Grand-Est. « L'impulsion a été donnée il y a une dizaine d'années. Nous sommes passés d'un modèle où l'on importait la totalité du gaz à une production locale, décarbonée à partir de déchets de la filière agricole, de l'industrie ou de stations d'épuration. Le grammage en CO2 tombe ainsi à 44 grammes. Avec le gaz traditionnel, on se situe à plus de 220 grammes », a rappelé Emmanuel Connesson. « Avec ce biogaz, nous sommes la seule énergie renouvelable en avance sur les objectifs fixés par la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). La région Grand-Est y est pour quelque chose : elle est leader avec 102 sites qui injectent l'équivalent d'1,9 terawattheure de production. Le biogaz couvre déjà 7 % de la consommation de ce territoire. Dans quelques mois, on sera à 16 %. A l'échelle du territoire Grand-Est, les importations de gaz de Russie seront intégralement compensées par le biogaz », a déjà calculé Emmanuel Connesson.

L'exemple des ETI

Sur le terrain de la transition énergétique, les entreprises de taille intermédiaire (ETI) veulent montrer l'exemple. De Dietrich, spécialiste de l'équipement industriel pour la chimie et la pharmacie, met l'accent sur ses investissements verts (panneaux photovoltaïques, digitalisation des ateliers) pour pérenniser en Alsace son activité historique de chaudronnerie. « Nous avons lancé un plan de transformation de notre entreprise qui porte sur 30 à 40 millions d'euros. La RSE constitue une partie importante, qu'on ne néglige pas », a rappelé Frédéric Burg, directeur financier de cette entreprise dont l'actionnariat vient de redevenir 100 % familial, et qui renoue avec la croissance.

« Quand on valorise les ambitions d'une entreprise, on parle souvent de la croissance du chiffre d'affaires. Mais ça, c'est le monde d'hier », a tranché Anne Leitzgen, présidente du fabricant de cuisines Schmidt Groupe à Lièpvre (Haut-Rhin). « La croissance n'est pas une finalité en soi. Elle doit d'abord être vertueuse. Elle doit aussi être le fruit d'un vrai engagement environnemental, social et sociétal. Nous estimons que nous nous inscrivons dans un territoire, par des collaborations avec des sous-traitants dans la région. Les jeunes peuvent bouger la donne sur le sujet du carbone dans l'industrie, où il y a des métiers géniaux », a promis Anne Leitzgen.

Décomplexer les relations internationales

« Le développement économique est plus que jamais un enjeu de souveraineté qui implique une action renforcée entre l'Etat et le Conseil régional », a rappelé Josiane Chevalier, préfète de la région Grand-Est. « Nous avons réussi à créer dans le Grand-Est un modèle dans un esprit collectif. Depuis la crise sanitaire, nous ne cessons de vivre des crises inédites. Ces crises ont montré à quel point notre capacité industrielle est étroitement liée à notre souveraineté et à notre résilience. La souveraineté passe par une indépendance productive dans des secteurs stratégiques comme la santé ou l'énergie. Notre rôle est d'être en accompagnement des entreprises à travers le mode projet. Les procédures administratives ont été parfois considérées comme des contraintes, mais elles sont aussi des atouts pour protéger les citoyens et répondre à une forme d'acceptabilité sociale des projets. Pendant la crise du Covid, nous avons créé dans le Grand-Est le travail inédit du Business Act, qui connaît déjà une deuxième version et qui en connaîtra probablement une troisième. Il faut être en capacité de proposer l'offre foncière, l'accompagnement administratif, l'ingénierie financière. Cela commence à être perçu par les investisseurs, y compris par des allemands qui se disent que l'administration française est plus simple que la leur. Il faut parfois être décomplexé par rapport à nos voisins », a proposé Josiane Chevalier.

« Le marché unique européen a été un formidable accélérateur pour notre économie régionale », a confirmé Franck Leroy, président du Conseil régional du Grand-Est. « Le Grand-Est est l'une des premières régions exportatrices françaises. On exporte énormément vers nos pays voisins. On partage avec les allemands l'orientation commune d'une Europe qui rayonne. Le Grand-Est intéresse énormément les investisseurs étrangers parce qu'il mêle les compétences des différents pays. Dans le domaine de la transition écologique, ce territoire recèle de grandes compétences et de grandes capacités d'innovation », veut croire Franck Leroy.

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