Le projet peu ambitieux de l'Union européenne pour certifier la séquestration de CO2

Afin d'atteindre la neutralité carbone annoncée par l'Union européenne pour 2050, la Commission européenne a annoncé, fin 2022, un projet de certification volontaire de stockage carbone. Le cadre de ce projet sera, au mieux, établi en 2024 avant les nouvelles élections européennes. Une nouvelle méthodologie qui manque d'ambition, selon les associations, et qui vient se superposer au Label bas-carbone en France. Explications.
L'objectif de l'Union européenne est d'augmenter de 25% le captage de carbone dans les sols et les forêts en Europe d'ici 2030.
L'objectif de l'Union européenne est d'augmenter de 25% le captage de carbone dans les sols et les forêts en Europe d'ici 2030. (Crédits : Reuters)

Et un de plus ! La Commission européenne a présenté publiquement, fin novembre 2022, une proposition de certification volontaire de séquestration de CO2, et uniquement ce gaz à effet de serre, dans certaines pratiques agricoles ou certains matériaux tel que le bois. « Nous espérons parvenir à un accord européen sur le cadre général de la certification d'ici 2024 », précise la Commission européenne. Les méthodes pour certifier seront discutées dans le courant de l'année 2023 grâce à des groupes d'experts, constitués de scientifiques, de membres de la Commission et d'industries.

Une mesure qui vient s'additionner aux contraintes des agriculteurs français, déjà soumis au Label bas-carbone. Difficile de s'y retrouver, d'autant que le cadre de certification proposé par la Commission européenne reste très léger dans ses ambitions. Les associations se disent « déçues » et dénoncent un projet « peu clair » susceptible d'alimenter le greenwashing de certaines entreprises.

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Valoriser la séquestration, pas la réduction

Afin d'atteindre son objectif de neutralité carbone d'ici à 2050, l'Union européenne souhaite mettre l'accent sur la séquestration volontaire durable de CO2. Pour cela, elle mise sur trois pilier fondamentaux : développer le stockage du carbone dans les sols agricoles, encourager les pratiques qui augmentent la séquestration comme l'agroforesterie, et promouvoir une nouvelle chaîne de valeur industrielle pour le captage notamment via les matériaux de construction en bois. Problème : ce cadre n'implique que la séquestration, pas la réduction d'émissions de CO2. « Un non-sens environnemental » pour Farm Europe.

« Cette impossibilité de valoriser les réductions d'émissions agricoles en plus du stockage de carbone constitue selon nous un vrai frein : si seul le carbone séquestré peut être valorisé dans le dispositif européen, il sera plus difficile pour les agriculteurs de couvrir le coût de leurs projets », déplore Loïg Chesnais-Girard, président de la région Bretagne et membre du Comité européen des régions.

En effet, les agriculteurs ont bien du mal à compenser les coûts investis dans des changements de techniques agricoles pour le stockage. Une faille concédée par la Commission européenne elle-même, qui estime que « le rapport coût/bénéfice sera à l'équilibre pour les secteurs forestiers et industriels, mais qu'il sera plus complexe pour le secteur agricole ». D'autant que seul le CO2 est valorisé, pas le méthane et le protoxyde d'azote (N2O), deux gaz très courants en agriculture.

Pour parvenir à convaincre les agriculteurs d'investir dans ces projets, les méthodologies de quantification de carbone et de financement, discutées actuellement, sont cruciales.

Les associations ainsi que le Comité européen des régions estiment que le mieux serait de rémunérer le changement de pratique plutôt que la quantité de carbone stockée.

Actuellement, certains projets peuvent coûter aux agriculteurs français jusqu'à 100 euros la tonne de gaz réduite ou séquestrée, selon les études du Label bas-carbone. La Commission rappelle quant à elle que les projets carbone sont bénéfiques pour les agriculteurs en termes de services écosystémiques sur la durée.

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Gérer la séquestration du carbone sur le long terme

Sur la durée justement, cet outil de mesure de séquestration pose la question du stockage sur le long terme. Car la Commission souhaite inscrire la durabilité dans ses méthodes de certification. « C'est difficile de garantir à long terme, l'idée est de mettre en place un certificat temporaire qui sera revu régulièrement », a expliqué la Commission européenne, sans toutefois donner plus de détails quant à la fréquence des évaluations ni une quelconque sanction en cas de non respect de cette certification.

« Qui va être responsable si dans quelques années, le carbone est relargué dans l'atmosphère ? Cela pose des questions au niveau éthique », regrette Fabiola De Simone, experte en politiques climatiques et séquestration carbone pour l'association Carbon Market Watch.

Même son de cloche du côté du Comité européen des régions qui estime « peu attractif » pour les acheteurs la limite de temps de ces carbone stockés.

Objectif : harmoniser les certifications

Si cette proposition soulève plusieurs incohérences, l'ensemble des parties prenantes saluent toutefois une volonté d'harmonisation au niveau européen. La Commission estime d'ailleurs que « des systèmes publics et privés, tels que les marchés volontaires du carbone, certifient les pratiques de stockage agricole du carbone, mais les approches qu'ils appliquent pour quantifier leurs avantages pour le climat sont très variées ».

Pour Claudine Foucherot, directrice de programme agriculture à l'Institute for Climate Economics (I4CE), ce cadre unique de certification volontaire permettrait notamment aux agriculteurs de s'y retrouver plus facilement. « L'un des principaux intérêts de ce projet, c'est de faire le tri. »

Quid du Label bas-carbone en France ?

Reste une autre inconnue dans cette proposition : quid des certifications déjà existantes comme le Label bas-carbone en France ? Cette méthodologie, lancée en 2019 par le ministère de la Transition écologique et solidaire, est le premier cadre de certification climatique volontaire sur le territoire national. Il permet de rémunérer les projets de séquestration et de réduction d'émissions carbone en France. La question de son avenir se pose si l'Union européenne venait à mettre en place un nouveau programme de certification. Problème : le programme européen est beaucoup moins ambitieux que celui déjà mis en place en France.

« Si le périmètre du cadre européen n'évolue pas, il n'y a pas d'intérêt pour la France. Il faut bien réguler la transition pour que les agriculteurs français ne soient pas perdants à basculer vers une certification européenne », explique Claudine Foucherot.

La Commission européenne souligne que ce cadre est volontaire et qu'il n'engage que les États qui souhaiteront le rejoindre. Les agriculteurs pourront toujours être labellisés selon le Label bas-carbone, surtout s'ils sont déjà engagés dans ce processus.

Enfin, la dernière inconnue reste la vente de ces crédits certifiés. Là encore, il n'est pas précisé dans quelle mesure les entreprises pourront acheter ces crédits afin d'atteindre la neutralité carbone. La Commission européenne précise :

« Nous sommes agnostiques là-dessus. Ce cadre pourra être soutenu par différents acteurs, publics ou privés mais, pour le moment, le financement n'est pas encore discuté. »

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Commentaire 1
à écrit le 18/01/2023 à 7:48
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Pourquoi l'Europe s'entête-t-elle dans cette chasse au CO2, alors que tous les scientifiques sont d'accord pour dire que c'est fichu pour le climat ? C'est inexplicable

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