Marianne Laigneau : "Le projet Hercule n'envisage pas du tout l'ouverture du capital d'Enedis"

Achèvement du programme d'installation des compteurs intelligents Linky, accélération des énergies renouvelables, de l'autoconsommation et de la mobilité électrique. Dans un entretien à La Tribune, Marianne Laigneau, présidente du directoire d'Enedis, filiale à 100% d'EDF, détaille les chantiers 2021 du réseau de distribution d'électricité devenu "Enedis gère aujourd'hui le plus grand parc européen d'objets connectés". Sur le projet Hercule de réorganisation d'EDF, elle rappelle que "le schéma de réorganisation n'envisage pas du tout l'ouverture du capital d'Enedis".
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE : 30 millions de compteurs Linky ont été installés en France. Quel bilan tirez-vous de ce programme ?

Marianne Laigneau : C'est une formidable réussite industrielle et technologique. En 2019, au plus fort du déploiement, chaque semaine Enedis équipait l'équivalent d'une ville comme Saint-Etienne. Aujourd'hui, quatre foyers sur cinq sont équipés grâce à la formidable mobilisation depuis plusieurs années de nos équipes que je salue. Fin 2021, on arrivera à 35 millions de compteurs communicants installés. 90% des foyers seront alors équipés. Ce sera la fin du déploiement massif et les installations se feront ensuite au fil de l'eau chez nos clients. C'est exactement ce qui avait été envisagé au début du programme, en 2016, et il n'est pas si fréquent dans l'industrie d'avoir un projet aussi important et ambitieux qui arrive à terme, dans les temps et dans les coûts. Nous avons même été un peu plus performants car le budget final sera de 4 milliards d'euros, alors que le budget initial était légèrement supérieur à 4 milliards. Enedis gère aujourd'hui le plus grand parc européen d'objets connectés et chaque jour 40.000 téléopérations sont réalisées pour servir nos clients grâce à Linky. Cela représente un million de prestations effectuées à distance chaque mois.

Par ailleurs, Linky est un programme industriel qui crée de l'emploi et qui contribue au développement local. 10.000 emplois directs et indirects ont ainsi été créés en France. Il y a une véritable filière industrielle qui s'est construite autour de Linky. Nous travaillons ainsi avec une cinquantaine d'entreprises partenaires.

Le prix de l'électricité va augmenter et l'électrification des usages aussi. Comment Enedis peut aider les Français à limiter la hausse de leur facture ?

M.L : Même si le prix de l'électricité a augmenté ces dernières années, la France reste un des pays où l'électricité est la moins chère en Europe. Le prix y est à peu près 15% inférieur à la moyenne européenne. Sur cette facture : un tiers correspond aux coûts d'utilisation des réseaux, un autre tiers aux taxes. Le dernier tiers correspond au produit lui-même : la production et la fourniture d'électricité. S'agissant de la partie acheminement, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) vient de retenir une hausse annuelle de 1,39% pour le réseau public de distribution, inflation comprise. Cela doit permettre de financer la transition écologique qui nécessite énormément d'investissements. Chez Enedis, nous prévoyons d'investir 69 milliards d'euros d'ici à 2035 pour rendre la transition écologique possible. Ces investissements ont évidemment un impact sur la facture, mais un impact modéré puisque cela devrait se traduire par une hausse de 15 euros à partir de 2024, par rapport à la facture de 2019.

Cela reste bien évidemment un point sensible dans le contexte économique et social actuel, mais Enedis est un service public solidaire engagé et responsable. Et, grâce à Linky, nous permettons aux Français de mieux gérer leur consommation d'énergie. Trois Français sur quatre jugent ainsi le compteur Linky utile pour le suivi de leur consommation et 7 millions de clients suivent aujourd'hui leur consommation en ligne. Selon une étude de l'Ademe, 10% à 12% d'économies peuvent être réalisées grâce aux écogestes simples fondés sur les données du compteur Linky.

Les clients réalisent également des économies dans le cadre des prestations qui sont désormais opérées à distance. Pour augmenter la puissance d'un compteur, le prix payé par le client a été divisé par 10, passant de 37 à 3,7 euros. Pour faire une mise en service, le prix a été divisé par deux. Les clients équipés du compteur Linky peuvent également bénéficier des offres tarifaires (heures creuses, offre verte, week-end, etc.) proposées par les fournisseurs.

Quel rôle joue Enedis dans le développement des renouvelables ?

M.L : 90% des sites de production d'énergies renouvelables en France, comme les panneaux photovoltaïques et les champs éoliens, sont raccordés au réseau public de distribution géré par Enedis et qui appartient aux collectivités locales. Seules les grandes fermes éoliennes offshore ou les très grandes fermes solaires sont raccordées au réseau à très haute tension de RTE. Cela représente 24 GW de renouvelables ou 460.000 sites de production solaire et éolienne raccordés au réseau de distribution électrique. Et, chaque année, ce sont 30.000 nouveaux producteurs d'énergies renouvelables que nous raccordons. Ils représentent 10% des raccordements annuels. La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) prévoit de passer de 2 à 4 GW de nouvelles puissances raccordées par an d'ici à 2028, soit plus d'un million de sites. C'est un enjeu colossal pour nous et pour les territoires.

Les énergies renouvelables continuent de se développer, mais à un rythme insuffisant pour tenir les objectifs fixés par la PPE selon le dernier baromètre Observ'ER. Quel levier peut actionner Enedis pour contribuer à rattraper ce retard ?

M.L : La vitesse de croissance des énergies renouvelables dépend d'un certain nombre d'éléments sur lesquels Enedis n'intervient pas, comme la production, la taille des appels d'offres de la CRE, les incitations fiscales ou encore les questions liées au foncier. En revanche, ce que l'on peut faire de notre côté, c'est d'être au rendez-vous sur les raccordements. C'est l'un des fondamentaux de notre mission de service public et nous avons pour ambition de diviser les délais de raccordement par deux d'ici à la fin 2022. Les délais de raccordement des énergies renouvelables sont notre priorité.

L'autoconsommation individuelle et collective reste encore peu développée en France par rapport à d'autres pays voisins, comme l'Allemagne. Comment Enedis peut favoriser son développement ?

M.L : L'autoconsommation s'est développée plus tardivement en France, mais elle connaît aujourd'hui un vrai engouement. On comptait, en 2015, 3.000 autoconsommateurs individuels. Cinq ans après, ils sont près de 90.000. Et Linky facilite ce développement car il permet de compter en même temps la production et la consommation alors qu'avant il fallait deux compteurs. Cela permet donc à un particulier d'économiser le coût d'un compteur, soit 600 euros. Nous avons également développé, en Bretagne et en Pays de la Loire, un cadastre solaire à partir d'algorithmes. Il permet de déterminer la meilleure implantation sur le plan technique et économique des panneaux photovoltaïques pour le réseau et pour le client.

L'autoconsommation collective est plus complexe [l'énergie produite par quelques foyers est partagée entre ces foyers ou avec d'autres foyers non producteurs, ndlr]. Nous comptons actuellement 40 opérations actives sur le territoire, qui représentent environ 600 participants : 500 consommateurs et 100 producteurs. Cela reste relativement modeste, mais la dynamique s'accélère et nous dénombrons déjà 45 nouveaux projets pour 2021. Nous les accompagnons en développant des outils à partir de Linky pour faciliter le partage de données entre les différents acteurs. Chaque foyer doit disposer de sa courbe de charge pour que les économies d'énergies constatées puissent être déduites de leur facture. En parallèle, nous accompagnons le développement des projets locaux en faisant du conseil et en travaillant sur des aspects réglementaires avec d'autres partenaires. Le gouvernement a ainsi récemment étendu le périmètre de l'autoconsommation de 10 à 20km pour favoriser le développement de projets en zones rurales afin de pouvoir inclure des bâtiments isolés.

Quels sont les défis d'Enedis sur la mobilité électrique ?

M.L : Aujourd'hui, 30.000 points de recharge publics sur la voirie sont raccordés au réseau électrique, opéré par Enedis. L'objectif était d'atteindre 100.000 points de recharge fin 2022, mais cet objectif a été avancé à fin 2021 dans le cadre du plan de relance. Entre 2021 et 2024, 200.000 nouveaux raccordements devront être réalisés et c'est 500.000 jusqu'en 2028. En parallèle, nous accompagnons plusieurs opérateurs dans l'électrification de leurs flottes, comme la RATP, avec laquelle nous venons de renouveler notre convention de partenariat, qui souhaite électrifier 1500 bus à l'horizon 2025. Aujourd'hui, deux centres de bus, sur 13 à terme, sont équipés et raccordés.

Quelles actions Enedis met en œuvre pour réduire sa propre empreinte carbone ?

M.L : Nous visons la neutralité carbone en 2050 et une réduction de 20% de nos émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2025. Notre premier levier d'action c'est l'électrification de notre parc automobile. Nous sommes le deuxième opérateur de flotte électrique d'entreprise derrière La Poste. Aujourd'hui, 15% de notre parc de véhicules légers, soit 2 800 véhicules, est électrifié. Ce sera 100% en 2030. Le deuxième levier c'est d'utiliser des groupes électrogènes bas carbone pour dépanner nos clients. Actuellement, ces groupes fonctionnent au diesel. Notre projet, c'est d'utiliser soit des batteries mobiles, soit des piles à combustible ou à hydrogène et d'être prêts d'un point de vue industriel pour les Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Nous devons également maîtriser notre filière de déchets électriques et travailler sur nos propres consommations. Grâce à Linky, nous avons déjà réduit de 70% les déplacements pour les interventions liées au compteur.

Quel regard portez-vous sur la forte mobilisation sociale dans le secteur de l'énergie contre le projet Hercule, qui pourrait aboutir à une division du groupe EDF en trois entités ?

M.L : Côté Enedis, ce qui est important c'est que nous conservions notre rôle d'opérateur de service public et que soit réaffirmée l'importance de la péréquation tarifaire. C'est un modèle solidaire qui assure un traitement identique entre un client qui habite dans la Creuse et un client d'une métropole. L'autre enjeu clé, c'est notre capacité de continuer à renouveler nos concessions de service public avec les collectivités locales et de les accompagner dans la transition écologique.

Lire aussi : Les défis herculéens d'EDF en 2021

Que répondez-vous aux inquiétudes concernant la possible privatisation du réseau Enedis dans le cadre de cette réorganisation ?

M.L : Le meilleur moyen pour répondre à ces inquiétudes, c'est de rappeler que le schéma de réorganisation n'envisage pas du tout l'ouverture du capital d'Enedis qui doit rester filiale à 100% du groupe EDF, un groupe intégré et majoritairement détenu par l'Etat. La force d'Enedis repose sur un modèle performant qui allie le national et le local, avec 800 sites en France et 38.000 salariés, et qui entraîne une filière technique sur l'ensemble du territoire afin de répondre à des besoins locaux très différents. Le caractère public de notre capital et de nos missions est clé.

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Commentaires 10
à écrit le 26/01/2021 à 17:53
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Vu ce que cela a donné au Japon avec Fukushima c'est vraiment plus prudent, activité nucléaire et cupidité ne pouvant que générer des catastrophes. C'est rassurant ça au moins, merci.

à écrit le 26/01/2021 à 15:38
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C'est cousu de fil blanc... Si la Présidente d’Enedis, Marianne Laigneau, indique qu'Enedis devrait rester à 100 % une filiale d’ « EDF vert », en revanche aucune information officielle n’a, été donnée sur la répartition du capital de cette holdi...

à écrit le 26/01/2021 à 9:43
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En Coree, Japon, Singapoor, ce type de compteurs existent depuis 20 ans. La France toujours a la pointe..

à écrit le 25/01/2021 à 19:45
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Espérons que les autres pays vont augmenter leur tarif d'électricité pour qu'on reste le pays où c'est le moins cher (de 15%). Un patron d'EDF ne demandait pas à augmenter les prix de 50%, par réalisme économique & industrielle ? A noter que le prix...

à écrit le 25/01/2021 à 17:03
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L'électricité va augmenter... disons que la facture va augmenter, sous les yeux la facture d'une maisonnette d'un montant de 100 euros pour seulement 30 euros de consommation le reste étant l'abonnement et des taxes plus ou moins obscures..

le 25/01/2021 à 19:37
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Quand j'ai migré en Savoie, ma dernière facture en proche sud de Paris avant la vente était de 111€, 110 d'abonnement HC/HP (ballon d'eau chaude en marche en HC), et 1€ d'électricité. Les taxes sont souvent liées à la consommation, mais l'abonnement...

à écrit le 25/01/2021 à 16:32
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de toute facon vu comme les gens se sont fait rincer avec edf, ca va etre dur de trouver des idiots volontaires

à écrit le 25/01/2021 à 14:39
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Visiblement, nous, "pauvres français" propriétaire public, ne comprenons rien a ce que veulent faire les intérêts privés!

à écrit le 25/01/2021 à 12:00
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Vu ce que cela a donné au Japon avec Fukushima c'est vraiment plus prudent, activité nucléaire et cupidité ne pouvant que générer des catastrophes. C'est rassurant ça au moins, merci.

le 25/01/2021 à 17:10
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Curieux sa fiche wikipédia je pensais plutôt à un profil SUPELEC pour le service des électrons..

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