Veolia/Suez : « Une médiation peut éviter des années de conflit »

ENTRETIEN. Pour trouver une issue au conflit qui oppose depuis des mois les deux groupes français, Bercy et plusieurs parlementaires prônent le recours à un médiateur. Xavier Pernot, avocat associé du cabinet Jeantet, explique à La Tribune les conditions et les avantages d'un tel choix.
Dans le cadre d'une médiation, un dossier complexe peut se débloquer en quelques mois, voire semaines, souligne Xavier Pernot.
"Dans le cadre d'une médiation, un dossier complexe peut se débloquer en quelques mois, voire semaines", souligne Xavier Pernot. (Crédits : Reuters)

Afin de trouver une issue au conflit qui, depuis fin août, lorsque Veolia a rendu public son projet de fusion avec Suez, oppose les deux leaders français de l'eau et des déchets, le ministre de l'Economie, ainsi que plusieurs parlementaires, ont proposé de recourir à un médiateur. Une idée formellement acceptée par Suez, mais dont le PDG de Veolia, Antoine Frérot, a affirmé pour le moment ne pas voir l'utilité. Qu'est-ce que pourrait apporter, et comment se déroulerait, une médiation entre les deux groupes, dont les positions semblent aujourd'hui irréconciliables ? Xavier Pernot, avocat associé du cabinet Jeantet, responsable du pôle contentieux-arbitrage-médiation, fait le point pour La Tribune.

LA TRIBUNE - En quoi consiste une médiation entre entreprises?

XAVIER PERNOT - La médiation est l'un des modes de résolution des conflits alternatifs au contentieux devant les tribunaux. Elle diffère de l'arbitrage, qui se termine par un jugement - bien que rendu par des tiers généralement choisis par les parties -, en ce qu'elle se conclut par un accord. Usuellement, les discussions sont confidentielles et ne peuvent pas être utilisées contre les parties en cas d'échec. Cela permet d'aborder les choses plus sereinement. Habituellement, l'accord final, qui prend la forme d'un "protocole d'accord transactionnel", a la valeur et la force d'un contrat définitif, qui doit être exécuté et et dont il peut être fait état en justice pour en obtenir l'application.

Qu'est-ce qu'apporte une médiation?

Ce mode de résolution d'un différend peut être très utile et pertinent en ce qu'il évite des années de conflit, qui coûtent de l'argent et de l'énergie aux équipes dirigeantes et dont l'issue est toujours aléatoire. Dans le cadre d'une médiation, un dossier complexe peut se débloquer en quelques mois, voire semaines. L'accord issu de la médiation a en outre une vertu fondamentale : c'est celui des parties. Si ces dernières ont signé, c'est qu'elles l'approuvent. Elles auront sans doute fait des concessions à l'adversaire, mais elles auront aussi obtenu le respect de certains de leurs intérêts. C'est pour ces raisons d'ailleurs que les clauses de résolution des litiges de beaucoup de contrats prévoient, depuis une dizaine d'années, l'obligation de tenter de trouver une solution amiable avant de saisir les tribunaux.

Qu'est-ce qu'une médiation pourrait notamment apporter dans le conflit entre Veolia et Suez ?

Le fait même que le gouvernement et des parlementaires prônent publiquement le recours à un médiateur montre bien à quel point, en raison de la taille de ces deux groupes et des enjeux de leur fusion, la France n'a aucun intérêt à ce qu'ils continuent de se battre. Le temps et l'énergie mobilisés par leurs équipes dirigeantes sur ce contentieux franco-français le sont au détriment du temps et de l'énergie qu'elles ne peuvent déployer à développer leurs stratégies au bénéfice des groupes. En termes de destruction de valeur, c'est colossal.

Les actionnaires de l'un voire des deux groupes vont inévitablement en payer les frais. Et même si les actionnaires de Suez devaient obtenir une prime dans le cadre d'une offre publique d'achat (OPA), ce n'est pas certain que cela représenterait une création de valeur sur le long terme. Or, accroître la valeur devrait être l'objectif de toute fusion. Quant aux clients et aux fournisseurs, un tel conflit représente un élément de déstabilisation. Du côté des salariés, leur stress peut se répercuter sur leur motivation et leur productivité. En revanche, pour tous les concurrents de Suez et Veolia, y compris étrangers, cette situation est une aubaine. Sans compter que selon plusieurs études, au niveau mondial, un projet de rapprochement sur deux échoue, y compris quand il est amical. En cas de conflit, c'est encore plus compliqué.

Comment se déroulerait une médiation dans ce contexte ?

Le mot "médiation" renvoie à l'idée d'une communication entre des parties dont le litige s'est cristallisé avec l'aide d'un tiers. Elle nécessite tout d'abord leur prise de conscience qu'un bon accord vaut mieux qu'une très belle guerre. Le rapprochement entre les parties peut ensuite se faire de deux manières différentes. Selon les contextes, le médiateur peut se limiter à débloquer la situation en les laissant ensuite trouver elles-mêmes leur accord, ou aller jusqu'à élaborer ce dernier et convaincre les parties et leurs conseil de sa pertinence. Dans tous les cas, il s'agit d'une personne ayant leur confiance et leur écoute, capable, grâce à son expertise et à sa réputation, de désamorcer aussi les problèmes d'ego qui peuvent prévaloir sur la logique industrielle, ainsi que de passer des messages: un ancien patron, un membre d'un Conseil d'administration, un grand communicant etc. Le médiateur peut aussi être un président de tribunal de commerce, soit un magistrat non professionnel, issu du monde économique et ayant une connaissance de l'entreprise comme du fonctionnement de la justice. Ce genre de profil est souvent choisi car il présente un double avantage : il vient du monde du business, mais il est aussi en mesure de prévoir l'issue d'un éventuel contentieux judiciaire. Il peut donc pertinemment mettre en garde les parties sur les conséquences d'un échec de la médiation. Depuis une dizaine d'années, les tribunaux de commerce de Paris et de Nanterre en particulier pratiquent et promeuvent de manière régulière et permanente la médiation, et leurs magistrats sont extrêmement disponibles. L'un des avantages de la médiation est en effet aussi qu'elle peut intervenir à tout moment : avant, pendant et après un procès. Et si le dossier est très complexe, les parties peuvent aussi choisir plusieurs médiateurs, afin de pouvoir s'appuyer sur plusieurs "cerveaux".

Mais entre Suez et Veolia, pour l'instant, on a l'impression que la situation est bloquée. Veolia affirme vouloir contrôler Suez à 100% alors que Suez,  tout en acceptant le principe d'une médiation, affirme vouloir rester indépendante. Ces positions sont assez irréconciliables. Bercy tente d'intervenir, mais n'a pas encore réussi à jouer le rôle de "facilitateur" ouvrant au moins les yeux des parties sur la nécessité de parvenir à un accord.

Qu'est-ce qui pourrait permettre alors la mise en place d'une médiation à partir de positions si opposées ?

Le plus souvent, c'est l'intervention d'un facteur extérieur qui débloque la situation: par exemple, des difficultés avec les clients, ou des spéculations très dangereuses en Bourse. Parfois, les conseils d'administration ou les actionnaires se rendent compte que le conflit dépend plus des personnes impliquées que de la logique industrielle: ils peuvent donc avoir envie de changer de joueurs pour que cela puisse avancer. Les facteurs qui peuvent créer une ouverture sont très variés.

Une médiation serait-elle possible en termes de calendrier, en sachant qu'en mai doit se tenir l'assemblée générale (AG) de Suez?

L'assemblée générale sera le moment crucial où les actionnaires de Suez exprimeront leur confiance ou défiance vis-à-vis du management. Le but de la direction de Suez est donc de leur expliquer qu'un groupe indépendant leur apportera plus de valeur sur le long terme que le prix proposé par Veolia. S'il est incapable d'en donner des gages suffisamment sérieux, les actionnaires pourraient donc le renverser, ce qui représenterait un message fort de soutien au projet de Veolia.

Dans ce contexte, Veolia pourrait donc être amené à maintenir une approche assez agressive voire à relever son offre. S'il constate que Suez est incapable de proposer une alternative crédible, il pourrait toutefois aussi accepter le principe d'une médiation juste avant l'AG, afin d'en éviter les tensions. Si les statuts le permettent, une résolution votée à l'AG pourrait consacrer la démarche.

Quelles seraient notamment les conséquences d'une médiation sur les contentieux en cours?

Quand on parvient à un accord dans une médiation, il couvre généralement l'ensemble du différend. Tous les domaines du droit peuvent y être mobilisés: droit social, boursier, de la concurrence, des sociétés etc. Les parties s'y engagent à se désister des différents litiges en cours ou à venir relatifs au différend, et les tribunaux sont très heureux d'acter ainsi la fin des procédures. Une médiation réussie rendrait en outre l'OPA de Veolia amicale. Et l'exécution d'un accord est beaucoup plus facile que celle d'une décision de justice, puisque sa mise en œuvre a été réfléchie en amont.

Y a-t-il des précédents permettant d'évaluer les chances de succès d'une médiation dans le cadre de projets de fusion comme celui-ci?

C'est compliqué d'établir des statistiques en l'absence de données officielles, puisque beaucoup d'accords restent confidentiels. Mais il est dit qu'en moyenne, le taux d'échec est d'une médiation sur deux.

Propos recueillis par Giulietta Gamberini

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Commentaire 1
à écrit le 04/03/2021 à 15:22
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Attendez les élections présidentielles et la médiation sera vite faite!

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