Comment "Marseille 2013" a été sauvée

<b>L'ENJEU - </b>Surmonter les antagonismes légendaires au sein de l'agglomération et tirer le profit économique maximal d'un événement exceptionnel, pour la ville et la région Provence.<br /> <b>LA SOLUTION - </b>Pour la première fois, Marseille, Aix et Arles ont réussi à s'entendre et agir ensemble. Un « exploit » qui doit beaucoup à l'action de la chambre de commerce.
Vue partielle du vieux port de Marseille / Reuters

Vingt fois Jean-Noël Guérini a menacé de retirer les subventions de son conseil général : on ne le tenait au courant de rien, prétendait-il. Dix fois le rappeur Akhenaton est parti en guerre contre l'absence de rap - « Marseille 2013, c'est Barcelone version gériatrie ! » - et a exigé, dans la foulée, la « rénovation totale de la classe politique marseillaise ». Cent fois la maire d'Aix-en-Provence, Maryse Joissains, a claqué la porte : les Marseillais la tenaient pour trop peu de chose. L'inimitié est ancestrale. Les Toulonnais d'Hubert Falco ont, eux, boudé dès le début, mais attendu 2011 pour quitter le navire. Renaud Muselier a tenté quelques coups de force pour prendre le contrôle du dossier et Jean-Claude Gaudin, pourtant à l'initiative, a renâclé plusieurs fois : sa mairie n'avait jamais, selon lui, la place centrale qui lui était due... Bref, Marseille-Provence 2013 a failli mourir mille fois depuis 2008. Mais Marseille 2013 est toujours debout. L'association Marseille-Provence 2013 a même réuni 93 millions, le plus gros budget qu'ait jamais eu une capitale européenne de la culture. Mieux : dans les Bouches-du-Rhône, 1 milliard d'euros a été, ou va être, investi en grands projets culturels entre Arles, Aix et Marseille d'ici à 2020 ! La capitale phocéenne joue son redressement économique sur la culture.
Car c'est bien de développement économique qu'il s'agit. Jamais Marseille 2013 n'aurait vu le jour si des chefs d'entreprise, des mécènes et le président de la chambre de commerce et d'industrie de Mar-seille-Provence (CCIMP), Jacques Pfister, n'avaient pris les choses en main dès le départ. La classe politique marseillaise, gauche et droite confondues, a bien sûr assuré l'habituel théâtre d'ombres et les vaudevilles politiques. Mais, sans jamais le dire, elle a toujours su qu'elle n'était pas capable de mettre en place la gouvernance métropolitaine que supposait un tel projet. « Si la chambre de commerce n'avait pas décidé de réaliser Fos-sur-Mer, rien n'aurait été fait. Avec Marseille 2013, c'est pareil. La CCI a toujours été une force de développement à Marseille », explique le sociologue et élu socialiste marseillais Jean Viard. « Il existe un syndrome marseillais, celui de la ville pauvre où rien ne marche, commente Jacques Pfister. Beaucoup de politiques sont persuadés que Marseille ne peut rien gagner, qu'elle ne le mérite pas, qu'elle n'est même pas au niveau ! Je l'ai senti dès le départ avec Marseille 2013 : tout le monde était content qu'on participe, mais personne ne s'attendait à ce qu'on gagne. »

Marseille a battu bordeaux par 13 points à 0

Jean-Claude Gaudin avait pourtant pris le dossier en marche juste avant les municipales de 2008. D'un côté, des chefs d'entreprise issus de « Mécènes du Sud », association par laquelle tout a commencé, où l'on retrouvait des dirigeants de l'OM comme de la Société marseillaise de crédit ou de Ricard. Parmi eux, Laurent Carenzo, qui va porter le dossier du début à la fin et en devenir le grand ordonnateur pour Jacques Pfister. De l'autre, des patrons réunis dans le club Top 20, créé par la CCI pour faire entrer Marseille dans les 20 premières villes européennes. Jean-Claude Gaudin y a vu un bon thème de campagne pour les municipales. Mais ce fin politique, persuadé que Marseille est trop pauvre pour un tel projet, le transforme dès le départ en « Marseille-Provence 2013 » pour élargir le financement éventuel et, surtout, laisse la présidence à Jacques Pfister, histoire de ne pas être tenu pour responsable de l'échec annoncé. « C'était improbable, se rappelle Jacques Pfister. Personne ne nous attendait : ni les politiques, ni les gens de la culture, ni le monde économique. Nous, on répétait en boucle que la culture était un levier de développement économique, mais, franchement, on leur vendait de l'invendable. Bordeaux était le grand favori. Mais nous sommes arrivés à l'audition finale, en septembre 2008, avec une délégation cosmopolite et méditerranéenne. Alain Juppé, lui, est venu seul défendre son dossier et on a gagné, 13 à 0 ! Aucun juré n'a fait opposition à notre dossier. »Le président du jury, Bob Scott, avait peut-être aussi ses préférences. Il était l'homme de Liverpool, capitale européenne 2008, dont Marseille s'est beaucoup inspirée. Il avait aussi initié « Cities on the edge ». Officiellement, une association de villes européennes au bord de la mer. Officieusement, une association de villes « borderline », toujours en butte à des problèmes culturels et économiques : Liverpool, Brème, Marseille, Naples, Gdansk et Istanbul.

L'État et les élus obligés de suivre...

« On a gagné parce qu'on était une ville métissée, mélangée, confirme Jacques Pfister. Le jury a voulu donner une chance à une ville emblématique du mode communautaire européen, une chance à l'intégration par la culture. » Mais la victoire de 2008 a aussi un sens politique et économique. « Ce qui est en jeu avec Marseille 2013, c'est la capacité des Marseillais à élaborer, pour la première fois, un projet métropolitain fédérateur, commente Jean Viard. Un projet qui valorise la diversité, en fasse un atout et entraîne la ville. » C'est en tout cas ce qui est arrivé : depuis 2008, Marseille 2 013 est un accélérateur de particules. L'État a ainsi été obligé de suivre. Jean-Claude Gaudin s'est servi de Marseille 2013 pour aller arracher définitivement au Premier ministre de l'époque, un François Fillon hésitant, la création du Mucem, le Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée : 175 millions d'euros pour un splendide geste architectural de l'architecte Rudy Riciotti, un formidable pôle d'attraction en plein milieu du port de Marseille. La rénovation du musée des Beaux-arts du Grand Longchamp, en plein c?ur de Marseille, et toutes les installations culturelles autour (200 millions) ne se seraient probablement pas faites non plus (ou du moins aussi vite) sans Marseille 2013. Arles aussi a été « boostée » : la Cité de l'image (surnommée « Vauzellia » tellement Michel Vauzelle, le président de la région Paca, la souhaitait) a trouvé dans la foulée les 150 millions de financement nécessaires. Le Fonds régional d'art contemporain n'aurait lui non plus jamais eu de nouveaux bâtiments à Marseille sur le front de mer sans Marseille 2013. En tout, 660 millions d'investissements qui ont été décidés, engagés ou accélérés grâce à Marseille 2013.L'État suivant, la classe politique marseillaise n'a pas pu être en reste. Le socialiste Eugène Caselli, successeur de Jean-Claude Gaudin à la tête de la communauté urbaine Marseille Provence Métropole, a immédiatement fait débloquer 80 millions d'euros pour le réaménagement du Vieux-Port et du front de mer. Le socialiste Patrick Menucci, avec sa mairie du premier secteur dans un « quartier à bobos » en plein centre-ville, a lancé « Cap sur 2013 » et rénove et finance à tout va. C'est une priorité pour accueillir touristes et manifestations populaires en 2013. Mais si l'État et les collectivités locales suivent, la véritable nouveauté de Marseille 2013 est que les entreprises sont les premiers donateurs. Du jamais-vu dans une ville où, comme l'explique un élu, « depuis la nuit des temps, le culturel, c'est du social [avec] des subventions versées aux myriades d'associations marseillaises de quartier, sans véritable stratégie d'ensemble ».

Qui va porter l'image rénovée de Marseille?

Pour 2013, le privé va investir 14,7 millions (2 millions de plus que le conseil général) dans ce qu'il considère comme un événement de développement du territoire plus qu'un événement culturel : cela va des grandes entreprises aux petites PME, et de mécénats de 5000 euros à 600000 euros.
Premier objectif : que chaque euro investi en rapporte 10 à l'économie locale. En général, le rapport est de 1 à 7 pour les événements culturels et sportifs, mais on est à Marseille... Pour autant, l'exposition Cézanne-Picasso de 2009 à Aix a attiré 450 000 visiteurs et généré 62 millions pour l'économie aixoise. Avec De Van Gogh à Bonnard à Marseille et De Cézanne à Matisse à Aix, les deux villes devraient faire bingo. Deuxième objectif : « vendre » Marseille aux investisseurs. C'est là que le bât blesse : Marseille 2013 a montré que sur un projet précis une gouvernance pouvait se mettre en place alors que les élus marseillais et aixois la refusent mordicus depuis toujours. « Marseille 2013 nous a appris à nous parler, explique Jacques Pfister. Il faut en profiter pour porter l'image de Marseille rénovée. » Mais qui va porter cette image ? Qui va aller chercher les entreprises ? Pour l'instant, c'est le flou. « Tous les politiques marseillais savent que la création d'une métropole est vitale pour le développement, explique un élu. Mais ils sont incapables de la faire. Notre seule chance est qu'on nous l'impose, que l'État estime que laisser Marseille partir à la dérive est insupportable. Tout le monde hurlera. Mais tout le monde le fera. »

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Repères :

29 mars 2004 : Marseille se porte candidate au titre de capitale européenne de la culture pour 2013.

16 septembre 2008 : Marseille est choisie.

12 et 13 janvier 2013 : Week-end inaugural de fête de l'année Marseille-Provence 2013.

1,05 milliard d'euros : C'est l'investissement total dans la culture en Provence d'ici à 2020. 600 millions réalisés dès la fin de 2012, avec 30 créations d'espaces culturels et 13 rénovations.

47 milliards d'euros : C'est l'investissement dédié à quatre opérations de long terme : LGV Paca, Iter, Euroméditerranée 1 et 2, Grand Port Maritime de Marseille.

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