Restriction budgétaire, effet multiplicateur et idéologie

Le FMI a fait son mea culpa, estimant que les politiques budgétaires restrictives nuisaient plus que prévu à la croissance. A l'inverse, la Commission européenne campe sur ses positions : les restrictions budgétaires ont peut d'impact sur la croissance, affirme-t-elle, car les effets multiplicateurs sont faibles
Olli Rehn, commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires défend la rigueur budgétaire Copyright Reuters

Quel sera finalement l'impact sur l'économie des hausses d'impôt historiques programmées en France pour 2013? Elles atteindront 30 milliards d'euros au total en 2013, y compris les coups partis avant l'arrivée de François Hollande au pouvoir.

Avec les économies sur les dépenses, la restriction budgétaire dépassera les 40 milliards d'euros, soit 2 points de PIB. « On est là à l'extrême limite de ce qui peut être supporté, le risque existe de basculer dans le cercle vicieux de l'austérité » estime l'économiste Florence Pisani (Dexia Asset Management). Absolument pas, lui répond la secrétaire nationale du PS à l'Economie, l'économiste Karine Berger. « Les mesures sont particulièrement bien ciblées. Leur effet multiplicateur est très faible, inférieur à 0,5 ».

Un concept keynésien
Multiplicateur ? Jamais les débats entre économistes n'ont été aussi vifs sur ce concept inventé par Keynes. Pour résumer, il s'agit de l'impact de la politique budgétaire sur l'activité économique, mesurée par le PIB. Keynes expliquait qu'une mesure de relance budgétaire était susceptible d'avoir un effet bien supérieur à son montant initial : un investissement public permet de redonner de l'emploi à des chômeurs, qui dépenseront leurs revenus, lesquels entraîneront des productions supplémentaires, donc des revenus en plus, etc.

C'est ce qu'il a appelé l'effet multiplicateur. Si Keynes l'a théorisé pour mieux défendre des politiques de relance, les multiplicateurs dont il est question, aujourd'hui, ont évidemment trait à des restrictions budgétaires, qui ont cours dans tous les pays européens.

Sont-ils faibles ? Dans ce cas, les politiques de réduction du déficit n'ont qu'un impact limité sur le PIB. Sont-ils élevés ? La configuration est alors inverse. Et la stratégie de restriction budgétaire peut avoir l'effet opposé à celui qui est recherché, à savoir la baisse des déficits : si la baisse des dépenses et/ou les baisses d'impôt sont brutales, elles peuvent accentuer la récession, provoquant chute des recettes fiscales et hausse des dépenses sociales et donc une augmentation du déficit public.

L'apport du maître de Cambridge

C'est cette deuxième thèse que soutiennent bien sûr les keynésiens, qui défendent logiquement l'apport théorique du maître de Cambridge, contre les économistes néo-classiques, lesquels minimisent l'effet récessif des politiques restrictives.

L'argument de ces derniers est simple : quand le déficit public est diminué, les agents économiques craignent moins de futures hausses d'impôts, pour lesquels ils avaient tendance à épargner, et ils sont dés lors plus enclins à investir, ce qui booste l'économie, et annule l'effet négatif de la restriction budgétaire. C'est ce que l'économiste keynésien Paul Krugman a appelé, non sans ironie, « la fée confiance », à laquelle ont beaucoup cru les experts dominant la réflexion et la pratique de politique économique.

Le mea culpa du FMI

Les exemples récents de la Grèce ou de l'Espagne ont montré à quel point cette fée pouvait s'envoler, laissant la place à une chute de l'investissement et de la consommation.

Les experts du Fonds monétaire international (FMI) en ont récemment tiré la conclusion, sous forme de mea culpa. Dans leur rapport d'automne sur l'économie mondiale, ils ont réévalué tous leurs calculs concernant les multiplicateurs budgétaires. Le FMI estimait à 0,5, en moyenne, l'effet multiplicateur des politiques budgétaires. Il estime désormais, à la lumière de la récession qui s'est déclenchée fin 2008, que ces multiplicateurs s'échelonnent entre 0,9 et 1,7, selon les pays.

Ce qui change tout. Avec un multiplicateur de 0,5, une diminution de 10 milliards d'euros des dépenses publiques ne réduit le PIB que de 5 milliards. S'il atteint 1,7, le PIB diminue de 17 milliards.

La récession accentue l'effet multiplicateur

Comment expliquer une telle révision ? Le FMI explique que l'impact des politiques budgétaires change radicalement selon la conjoncture. Une restriction de 10 milliards aura peu d'effet sur une économie en forte croissance. En revanche, elle affectera fortement l'activité en cas de récession. Car, pendant ces périodes de crise, de plus en plus d'agents se trouvent « soumis à une contrainte de liquidité » comme l'explique Eric Heyer sur le blog de l'OFCE.

Autrement dit, toute restriction de revenus (via une hausse d'impôt ou une baisse de subvention) impacte directement leurs dépenses, et a donc un effet immédiat sur l'économie, alors qu'en tant normal, ils pourraient la compenser par l'emprunt, notamment.

Le FMI souligne en outre que l'impact sur l'économie d'une baisse des dépenses publiques est plus élevé que celui d'une hausse d'impôt. Dans le premier cas, notamment lorsqu'un gouvernement touche à des revenus de transfert, la consommation est, souvent, directement impactée, tandis qu'une hausse d'impôt ne vise, par définition, que ceux qui disposent d'un revenu suffisant.

A l'encontre du sens commun

Ce constat d'un effet négatif plus important de la baisse des dépenses va à l'encontre du sens commun. « Pour assainir nos comptes, la voie de la réduction de la dépense publique et moins récessive que celle de l'impôt », écrit par exemple Pierre Mathieu Duhamel, ancien directeur du Budget à Bercy, dans une note publiée par l'Institut Montaigne. Une opinion largement répandue.

Pourtant, ce point de vue du FMI est partagé par d'autres économistes de différentes provenances (BCE, FED, Banque du Canada...) qui ont ensemble comparé leurs évaluations. Il soulignent notamment l'importance des effets multiplicateurs s'agissant de l'investissement public.

Et en France?

Mais qu'en sera-t-il, en France, en 2013 ? « Impossible à savoir a priori », répond Florence Pisani. Le multiplicateur peut-être faible si le secteur privé compense par ses dépenses (consommation et surtout investissement des entreprises) l'effet récessif des mesures prises par le gouvernement s'agissant de la sphère publique.

C'est peu probable, même si c'est là la théorie longtemps défendue par un Jean-Claude Trichet, longtemps adepte de « la fée confiance ». Et par la Commission européenne : les commissaires européens continuent d'estimer les multiplicateurs à un niveau très faible. Leurs travaux les évalues à 0,25. Autrement dit, 10 milliards d'euros de restriction budgétaire provoquent une baisse du PIB limitée à 2,5 milliards.

Une position réaffirmée avec constance, notamment par le commissaire aux Affaires monétaires, Olli Rehn, alors même que certains services de la commission ont revu leurs calculs. Une position quasiment idéologique.

Car admettre que l'austérité peut aboutir à l'effet inverse de celui qui est recherché, autrement dit à une hausse du déficit, ce serait reconnaître que les politiques brutales imposées à la Grèce ou à l'Espagne par la commission étaient une erreur.

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Commentaire 1
à écrit le 11/12/2012 à 21:27
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Au secours, les gens de Dexia donnent des conseils !!! Après leur faillite retentissante, c'est sûr qu'on a vraiment envie de leur donner la parole et de suivre leurs conseils !!! Mais pourquoi leur donnez vous la parole ????

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