Que ferait la gauche allemande si elle revenait au pouvoir ?

Si Peer Steinbrück devient chancelier, ou si son parti entre dans la majorité, l’Allemagne et l’Europe changeront-elles ? Sans doute pas. Revue des détails des scénarios.

Si les chances de Peer Steinbrück, le candidat social-démocrate à la chancellerie, de parvenir à la « machine à laver », le siège berlinois de l'exécutif allemand, sont très minces, on ne peut en écarter catégoriquement la possibilité. Et dans ce cas, que se passerait-il en Allemagne et en Europe ? On doit répondre à cette question en deux temps. D'abord, en présentant les prétentions du parti social-démocrate, destiné à imposer son candidat à la chancellerie. Ensuite, en évaluant ce que deviendrait ce programme dans une coalition gouvernementale.

D'abord, le salaire minimum

Que veut la SPD ? Peer Steinbrück a publié le 29 août dernier son plan de marche pour ses 100 premiers jours à la chancellerie. Ce plan, détaillé en neuf points commence par l'instauration d'un salaire minimum unique de 8,5 euros par heure, puis l'on trouve, pêle-mêle, une loi d'égalité salariale entre hommes et femmes, une simplification des règles de départ à la retraite, des investissements dans la petite enfance et le logement. Restent alors deux points importants : une réforme fiscale et une meilleure régulation des marchés financiers.

Le programme financier et fiscal de la SPD

Sur ces deux points, Peer Steinbrück propose la mise en place dans le cadre de l'union bancaire européenne d'un fonds alimenté par les banques elles-mêmes pour organiser les faillites des établissements financiers. Il promet également la réalisation effective de la taxe sur les transactions financières. Mais l'essentiel du programme de la SPD réside dans la politique fiscale. Les sociaux-démocrates veulent créer un taux de 49 % à partir de 100.000 euros de revenus annuels pour l'impôt sur le revenu. Le taux de l'impôt sur les flux de capitaux passera de 25 % à 32 %. Certaines niches fiscales pour les entreprises seront abaissées, tandis que l'impôt sur la consommation d'énergie sera réduit de 25 %.

Déni de Gerhard Schröder et du Peer Steinbrück de 2005 ?

Dans l'émission télévisée « Wahlarena » diffusée mercredi soir, Peer Steinbrück a insisté sur la « justice. » Dans l'état, ces propositions permettraient, si elles sont mises en pratique, d'organiser une certaine réorientation du modèle économique allemand vers la demande intérieure. Mais la volonté de la SPD de la mettre réellement en pratique peut-être discutée, dans la mesure où ce programme - adopté par Peer Steinbrück en grande partie pour remercier la gauche du parti de l'avoir soutenu comme candidat - contredit la politique de la SPD depuis 1999. La remise en cause du système actuel des retraites est ainsi un déni de la réforme de 2007 porté par la SPD et par Peer Steinbrück, alors ministre des Finances du gouvernement avec Angela Merkel.

A l'époque, l'actuel candidat social-démocrate avait mené une politique très orthodoxe, jusqu'à ce que la crise de 2008 vienne ruiner ses espoirs d'équilibre du budget fédéral. Il n'est pas sûr qu'aujourd'hui, il accepte de remettre en question la compétitivité du pays que les réformes Schröder ont, en partie, réussir à rétablir. En 2012, la SPD a fêté en grande pompe les 10 ans de « l'Agenda 2010. » Sans en faire aucune réelle critique.

L'énigme européenne

Reste l'Europe. Dans le programme de la SPD, on ne trouve que 4 pages sur le sujet. Baptisée « Pour une meilleure Europe », cette partie propose de « rendre à nouveau visible la fascination pour l'idée européenne. » Pour cela, les sociaux-démocrates proposent un « gouvernement économique commun » qui regrouperait les pays de la zone euro. Il propose une « responsabilité commune des dettes » (autrement dit des Euro-obligations) après la mise en œuvre du pacte fiscal. Parallèlement, la SPD veut poser les jalons d'une Europe sociale avec des critères adaptés à chaque pays. Tout ceci ressemble, dans les grandes lignes, aux volontés françaises et peut ainsi donner raison aux espérances de François Hollande de voir un tournant arriver avec Peer Steinbrück.

Rien n'est moins sûr pourtant, car Peer Steinbrück, qui connaît aussi mal l'Europe qu'Angela Merkel, n'est pas à l'aise avec ce sujet. Il ne l'évoque pas dans ses « 100 jours » et évite le sujet face à ses adversaires. Il est vrai qu'en réalité, la SPD a toujours soutenu au Bundestag la politique européenne d'Angela Merkel, alors même qu'il aurait pu la bloquer puisque la chancelière ne disposait pas d'une majorité sur ces sujets dans sa propre coalition. Autrement dit, les sociaux-démocrates sont coresponsables de la politique allemande en Europe. Du reste, lorsque François Hollande, en juin 2011, a reçu à l'Elysée les trois candidats potentiels de la SPD à la chancellerie (dont Peer Steinbrück) afin d'organiser un front du refus contre le pacte budgétaire. Il en avait été pour ses frais : le 30 juin 2012, la SPD permettait par son vote l'adoption du pacte budgétaire. Le PS français avait dû suivre à l'automne…

Difficile donc de croire que cette même SPD soit désormais prête à mener une « politique à la française » dont les Allemands ne veulent pas (c'est d'ailleurs la raison pour laquelle le candidat SPD n'évoque pas le sujet). Angela Merkel l'a compris, elle qui a accusé la SPD de « manque de crédibilité » sur l'Europe, forçant ses adversaires sociaux-démocrates à avouer qu'ils approuvaient la politique menée par Berlin. Il y a donc fort à parier que l'inflexion européenne soit faible en cas de « victoire » de la SPD.

Le programme au filtre des coalitions

Mais rappelons ce fait essentiel pour comprendre la politique allemande : SPD ou CDU ne pourront gagner seuls les élections. Il leur faudra constituer des coalitions, ce qui les amènera à amender leurs projets.

« La grande coalition »

Dans le cas d'une « grande coalition », il est presque impensable que la SPD occupe la chancellerie. Il faudra alors constituer un programme de coalition en position de faiblesse. Si la question du salaire minimum peut être tranchée en faveur des positions sociales-démocrates, alors même que la CDU en accepte désormais le principe, en revanche, la réforme fiscale attendra, la CDU et surtout la CSU bavaroise y étant radicalement opposés. Sur le plan européen, on voit mal comment un gouvernement Merkel III pourrait abandonner les fondements du gouvernement Merkel II : sauvetage de l'euro, moyennant une austérité permettant de rééquilibrer la zone euro et pas d'union « des transferts » ni d'Euro-obligations.

La coalition « rouge et verte 

Le cas idéal pour la SPD serait évidemment une alliance avec les Verts. Dans ce cas, on peut imaginer une vraie inflexion, avec les limites fixées plus haut concernant la véritable motivation de Peer Steinbrück à appliquer ce programme. On se souvient qu'en 1999, Gerhard Schröder avait, avec l'éviction d'Oskar Lafontaine, réalisé un tournant digne de celui des socialistes français en 1983, abandonnant la majeure partie de ses promesses de la campagne de 1998. Or, la pression sera forte sur l'Allemagne de la part des marchés en cas de « tournant » vers les Euro-obligations et d'atteintes à la compétitivité du pays. Mais en théorie, cette coalition (dont la probabilité est très réduite) permettrait l'application du programme du SPD. En termes fiscaux, elle irait même plus loin, puisque les Verts proposent un durcissement encore plus sensible de l'impôt sur le revenu.

La coalition de toutes les gauches

Vient enfin le cas d'une alliance rouge-rouge-verte regroupant la SPD, les Verts et Die Linke. Dans ce cadre, le programme économique de la SPD sera un minima et Peer Steinbrück (qui refuse toujours une telle coalition) devra accepter d'aller plus loin, en termes de fiscalité et d'investissement, pour s'attacher les voix des ex-communistes. L'Allemagne verrait alors sans doute son taux de refinancement remonter en flèche sur les marchés. Parallèlement, les trois membres de la coalition auront bien du mal à s'entendre. Die Linke refuse la participation à la zone euro et rejette le pacte budgétaire. Son programme est l'image inversée des positions europhiles de la SPD et des Verts. Le gouvernement qui s'appuierait sur une telle majorité aura donc bien du mal à durer, à l'image des expériences de ce type dans les Länder de Rhénanie du Nord Westphalie et de Hesse.

 

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