Comment Laurence Parisot dompte le Medef

Les uns la trouvent moderne, les autres autocratique. Une chose est sûre, depuis son élection à la tête du Medef en juillet 2005, Laurence Parisot bouscule la « maison des patrons ». Et tranche avec le règne de son prédécesseur, Ernest-Antoine Seillière. Une rupture qu'elle a parachevée ces derniers mois en se séparant brutalement de Jacques Creyssel, le directeur général, en place depuis 1993. Et en annonçant la création, le 5 février, de deux nouvelles directions, l'une consacrée aux adhérents, l'autre aux études.Même ses détracteurs le reconnaissent, Laurence Parisot a apporté une dynamique au Medef. « Avant son arrivée, c'était une institution qui s'encroûtait, tenue par des vieux de la vieille qui présidaient tout ça de façon bonhomme », souligne le président d'un Medef territorial qui ne fait pourtant pas partie de son fan-club. Dès 2005, la patronne des patrons bouscule les habitudes. Alors qu'Ernest-Antoine Seillière venait une fois par semaine et déléguait l'essentiel de la gestion de la maison à Jacques Creyssel, Laurence Parisot quitte rarement l'avenue Bosquet. Entourée de son équipe de communicants, elle scrute tous les dossiers clés. « Elle regarde tout dans le moindre détail, même si elle n'a pas le temps de prendre les décisions », note un membre de l'organisation.en rupture avec le milieu parisienSi les instances officielles sont un peu délaissées, ses proches sont régulièrement sollicités pour des consultations express. « Loin d'être dans sa tour d'ivoire, elle nous interroge beaucoup », insiste l'un de ces élus. Avant d'ajouter : « Lorsqu'elle a besoin d'un avis sur un sujet précis, elle appelle avec insistance jusqu'à ce que vous répondiez, peu importe qu'on soit un samedi ou un dimanche. » La patience n'est pas la qualité première de Laurence Parisot. Pour ses plus proches collaborateurs, une convocation dans le bureau de la présidente vaut abandon de toutes les activités en cours. Autoritaire ? Même Stephan Brousse, le président du Medef Bouches-du-Rhône, qui fait partie du cercle rapproché, l'admet : « Il n'y aucun doute là-dessus. Elle est très exigeante avec elle-même et donc avec les autres. Mais c'est une qualité, pas un défaut. »À l'usage, son style de management a pourtant fini par faire grincer des dents. Pour beaucoup, Laurence Parisot, qui ne manque jamais de revendiquer son passé de chef d'entreprise, que ce soit à l'Ifop ou dans la PME familiale Optimum, ne veut pas voir que le Medef n'est pas une entreprise comme les autres. Avec ses 85 fédérations professionnelles et ses 155 Medef territoriaux, l'organisation nécessite un sens du compromis dont Laurence Parisot ne veut pas toujours faire preuve. « Elle n'a pas compris que le Medef n'a pas d'existence propre, qu'il n'est qu'une fédération de fédérations. Et que l'objectif n° 1 d'un président est de trouver du consensus », souligne le permanent d'un Medef territorial. Un temps tentée de permettre l'adhésion directe des entreprises au Medef sans passer par l'intermédiaire des fédérations, Laurence Parisot a dû renoncer à son projet face à la levée de boucliers des grandes branches.Depuis 2005, cette originaire de Haute-Saône, qui se veut en rupture avec le milieu parisien, a choisi de s'affranchir des usages. En interne, avec ses quelque 200 permanents, elle n'hésite pas à passer par-dessus la tête des directeurs de service. « C'est un management par le désordre, totalement déstabilisant », souligne un permanent, désolé de l'ambiance qui règne désormais avenue Bosquet. Le bref passage de Pierre-Henri Ricaud en remplacement de Jacques Creyssel ? quatre mois entre juillet et novembre ? n'a rien fait pour apaiser des collaborateurs. Désormais, le poste de Jacques Creyssel est occupé par deux directeurs généraux adjoints. S'agit-il du fameux « diviser pour mieux régner », ou du désir légitime de bousculer les conservatismes qui avaient empoussiéré la maison patronale ? D'un côté, Hélène Molinari, très complice, maîtrise la communication et les relations avec les structures territoriales. De l'autre, Jean-Charles Simon doit prendre ses marques dans une structure beaucoup plus complexe que celle dont il est issu, l'Association française des entreprises privées (Afep), même s'il a travaillé pour le patronat sous l'ère Seillière-Kessler.absence d'autonomieL'affaire UIMM qui, à l'automne 2007, a déstabilisé la fédération de la métallurgie, a aussi permis à Laurence Parisot de réaffirmer son autorité sur ses présidents de commission. Emporté par la tourmente, Denis Gautier-Sauvagnac, le pilier de la commission des relations du travail, a été remplacé par Benoît Roger-Vasselin, le DRH de Publicis, et les grandes négociations sociales éclatées entre de multiples responsables. « Les présidents de commission n'ont absolument aucune marge de man?uvre », souligne un permanent. Une absence d'autonomie qui s'est notamment fait sentir lors des négociations importantes qui se sont déroulées à la fin de l'année 2008, tant sur la formation professionnelle que sur l'assurance chômage. « Sur l'Unedic, on a commencé par dire : on ne demande pas de baisse de cotisation. Puis on en a fait un point dur. Tout cela en l'espace de quinze jours. Il y a eu un vrai problème de stratégie », regrette un membre de l'organisation.Un manque de concertation que dénoncent certains membres du conseil exécutif. « Sa manière de gouverner est pour le moins surprenante. Nous recevons les convocations pour les réunions 24 heures à l'avance, ce qui laisse peu de temps pour les préparer, les points importants sont traités dans les questions diverses et il n'y a pas de compte rendu. Quand vous ne structurez pas les choses à ce point, c'est que vous cherchez à les contrôler », constate l'un d'entre eux. En portant plainte en diffamation contre Daniel Dewavrin dans l'affaire UIMM (lire ci-contre) et en licenciant pour faute Jacques Creyssel, Laurence Parisot est-elle allée trop loin ? Suivi quelques semaines plus tard par celui d'Anne Valachs, la secrétaire générale, le départ en 48 heures du directeur général a troublé même les esprits les mieux intentionnés à l'égard de Laurence Parisot : « J'ai été interpellé par la rapidité de ces décisions. Même si la présidente nous a demandé de lui faire confiance et nous a assuré qu'elle nous donnerait des explications sur ces mises à pied très brutales quand les conflits seront réglés », souligne un proche. Dans le cas Creyssel, l'audience aux prud'hommes est, pour l'instant, prévue le 12 juin.Dans ce climat tendu, les critiques sur l'autoritarisme de Laurence Parisot aiguisent les appétits. Car, à l'été 2010, la présidente du Medef remettra son mandat en jeu et en briguera un second de trois ans. Déjà le monde patronal bruisse de rumeurs sur des challengers potentiels, au premier rang desquels Denis Kessler, aujourd'hui patron du réassureur Scor, et ancien numéro 2 de l'organisation patronale. Nul doute que d'autres rêveront de mettre à terre celle qui, pendant cinq ans, a tant bousculé la « maison des patrons ».
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