A fond Zatopek ? !

Tous les romans de Jean Echenoz pourraient s'appeler « Je m'en vais ». Ils commencent souvent par un départ et on y prend toujours la porte, la route, ou la fuite. C'est la condition de la mise en marche de l'histoire. Dans son nouveau livre, « Courir », l'écrivain s'attache aux pas d'un homme qui s'en va vite, très vite, un professionnel du départ mais aussi de l'arrivée : Emil Zatopek (1922-2000), l'un des plus grands coureurs de fond de tous les temps, quatre fois médaillé d'or aux Jeux olympiques, dix-huit fois champion du monde.Il ne s'agit pas d'une biographie romancée traditionnelle. Echenoz retrace à un train d'enfer le parcours de celui qu'on surnommait « La locomotive tchèque ». Il ne mentionne aucune date, mais précise bien tous les lieux : le calendrier importe peu, seuls comptent la carte et les pistes. Il accorde aux événements politiques qui ébranlent le XXe siècle la même place que les incidents qui émaillent la carrière sportive de l'athlète. Il délaisse la famille et l'entourage du coureur au profit de ses adversaires, des spectateurs et de la presse. Il dédaigne la psychologie, mais détaille les méthodes d'entraînement et les tactiques employées pour gagner les 5.000 ou les 10.000 mètres. Rien ne vient ainsi ralentir le récit, réglé sur la course de Zatopek.L'athlète, réputé pour ses mouvements bizarres et inélégants, son visage horriblement déformé pendant l'effort, ne s'est jamais soucié de son apparence : « Le style, c'est des conneries. Tant qu'à courir, il vaut mieux courir vite, non ? » dit-il. L'auteur, avec ses expressions familières, ses constructions alambiquées, ses répétitions volontaires, ses adresses fréquentes au lecteur, se moque aussi du beau style, de l'académisme. Il a inventé son propre système, adopté son rythme, contrôlé sa mécanique, à force de travail et d'obstination ? voilà bientôt trente ans qu'il publie des romans. Comme Zatopek, Echenoz fait tout ce qu'il ne faut pas faire et pourtant il a remporté les prix les plus prestigieux (le Médicis en 1983, le Goncourt en 1999) et gagné l'admiration du public.« zzzzz... »Mais la comparaison s'arrête là et il faut se garder de voir dans le coureur un véritable double de l'écrivain, ou dans « Courir » une métaphore élémentaire de l'acte d'écrire. D'abord, à notre connaissance, Jean Echenoz n'a jamais été déporté dans une mine d'uranium ni travaillé comme éboueur, contrairement à Zatopek, suite à la répression soviétique du Printemps de Prague. Ensuite, plus sérieusement, émettre de tels jugements serait rompre ce qui fait le charme des romans d'Echenoz : leur minutie, leur retenue, leur prudence vis-à-vis de toute tentative d'interprétation du réel. En témoigne ce passage où il se demande si le nom « Zatopek » n'est pas à l'origine de la gloire de l'athlète : « On fait zzz et ça va tout de suite vite, comme si cette consonne était un starter. [?] Les noms peuvent aussi réaliser, à eux seuls, des exploits. Mais enfin n'exagérons rien. Tout ça est bien joli sauf qu'un patronyme, on peut lui faire dire ou évoquer ce qu'on veut. [Zatopek] eût-il été courtier en grains, peintre nonfiguratif ou commissaire politique, on eût sans doute trouvé son nom tout à fait adapté à chacun de ses métiers, dénotant aussi bien la gestion rationnelle, l'abstraction lyrique ou le froid dans le dos », écrit Echenoz. C'est vrai. On peut faire dire n'importe quoi aux mots. A condition, tout de même, d'être un bon écrivain. Aimé Ancian« Courir » de Jean Echenoz, Les Éditions de Minuit ? 142 pages, 13,50 euros. L'incipit« Les Allemands sont entrés en Moravie. »
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