Jean-François Théodore : " Les marchés ne peuvent résoudre les questions qui les dépassent"

Vous venez de publier d'excellents chiffres de transactions pour le mois de septembre. Les opérateurs boursiers ignorent-ils la crise financière ?Même si la volatilité est forte sur les marchés d'actions, elle ne leur profite pas nécessairement sur le long terme. Les marchés actions jouent en revanche un rôle utile d'apporteur de liquidité. La crise actuelle n'est pas à l'origine boursière, c'est une crise de confiance qui affecte d'abord les banques et le marché monétaire. Dans un contexte tumultueux, les marchés régulés d'actions fonctionnent. Ils constituent un baromètre de l'activité mais ils ne peuvent résoudre les questions qui les dépassent. Ils remplissent leur mission au moment où d'autres valeurs, d'autres classes d'actifs ne trouvent plus à s'échanger sur des marchés de gré à gré, figés, privant le système bancaire de liquidités. Cela dit, l'activité est, à toutes choses égales, moins soutenue qu'au début de l'année : la présence des gérants est moins active et les hedge funds sont contraints de diminuer leur effet de levier. L'activité d'arbitrage pur bénéficie pour sa part des nouveaux services à tarification adaptée que nous avons mis en place.Au-delà des troubles actuels, comment va évoluer votre activité dans les prochains mois ?À court terme, une fois dépassées les tensions actuelles, notre activité pourra être affectée par la disparition de certains acteurs et par le moindre effet de levier dont pourront bénéficier les autres. Cela jouera sans doute en 2009. Mais sur le long terme, la crise va plutôt renforcer le marché organisé que nous sommes.Dans quelle mesure ?Les marchés de gré à gré, les actifs trop complexes ont fait la preuve de leur inefficacité et de leur dangerosité. Comme les régulateurs le soulignent, on a besoin de produits plus transparents, donc sans doute plus simples, à la liquidité assurée, de produits cotables et cotés sur un marché réglementé. Un fort potentiel peut ainsi apparaître sur le marché obligataire qui est sorti de la Bourse au cours des vingt dernières années. Les circonstances actuelles ont montré par ailleurs toute la valeur des chambres de compensation pour les usagers des marchés, pour les ratios des banques, pour la gestion des risques : LCH-Clearnet a dénoué efficacement les positions qu'elle garantissait au titre de la défaillance de Lehman. Cela doit favoriser les marchés organisés qui sont toujours branchés sur des chambres de compensation. Comme on le voit dans les réflexions menées aujourd'hui sur les dérivés de crédit, un nouveau besoin de plates-formes peut apparaître, pour confirmer et enregistrer les négociations effectuées à l'origine de gré à gré, et les apporter à la compensation. Nous sommes à cet égard bien placés avec le service B. Clear que Liffe a développé et qui va s'étendre bientôt aux CDS. S'agissant du marché primaire, on peut penser que, dans un univers où l'effet de levier et l'endettement seront plus difficiles à obtenir, on redécouvrira, comme on a commencé à le faire, l'importance des fonds propres, même pour les entreprises industrielles. Des conditions de crédit plus difficiles revalorisent la signature des entreprises qui ont directement accès au marché.On constate pourtant que de plus en plus de valeurs moyennes se retirent de la cote...Dans le bilan avantages-inconvénients d'une cotation en Bourse, certaines entreprises ont pu constater un accroissement des contraintes avec les nouvelles directives alors que les avantages se réduisaient dans l'immédiat puisque le marché actuel ne leur permettait plus de trouver un financement adapté. La volonté ou la nécessité de limiter le recours à l'endettement devraient de nouveau jouer en faveur de la cotation. Quant aux contraintes, une réflexion est en cours à Bruxelles sur l'opportunité de les alléger pour les valeurs moyennes. Le groupe de travail de l'AMF, conduit par Jean-Pierre Pinatton, vient par ailleurs de formuler des recommandations intéressantes à leur égard.La crise des marchés ne trouve-t-elle pas une partie de son origine dans la sophistication de l'offre des opérateurs boursiers, notamment en matière d'arbitrage ?La crise financière actuelle a commencé il y a quinze mois et trouve son origine en dehors des Bourses qui n'en sont qu'un baromètre. Au plus fort de la volatilité des marchés en août 2007, en janvier 2008 et tout dernièrement, les investisseurs ont pu trouver sur les Bourses la liquidité qu'ils recherchaient, à l'inverse d'autres canaux qui se sont fermés ou gelés. Les nouveaux services de Nyse-Euronext à destination des arbitrages accroissent la qualité d'exécution de notre marché. Ces acteurs ne prennent pas de positions au-delà de la journée et ils renforcent la liquidité du marché tout comme ils peuvent en réduire les spreads et la volatilité en situation normale. Parallèlement, les fonds cotés en Bourse (ETF) ont rendu accessibles des actifs qui ne l'étaient auparavant que pour certains professionnels, le plus souvent de gré à gré. Ces fonds font l'objet de prospectus d'introduction visés par le régulateur et sont soumis à un principe d'encadrement des cours.Que répondez-vous aux critiques visant la cotation en continu ?Les règles de nos marchés ont été définies en priorité par les régulateurs, souvent en concertation.Continuer à coter des titres lorsque le mouvement de baisse s'emballe ne conduit-il à alimenter la spirale baissière ?Au lendemain du krach de 1987, les programmes de ventes automatiques - program tradings - ont été mis en accusation. Le franchissement de seuils provoquait alors le déclenchement d'ordres de ventes automatiques, contribuant ainsi à une spirale baissière. En réaction, à Wall Street comme sur toutes les grandes places, des coupe-circuits ont été instaurés. Ils ont alors été conçus de façon restrictive, ce qui conduisait à de nombreuses interruptions. Par la suite, au cours de la dernière décennie, les régulateurs ont pris en compte le fait que des suspensions de cotations trop fréquentes pouvaient participer à l'aggravation de la nervosité des opérateurs, ce qui a conduit à un élargissement des seuils de réservation. Si une nouvelle situation de marché devait inciter les régulateurs à revenir vers des seuils de suspension plus étroits, nous nous adapterions bien sûr à cette évolution.Vous avez déjà vécu à plusieurs reprises des périodes agitées. En quoi la crise actuelle est-elle plus grave ?C'est à coup sûr une situation plus complexe que les autres. En 1987, je crois, en 1998 puis en 2001, il s'agissait essentiellement de crises boursières classiques nées d'exagérations commises dans les valorisations de certains secteurs. Aujourd'hui, nous assistons d'abord à une crise de la liquidité bancaire, ce qui la rend particulièrement compliquée à gérer malgré les efforts concertés des États qui savent qu'il ne faut pas laisser les intermédiaires bancaires faillir.La déréglementation qui est sur la sellette aujourd'hui a conduit à mettre fin au monopole des Bourses traditionnelles. Depuis novembre 2007, vous avez des concurrents qui affichent de fortes ambitions. Comment réagissez-vous ?La directive européenne, entrée en vigueur il y a près d'un an, a créé un nouvel environnement pour Nyse-Euronext et les opérateurs boursiers historiques. Quand on part de près de 100 % de parts de marché et que la concurrence s'ouvre, il est difficile de progresser. A fortiori quand quatre plates-formes multinationales voient le jour. Nyse-Euronext a mis en oeuvre une stratégie complète pour faire face à cette nouvelle concurrence. Le premier élément se concentre sur la qualité des transactions, avec une amélioration continue des performances de notre plate-forme informatique, UTP (Universal Trading Platform), qui sera encore plus efficace et plus rapide. Elle devrait être opérationnelle en début d'année prochaine pour les marchés d'actions d'Euronext en Europe, et qui franchira l'Atlantique dans la seconde partie de l'année. L'offre de service sur notre carnet d'ordres est également largement étoffée. Notre offre d'internalisation des ordres, qui permet aux intervenants de confronter les ordres de leurs clients entre eux, compte déjà une cinquantaine de membres actifs qui y réalisent 15 % de leurs volumes ; elle représente 3 % à 4 % de notre chiffre d'affaires. Ces membres font l'économie des frais de règlement-livraison et nous sommes convenablement rémunérés pour notre service de cotation. Nous nous apprêtons par ailleurs à lancer deux plates-formes paneuropéennes, sous le régime des facilités de négociations multilatérales : SmartPool vise le marché des ordres de blocs anonymes, ce qui constitue un nouveau débouché pour Nyse-Euronext, l'échange de ces blocs se déroule actuellement de gré à gré, en marge du marché central. SmartPool est lancé en partenariat avec trois grandes banques (BNP Paribas, HSBC, JP Morgan) ; nous donnerons par ailleurs à la mi-novembre le coup d'envoi à notre propre plate-forme alternative pour les titres européens non cotés sur Euronext, comme les valeurs britanniques ou allemandes. Notre atout sera d'offrir l'ensemble de ces services avec un même accès informatique, la même connectivité et un même label reconnu dans le monde entier. Aucun de nos concurrents ne dispose d'une gamme de services aussi complète et articulée. Elle nous permettra d'accroître encore notre compétitivité.
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