La juste valeur, un bouc émissaire facile

Une crise financière doit trouver ses coupables. Aujourd'hui, on trouve dans le box des accusés : les subprimes, la titrisation, et la fair value (la juste valeur). Avec des marchés boursiers perturbés, voire défaillants, la juste valeur attire logiquement la foudre. Nous proposons ici de préciser ce qu'elle est, avant d'examiner les enjeux du débat qu'elle a suscité la semaine passée.La juste valeur peut être définie comme le montant pour lequel un actif peut être échangé ou une dette réglée entre des parties avisées et consentantes, dans le cadre d'une transaction conclue dans des conditions normales (**). Pour les instruments financiers, cela signifie que le prix de marché mark to market sera constaté sur un marché actif et pertinent. Si ce n'est pas possible, on devra se rabattre sur des instruments similaires, dont le marché est actif. Enfin, s'il n'y a pas de marché actif de substitution, on aura recours à un modèle approprié, avec une évaluation mark to model.Toutefois, ces principes ne concernent que des actifs disponibles à la vente (available for sale). Pour ceux destinés à être conservés jusqu'à l'échéance (held to maturity), un principe d'évaluation plus régulier prend le relais : le coût amorti.Une volatilité non maîtrisable.L'organisme normalisateur avait conscience des risques encourus avec une telle évaluation, bien plus volatile que le coût historique. Dans le cas particulier du secteur financier, ce même mode d'évaluation estompe les différences entre les activités de transaction, d'intermédiation ou d'investissement et la valorisation des portefeuilles qui en découle.Le Bureau des standards comptables internationaux (IASB) a proposé un amendement à l'IAS 39 afin que " dans des circonstances exceptionnelles " des actifs illiquides puissent être temporairement exclus du périmètre de la juste valeur. Le recours temporaire au coût historique stérilise en effet la volatilité de ces actifs.De leur côté, les établissements financiers font valoir que la règle de la juste valeur accroît leur vulnérabilité car la valeur de marché des actifs est impactée par une volatilité non maîtrisable, tandis que leur passif est stabilisé, au prétexte que le montant des dettes sera remboursé à la valeur nominale. Banquiers et assureurs contestent une dégradation abusive de leur solvabilité et un biais dans la valorisation de leurs capitaux propres. La conséquence la plus prévisible serait de ne pas maîtriser et respecter les ratios prudentiels.Aussi le régulateur européen a accepté de fournir aux banques " une option moins pénalisante quant à la valorisation des actifs qu'ils envisagent de conserver plutôt que de les vendre ". Pour leurs comptes du troisième trimestre, les banques ont été autorisées à déroger à la règle de l'évaluation par le marché de manière rétroactive au 1er juillet 2008. Le premier motif avancé tient à l'illiquidité de certains instruments financiers constatée sur des marchés qui ne remplissent plus leur rôle. Le second s'appuie sur le gel temporaire des transactions qui autorise, sous certaines réserves, une évaluation au coût historique. Au final, la juste valeur est sauvegardée, mais elle reste sous haute surveillance.Un aspect de la juste valeur mériterait d'être corrigé : ses variations dans les comptes sont synchrones avec la cotation sur le marché. La densité des relations interbancaires propage sans délai la variation de juste valeur dans tous les bilans, ainsi une perte isolée peut conduire à une hémorragie instantanée et généralisée. ­Paradoxalement, certaines entreprises évitent aujourd'hui les instruments financiers les plus ­complexes pour ne pas souffrir des excès du référentiel IAS-IFRS. Autrement dit, la forme tue le ­contenu !Restaurer la stabilité financière.Que penserait un banquier d'un particulier qui prétendrait aujourd'hui évaluer son bien immobilier au prix d'achat 2007 au prétexte que le marché ne fournit plus d'indication de prix approprié ? Qui peut croire que le coût historique aurait inversé la conjoncture économique et financière ? Parmi les solutions envisagées pour restaurer la stabilité financière des marchés, il est question de limiter les marchés de gré à gré au profit des marchés organisés. Sous la tutelle d'une chambre de compensation, un nombre suffisant d'intervenants favoriserait la permanence de la juste valeur. Peut-être faudra-t-il également envisager de lisser la juste valeur de marché sur plusieurs séances, comme on le fait déjà pour établir un cours de clôture d'une séance de Bourse...De tout temps, les fondements de la valeur ont été au centre des discussions : en 1987, lors de la privatisation de Paribas, les différents cabinets affichaient des écarts de valeur de 20 %. La juste valeur ne ressemblerait-elle pas en fin de compte à la quête du Graal ?(*) Université de Rouen, Bordeaux Management School. Animateur du blog www.lestauxdinteret.com(**) " Instruments financiers et IFRS : évaluation et comptabilisation en IAS 32, 39 et IFRS 7 ", par Pascal Barneto et Pierre Gruson, aux Éditions Dunod, 2007.
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