Îles dalmates  : scoot toujours

Îles dalmates : scoot toujours !Il suffit parfois de peu de chose pour s'approprier un espace, « se couler » dans le pays, un artifice vestimentaire par exemple, comme un chapeau dans l'outback australien ou un boubou dans la grande plaine sahélienne. Mais cela ne va pas forcément à tout le monde. Adopter un moyen de transport local permet plus sûrement de résoudre le problème tout en évitant le ridicule, qui, même s'il ne tue pas, peut causer de douloureuses blessures. Sur les îles de Dalmatie méridionale, tout le monde, sauf peut-être quelques religieuses embarrassées par leur robe, possède un scooter pour se déplacer rapidement et sans contrainte. Avec ses charmantes petites roues et son carénage aux galbes d'odalisque, l'engin est parfaitement adapté à ces îles lascives, offertes aux caresses du soleil et aux chatouilles de vagues innocentes. Le véhicule idéal pour un étranger avide de rencontres et d'échanges.La route se tortille entre les plantations d'oliviers et les vergers de mandariniers qui portent déjà leurs premiers fruits, oranges et ronds, comme autant de petits soleils. Tout autour, le maquis, rêche et obstiné, dégage un frais parfum de « finis terra » atlantique. Les gomillas, ces innombrables tas de pierres entassées par les paysans au cours des siècles pour nettoyer leurs champs, mouchettent les collines de vilaines verrues blanches. Lopin d'oliviersBrac se dilate tranquillement sous les premières chaleurs de l'année. Le moteur deux temps chantonne sa morne ritournelle de piston et de vilebrequin, sauf dans les virages où, lorsqu'on coupe les gaz, il se met à caqueter comme une vieille poule. À l'entrée du village de Mirca, deux chiens mal embouchés ne semblent pas apprécier ce tapage et décident de courir sus à l'intrus pétaradant. L'espace d'un instant, le scootériste d'opérette regrette de ne pas avoir loué un 125 cm3 au lieu du poussif 50 cm3. On aimerait filer sur l'asphalte, cheveux au vent, en « easy rider » de l'Adriatique. Hélas, la Croatie, encore si permissive sur certaines choses ? on fume dans les restos, on fumait encore récemment dans les hôpitaux ?, a rendu obligatoire le port du casque (90 euros d'amende pour les contrevenants). Tant pis pour la chevauchée sauvage. À 30 ou 40 km/h, le paysage se laisse contempler sous toutes les coutures et il est facile de s'arrêter faire un brin de causette. Derrière un muret, où quelques lézards mélancoliques réchauffent leurs vieilles écailles, Nikola Zuvic, 82 ans, taille ses oliviers. Même si son fils l'aide un peu, il va lui falloir trois mois pour traiter ses 900 arbres. Avec la cueillette de novembre, il a tout de même produit 9 tonnes d'huile? Ici, chacun a son carré de vignes, son lopin d'oliviers. Récoltes et vendanges sont faites le soir, en famille, avec des amis ou quelques voisins. Pour conclure la conversation en beauté, Nikola va chercher dans la boîte à gants de sa vieille Zastava millésime 1979 une flasque remplie de Sljivovica, une petite prune qui fait claquer la langue. Attention quand même à la reprise. Les virages semblent plus faciles à négocier, mais c'est un leurre !Villages léthargiquesL'escapade motorisée se poursuit à travers des villages léthargiques aux tuiles couleur pain d'épice. Lozisca, à l'ouest, possède un beau clocher à bulbe d'oignon et un banc de pierre sous les cyprès, fréquenté par des vieillards qui savent vieillir. On gare la Vespa devant une brochette de patriarches chenus, qui vous saluent dans un patois fleuri et frotté à l'ail. La plupart ont travaillé toute leur vie dans les carrières de l'île et attribuent leur longévité à la fine poussière de la pierre de Brac qui leur a fortifié les poumons ! Leurs têtes, aussi calcinées que les collines alentour, ont su retenir plus d'humour que de cheveux. La plupart des maisons sont construites avec ce calcaire très particulier dont la blancheur éclatante rendrait presque aveugle. Dans le noir des fenêtres grandes ouvertes sur le printemps, des grands-mères arrosent leurs cactées en pot, secouent leurs vieux tapis et discutent de leur prochain rendez-vous chez le coiffeur. C'est qu'il s'agit d'être belle et pimpante pour la messe dominicale, grand événement de la semaine dans ces campagnes oubliées du monde.Du haut des 778 mètres du Vidova Gora, qu'une route bitumée dessert bien commodément, les îles voisines semblent attendre le premier coup de vent pour partir à la dérive. Plein sud, sur une mer bombée comme une tortue, se succèdent les silhouettes sombres et allongées de Hvar, Vis et, au loin, Korcula, sur laquelle l'exploration va se poursuivre, sans scooter cette fois, mais à pied et avec l'aide d'un GPS contenant les coordonnées de quatre chemins. Des chemins rugueux et caillouteux, utilisés naguère par les paysans et leurs ânes pour rejoindre la vigne et sur lesquels le deux-roues n'a pas vraiment sa place. Sous les éclairs blancs des mouettes qui tracent dans le ciel d'avril, on quitte alors à regret le moelleux de la selle biplace pour réapprendre à tricoter du sabot dans la rocaille. Christophe MigeonUn voyagiste a eu l'idée de concocter une formule combinant scooter et randonnée pour une découverte en douceur de Brac et Korcula, îles du sud de la Croatie, dans la mer Adriatique.
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