Nucléaire : après 12 ans de retard, EDF va enfin mettre en service l’EPR de Flamanville

Le chantier du réacteur le plus puissant au monde s’achève, avec douze ans de retard sur la date prévue et un considérable dérapage financier.
La centrale de Flamanville 3.
La centrale de Flamanville 3. (Crédits : SARAH MEYSSONNIER)

TIC-TAC, TIC-TAC... Après dix-sept longues et douloureuses années de chantier sur la presqu'île du Cotentin, EDF est enfin prêt à mettre en service le premier réacteur EPR français. Les équipes n'attendent plus que le feu vert du gendarme du nucléaire, dont l'instruction est sur le point d'aboutir après la finalisation d'une ultime consultation du public. Ce n'est plus qu'une question de jours ou de semaines, tout au plus.

En coulisses, la venue du président de la République est programmée mi-mai. En toute logique, Emmanuel Macron, accompagné du ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, et de son ministre délégué à l'Énergie, Roland Lescure, devrait se rendre sur le site de Flamanville (Manche) à l'occasion du chargement du combustible dans la cuve du réacteur, l'acte I des tant attendues opérations de démarrage. Sur place, tout le monde retiendra son souffle. Et pour cause : alors que la France engage une vaste relance de l'atome civil, comprenant la construction de six, voire quatorze nouveaux réacteurs, ce coup d'envoi constitue un véritable test pour la filière, sommée de se remettre en ordre de bataille après un chantier maudit.

Lire aussiL'EPR, le chemin de croix du nucléaire français

Le plus puissant du monde

Sur le papier, le réacteur normand de 1.600 mégawatts, soit le plus puissant au monde, devait produire ses premiers électrons dès 2012, cinq ans seulement après le premier coup de pioche. « Ce qui était très optimiste, car les précédents chantiers nucléaires pour la construction des réacteurs de Chooz et de Civaux avaient duré une dizaine d'années », souligne Michaël Mangeon, spécialiste de l'histoire du nucléaire. Mais cet affichage commercial extrêmement ambitieux tourne vite au fiasco.

Les travaux, à peine entamés, sont arrêtés en mai 2008 en raison de défaillances au niveau de la dalle de béton, qui nécessite d'être renforcée. S'ensuivent des retards liés à la non-disponibilité d'équipements clés. Puis des anomalies dans l'acier de la cuve, un composant crucial du réacteur, sont révélées par le gendarme du secteur. C'est ensuite le couvercle de cette même cuve qui ne satisfait pas aux exigences de sûreté. La malédiction se poursuit avec la détection de nombreuses soudures défectueuses. Leurs travaux de reprise n'en finiront plus de s'allonger.

La facture explose

Plombé par ces dérapages à répétition, le chantier accumule finalement douze années de retard. Mécaniquement, la facture explose. Elle se chiffre désormais à 13,2 milliards d'euros selon EDF, soit quatre fois les 3,3 milliards d'euros envisagés initialement. Même l'addition du chantier pharaonique du tunnel sous la Manche n'a pas autant flambé.

Ces multiples déboires ont largement été imputés au « désapprentissage » de la filière nucléaire après l'absence de projets de construction pendant une dizaine d'années, contrastant avec un rythme très soutenu, allant jusqu'à 30 chantiers en simultané, durant la présidence de Valéry Giscard d'Estaing.

« Même sur des ouvrages très simples de génie civil, on avait complètement perdu les compétences, se remémore un ancien haut cadre dirigeant d'EDF. C'était une catastrophe. »

Ironie de l'histoire, à l'époque, Pierre Gadonneix, aux manettes de l'entreprise publique, lance justement le projet de cette centrale, non pour des besoins en électricité (la France se trouve alors en surcapacité), mais parce qu'il redoute justement une perte des compétences. Les dérapages de calendrier et de budget, il s'y attendait un peu, « mais pas à ce point-là ».

Retrouvez notre dossier : La revanche du nucléaire

Conception complexe

Les difficultés rencontrées sont aussi le résultat d'une conception extrêmement complexe inhérente aux doubles exigences de sûreté imposées par les autorités compétentes de part et d'autre du Rhin. Car l'EPR (pour European pressurized reactor) est le fruit d'un rapprochement, en 1989, du français Framatome (qui deviendra Areva) et de l'allemand Siemens, poussé par François Mitterrand et le chancelier Helmut Kohl à l'aube de la naissance de l'Union européenne. « Il ne faut pas oublier que l'EPR de Flamanville est un réacteur post-Tchernobyl [accident nucléaire survenu en Ukraine le 26 avril 1986], retrace Michaël Mangeon. Les travaux de conception commencent au début des années 1990. À l'époque, le nucléaire fait peur, en France et encore plus en Allemagne, où il y a une grande crise de confiance. On veut donc un nouveau réacteur qui soit très sûr dans le contexte d'un marché nucléaire en berne. »

« On a conçu un monstre avec deux fois plus de béton et quatre fois plus d'acier que les réacteurs de la génération précédente, juge pour sa part un ancien membre du comité exécutif d'EDF. On a pris des dispositions qui ont rendu les choses presque inconstructibles. »

Malgré tout, d'autres chantiers d'EPR aboutissent en Chine et en Finlande, également avec plusieurs années de retard. Pour autant, l'achèvement de ces travaux ne signe pas la fin des difficultés. L'EPR chinois Taishan 1, par exemple, connaît un premier arrêt en 2021 en raison d'une augmentation de concentration de gaz rares, puis en 2023 à cause d'un phénomène de corrosion.

Le premier EPR et dernier en France

À Flamanville, si le chargement des combustibles nucléaires est imminent, il faudra attendre encore plusieurs mois pour que le réacteur soit effectivement raccordé au réseau normand. Ce couplage, prévu au cours de l'été 2024, n'aura lieu qu'à partir du moment où le réacteur aura atteint le quart de sa pleine puissance, après une montée progressive par paliers. Le niveau maximum de production, lui, n'est pas attendu avant la fin de l'année.

Une chose est sûre, l'EPR de Flamanville sera le premier, mais aussi le dernier EPR construit sur le sol tricolore. Les futurs réacteurs voulus par Emmanuel Macron seront des EPR 2, au design amélioré. « Ils feront partie de la grande famille des EPR, mais ce ne seront pas des jumeaux de celui de Flamanville. Ce seront plutôt des cousins », affirme Gabriel Oblin, directeur du projet EPR2 au sein d'EDF, l'homme qui a la lourde tâche de ne pas répéter ce magistral fiasco industriel. ■

Une saga interminable en dix dates

1992 - Naissance de NPI, l'entreprise commune entre le français Framatome (qui deviendra Areva) et l'allemand Siemens, qui porte le projet d'un réacteur à eau pressurisée européen, l'EPR.

2004 - Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, autorise la construction d'un EPR en France après le refus de Lionel Jospin en 1999.

2007Début du chantier de Flamanville (Manche). Son coût est estimé à 3,3 milliards d'euros et sa fin est prévue en 2012.

2008 Premiers problèmes au niveau de la dalle de béton. Le coût est réévalué à 4 milliards d'euros. Quelques mois plus tard, l'allemand Siemens se désengage de l'entreprise commune.

2011 - Le démarrage est repoussé à 2016 après deux accidents mortels sur le chantier et d'aléas divers. EDF doit aussi intégrer les dispositifs de sûreté post-Fukushima. Son coût est réévalué à 6 milliards d'euros.

2015 Alerte du gendarme du nucléaire sur une anomalie sérieuse de la cuve du réacteur. La fin du chantier est désormais prévue en 2018.

2018 - EDF avale la branche réacteurs nucléaires d'Areva. L'électricien doit reprendre 53 soudures. La fin du chantier est prévue en 2020, son coût est réévalué à 11 milliards d'euros.

2019 Nouveau dérapage de 1,5 milliard d'euros dû aux travaux à effectuer sur les soudures. Le démarrage est reporté à 2023.

2022 Mise en service décalée au 1er trimestre 2024. L'énergéticien estime le coût total à 13,2 milliards d'euros.

2024 Démarrage de l'EPR attendu en mai.

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Commentaires 32
à écrit le 08/05/2024 à 6:57
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Combien d'années de consommation électrique de l'humanité cette filière EPR est-elle capable de fournir après avoir brûlé toutes les réserves exploitables d'uranium disponibles sur Terre ? Réponse : bien moins de un siècle ! Quelques décennies si on ...

à écrit le 01/05/2024 à 23:51
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S'il arrive à démarrer un jour, ca nous fera du kWh à 1000 Euro TTC ! Espérons que les dirigeants de ce fiasco ont été virés et que les prochains EPR fonctionneront un jour...

à écrit le 01/05/2024 à 21:41
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avec les potes du service de maintenance on était pliés en 4, comme ils ne trouvaient pas de personnel (,,plutôt pas envie de payer) et embauché des Polonais ! Surtout comme soudeurs, on connaît la suite. Bon je reconnais ma boîte avait tenté de mo...

à écrit le 30/04/2024 à 18:28
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BOUM !

à écrit le 30/04/2024 à 18:26
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BOUM !

à écrit le 30/04/2024 à 7:05
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Pyramide de Ponzi : Arnaquer toujours plus de clients pour faire tourner la spirale infernale du mensonge, jusqu'à la faillite totale ... L' #EPR est un prototype d'une vaste arnaque à l'énergie miracle que la France a vendu à l' #europe comme une é...

à écrit le 30/04/2024 à 1:59
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Douze longues annees de retard. Quelle credibilite ? Qu'est devenu le savoir-faire legendaire francais ?

à écrit le 29/04/2024 à 19:07
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Avec toute cette puissance disponible, quand il y aura beaucoup de vent et de soleil, ne va-t-on pas encore voir surgir les prix négatifs (prix de gros UE sur le réseau interconnecté, pas des clients) de l'électricité faute d'acheteur ? Une aberratio...

à écrit le 29/04/2024 à 18:22
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@ Serge Rochain : comment vous faites pour vivre sans électricité en France ? Je vous admire.

à écrit le 29/04/2024 à 17:39
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Les diatribes de Serge Rochain sont toujours à l'opposé de tout bon sens. mais bon, il défend son beefsteak! Par contre il est interessant pour les lecteurs que Serge Rochain nous rappelle les 7 pays, dont deux européens, qui sont à 100% renouvelable...

à écrit le 29/04/2024 à 17:05
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Il faut peut-être garder quelques soudeurs dans le coin, on ne sait jamais.

à écrit le 29/04/2024 à 9:52
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Pour les novices de l'exploitation de réacteurs , toutes mises en œuvre de recherche de criticité est soumis e à autorisation de l ASN Donc logique l ASN a connaissance de tous les dossiers Les exploitants auront la pression pour assurer le démar...

le 29/04/2024 à 11:10
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Ce n'est pas la dernière erreur de la France.... Nous en avons 6 autres sur la table de travail !

le 03/05/2024 à 12:48
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Mais pourquoi n'a t-on pas conservé notre modèle de réacteur traditionnel, qui marchait bien, plutôt que de construire cet EPR ? La seule différence c'est la puissance. 0,8 MGW contre 1,6 MGW pour l'EPR. Il suffisait donc d'en construire 2 !. C'était...

à écrit le 29/04/2024 à 9:29
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Il pourrait démarrer avec le passage de la flamme olympique , notre président serait présent et le monde entier se réjouirait de ce triomphe français.

le 29/04/2024 à 11:12
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Comet peut on appeler un tel échec..... Un triomphe ?

à écrit le 29/04/2024 à 9:22
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Deux cierges à notre Dame des bonnes nouvelles pour la divergence de ce chantier d'orgueil. Il faudrait je pense mais je n'y connais rien, limiter la puissance des réacteurs à 1200 MW max (900 pour ceux du plan Messmer en 75). Quant à en construire 1...

le 29/04/2024 à 13:20
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Limiter la puissance à 1200 ou 900, ça ne changerait peut-être rien, c'est homothétique comme construction, donc moins grand mais la même structure presque 'inconstructible'. La puissance a été prévue pour les wattures, il faut anticiper les futurs ...

à écrit le 29/04/2024 à 8:52
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Pas demain qu'elle va être rentabilisée la bestiole d'autant plus qu'un nombre d'arrêts pourrait bien se profiler à l'horizon ( voir Finlande )

le 29/04/2024 à 13:23
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j'avais lu que le kWh de l'EPR serait 100% plus cher que le courant 'habituel' même si les prix ont cru depuis et qu'il y a eu du retard & des surcoûts gigantesques. Là il sera peut-être 4 ou 6 voire 10 fois plus cher, c'est le client qui paiera. Sac...

à écrit le 29/04/2024 à 8:37
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Mr le journaliste , Un petit correctif s’ impose voir l article d un de vos collègues sue le sujet dans La Tribune : le tunnel de la manche a connu aussi cet explosion des coûts : prévu à 10 -13 milliards :de francs il en a réclamé au final 100… ave...

à écrit le 29/04/2024 à 7:48
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Heu... vous êtes sûrs ? ^^

à écrit le 29/04/2024 à 6:36
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Bonjour, une bonne nouvelle, mais laisser moi un peux de temps pour ouvrir une bouteille.... Ils y a tellement de temps que l'ons cela doit ce produit.... Bien sûr ils ne faut pas le dire....

le 29/04/2024 à 22:35
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Pourtant tout le monde ne parle que de ça depuis plusieurs années. Bien sûr ils ne faut pas le dire....

à écrit le 29/04/2024 à 6:25
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le nucléaire civil est basé sur une escroquerie toute simple : l'enrichissement du combustible, le retraitement des déchets et l'enfouissement ne sont pas payés avec la facture électrique des consommateurs mais avec leurs impôts ... Même si le carbon...

le 29/04/2024 à 8:29
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Bannissons les hydrocarbures,gaz et électricité d’origine nucléaire.Il reste l’éolien ,le photovoltaïque et le bois.J’ai peur que ça soit insuffisant et donc faire provision de bougies et de chaussettes en laine.Qu’en dites-vous ?

le 29/04/2024 à 9:16
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Merci pour la brillante leçon de choses, mais voyez la réalité en face : le nucléaire civil a été décidé pour que vous puissiez griller vos tartines le matin. Sans dépendre du pétrole du Moyen-Orient, qui est hautement volatil. Après, fantasmez comm...

le 29/04/2024 à 9:42
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Le bilan carbone du nucléaire est de l'ordre de 4 à 6 grammes de CO2 par kWh produit et cela tient compte de l'ensemble du cycle de vie. Seul l'hydraulique fait légèrement mieux (4g/kWh), mais ce bilan reste bien meilleur que celui de l'éolien (de l...

le 29/04/2024 à 11:21
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Vous êtes donc plus savants que 7 pays dont deux européens qui sont déjà e' 100 %renouvelable... Et plusieurs autres sont en passe de le devenir... Le nucléaire s'effondre dans le monde et ne représente même plus 9% de la production mondiale d'électr...

le 29/04/2024 à 11:26
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@asimon C'edt vous qui êtes dans le fantasme... Le nucléaire civil n'est que le sous produit du militaire à qui il fallait du plutonium pour sa bombe, lequel n'existe pas à l'état naturel et n'est qu'un sous produit de la fission de l'uranium! C'est...

le 29/04/2024 à 11:33
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@jarninier... Vous vous laissez bluffer avec des chiffres qui ont été inventés par deux politiciens Longuet et de Rugy qui ont imposés à L'ADEME qui se trouvait sous la responsabilité de de Rugy de mettre 6g de co2 à la place des 66 que L'ADEME avai...

le 29/04/2024 à 22:38
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Réfléchissez 2 secondes, si c'était vrai la production d'énergie nucléaire serait bien plus que les centrales à pétrole... Pourtant des dizaines de pays ont des centrales nucléaires... C'est absurde.

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