Daniel Kehlmann, l'heure de « Gloire »

En littérature, certains sujets sont si éculés qu'il faut l'ingénuité de la jeunesse ou l'aplomb du grand âge pour oser s'y frotter. La fine frontière entre le réel et la fiction ou bien la solitude des individus dans un monde pourtant de plus en plus « connect頻 font partie de ces thèmes rebattus.Daniel Kehlmann est jeune (il est né en 1975), mais il a déjà beaucoup lu et écrit ? huit livres, dont « les Arpenteurs du monde », l'un des plus grands succès de la littérature allemande de ces dernières années. Alors, quand il aborde des territoires déjà explorés par d'autres auteurs, au moins les présente-t-il avec assez de fraîcheur et d'expertise pour plaire au lecteur. C'est ce même mélange de candeur et d'assurance que dégage l'écrivain allemand, rencontré à l'occasion de la parution de son nouveau livre, « Gloire », un « roman en neuf histoires ».« Après ?les Arpenteurs du monde?, j'ai ressenti le besoin de faire quelque chose de différent. J'ai eu l'idée de ce livre en neuf histoires indépendantes, mais qui se recoupent, pour former la trame d'un roman. Ce n'est pas original en soi, mais je suis fier d'avoir lié les histoires de façon verticale, et pas seulement horizontale. » misantrhope comme rothEn effet, chacune des nouvelles de « Gloire » prend pour personnage principal un individu qui apparaît dans les autres nouvelles. Mais Kehlmann joue aussi sur l'identité même des protagonistes. Par exemple, « Rosalie s'en va mourir » raconte comment une femme âgée, condamnée par un cancer, décide de mettre fin à ses jours. Après quelques pages, le lecteur découvre que Rosalie est un personnage inventé par un écrivain, Leo Richter, le « héros » d'une autre nouvelle ! Rosalie décide alors de se révolter contre le sort injuste que lui a réservé l'auteur?Tout au long de « Gloire », Daniel Kehlmann développe ainsi, avec un grand sens de l'humour, de nombreux effets de miroir ou de mise en abyme. Au final, les différentes histoires s'entremêlent si bien que plus rien ne distingue les personnages de leur créateur : tout n'est que fiction(s). Daniel Kehlmann doit beaucoup à Borges, bien entendu. Mais il a aussi été influencé par Philip Roth : « J'ai lu récemment ?Exit Ghost? [Ndlr, pas encore traduit] et j'ai trouvé ça génial. Roth fait tout ce que Nabokov, l'un de mes écrivains fétiches, dit qu'il ne faut pas faire, et pourtant ça marche ! » Plusieurs histoires de « Gloire » font penser à un passage d'« Exit Ghost » où Philip Roth déplore le trouble et la solitude dans lesquels les moyens de communication modernes nous plongent. Daniel Kehlmann partage les réflexions d'un écrivain misanthrope, de quarante ans son aîné ! L'auteur de « Gloire » ne se sent peut-être pas très à l'aise dans notre époque. Mais c'est sans doute ce qui confère à ses livres leur ironie si aimable et particulière. D'ailleurs, quand on lui demande chez quel auteur il aimerait vivre, s'il était un être de fiction, il répond : « Tolstoï. Ma vie me semble trop kafkaïenne. Je préférerais être un de ces personnages de Tolstoï, très noble, à la fois de rang et d'âme. » Tant qu'il ne se prend pas pour Anna Karenine, Daniel Kehlmann continuera à nous divertir avec talent? « Gloire, roman en neuf histoires », de Daniel Kehlmann, traduit de l'allemand par Juliette Aubert, éd. Actes Sud, 176 pages, 18 euros.
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