Jospin et la justice : en finir avec l'interventionnisme

Plus que jamais, alors que la vie publique pâtit de l'individualisme et du règne de l'argent, il est indispensable de rétablir les règles de l'éthique républicaine. De la base au sommet de l'Etat, du fonctionnaire au ministre, nous sommes des citoyens responsables de l'Etat au service des citoyens. Nous leur devons des comptes, nous leur rendrons. » Dans son discours de politique générale, le 19 juin, Lionel Jospin donne le ton. Pour le nouveau Premier ministre, « le respect du droit est fondamental pour la république et la démocratie. Sans lui, le lien social se dissout et les institutions sont discréditées. Aussi la justice doit-elle être indépendante et impartiale ». Depuis, décisions et déclarations du garde des Sceaux se succèdent pour démontrer la bonne foi du nouveau gouvernement. Elisabeth Guigou exclut toute intervention dans les affaires individuelles. Le 23 juin, le ministre de la Justice confirme qu'il ne donnera « aucune instruction » au procureur de Créteil, face à la demande du juge Eric Halphen de poursuites contre le directeur des renseignements généraux dans le cadre de l'affaire des HLM de Paris. Il confirme que la nomination des magistrats du parquet, alignée sur ceux du siège, les rendra plus indépendants du pouvoir politique et s'empresse d'annoncer qu'il n'envisage pas de réforme de l'abus de biens sociaux. « Un choix politique » pour Elisabeth Guigou, qui refuse de rendre les poursuites plus difficiles dans ces dossiers délicats. Autre preuve manifeste de la bonne volonté du gouvernement de changer les moeurs judiciaires : le remplacement du directeur de la police judiciaire parisienne, Olivier Foll, le 19 juin. Il avait refusé d'assister le juge Eric Halphen lors d'une perquisition, il y a un an, au domicile privé du maire de Paris, Jean Tibéri. Commentaire désabusé d'un député de la majorité sortante : « Les affaires vont maintenant remonter mécaniquement. La Ville de Paris et le RPR n'échapperont pas à cette grande lessive. Mais jusqu'où ? » « Jusqu'au bout », répond, formel, un conseiller de Lionel Jospin à Matignon. Ainsi, au lendemain des élections, trois anciens ministres centristes, Pierre Méhaignerie, Bernard Bosson et Jacques Barrot, ont été mis en examen dans l'affaire du financement occulte de l'ex-CDS. Une information judiciaire contre X est également ouverte dans le cadre de l'attribution des marchés publics du conseil régional de l'Ile-de-France, présidé par le RPR Michel Giraud. D'autres devraient suivre rapidement. « Avant la fin de l'année, une douzaine d'affaires concernant l'ancienne majorité devrait aboutir », confirme un haut magistrat. Un deuxième semestre judiciaire chargé, qui aura valeur de test pour le gouvernement. D'ici là, le garde des Sceaux s'est engagé à enclencher une réelle réforme de la justice, en s'appuyant sur les propositions de la commission Truche, formée à la demande du chef de l'Etat en janvier, qui doit rendre son rapport dans une dizaine de jours. Même si les conclusions sont partiellement déflorées, les décisions de Lionel Jospin s'inspirent déjà largement des grands axes du rapport. Le calendrier prévoit que, dès la rentrée, les textes juridiques enrichis de conclusions de la commission Truche seront prêts, une réforme constitutionnelle étant nécessaire si le gouvernement touche à la nomination des magistrats. Elle devrait être à l'ordre du jour de la prochaine session parlementaire. « La cohabitation est favorable à la bonne marche de la justice, constate Dominique Barella, membre du Conseil supérieur de la magistrature qui aura en charge la nomination de tous les magistrats en cas de réforme. En renforçant les contre-pouvoirs, elle garantit un meilleur équilibre constitutionnel. En 1993, le président François Mitterrand suivait systématiquement les avis du conseil pour les nominations de magistrats. A partir de 1995, la moitié des avis n'étaient plus suivis. » Exemple d'avis non suivi : au cours de l'été dernier, le directeur de cabinet de Jacques Toubon, Alexandre Benmakhlouf alors garde des Sceaux, a été nommé procureur général au parquet de la cour d'appel de Paris, un poste hautement stratégique pour influencer le cours des affaires délicates... Tellement stratégique que « rien n'empêche le gouvernement Jospin de le remplacerar simple nomination en Conseil des ministres, avant que la nouvelle réforme soit en place », ironise Dominique Barella. Car les gouvernements socialistes précédents n'ont pas été les derniers à exercer des pressions sur la justice. « Les juges sont indépendants, mais les procureurs doivent obéir », affirmait le garde des Sceaux socialiste Henri Nallet, durement ébranlé au début de l'année 1991 par les développements de l'affaire Urba. Les lois d'amnistie de 1988 et de 1989, visant à soustraire aux poursuites judiciaires les infractions relatives au financement direct ou indirect des campagnes électorales ou des partis, ne laissaient déjà guère d'illusions sur les velléités du pouvoir socialiste de l'époque de ne pas laisser déborder par les « affaires ». C'est contre une longue tradition interventionniste, de droite comme de gauche, que le gouvernement Jospin devra lutter. « Une révolution culturelle à laquelle même les magistrats ne sont pas préparés, reconnaît Michel Lernout, secrétaire général adjoint de l'Union syndicale des magistrats qui représente plus de la moitié de la profession. Il faudra mettre fin à un certain nombre d'habitudes. » (Voir entretien.) A condition de donner à ces magistrats les moyens de cette nouvelle indépendance et mettre un terme à l'ère du juge « petit artisan ». Une anecdote en cours dans les milieux judiciaires raconte qu'un magistrat de la sous-direction économique et financière Emmanuel Barbe, ancien juge d'instruction doué en informatique, avait conçu en 1996 un logiciel d'instruction qui permettait de stocker sur CD-ROM les milliers de
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