L'organisation de l'entreprise doit s'adapter à l'ère de l'immatériel

Qu'est-ce qui fait aujourd'hui la valeur d'une entreprise ? Les idées, répondent des voix de plus en plus nombreuses qui défendent la montée en puissance d'un nouveau modèle économique qui oriente toujours plus les entreprises vers l'immatériel. Pour certains, la propriété matérielle devrait finir par se limiter aux actifs clés de l'entreprise. "Les actifs immatériels ont un poids croissant, voire prépondérant, dans la valeur de l'entreprise et constituent désormais des atouts concurrentiels discriminants", confirme Marie-Ange Andrieux, associée de Strateva. Tous les secteurs, même les moins évidents, sont touchés par ce mouvement. "Souvent, le seul moyen de garder une industrie consiste à l'enrichir avec de la propriété intellectuelle", note Alain Kaiser, associé au cabinet en conseil de propriété industrielle Breese, Derambure Majerowicz. Une entreprise comme SNR, qui produit des roulements à billes et à aiguilles, développe ainsi des technologies nouvelles - comme des capteurs de vitesses - qu'elle intègre dans ses roulements, créant les conditions favorables à une évolution de son entreprise via des produits "différenciants" à fort contenu technologique. Une visibilité accrue. Parallèlement, les normes comptables internationales IFRS, applicables aux sociétés cotées depuis janvier 2005, donnent une visibilité accrue aux actifs immatériels (voir encadré). D'où un management de ces éléments plus rigoureux, alors que beaucoup d'entre eux restaient jusqu'ici cachés dans la masse du "goodwill". Dans ces conditions, "la question que se posent de plus en plus d'entreprises est de savoir s'il faut radicalement changer leur organisation pour pouvoir intégrer systématiquement la propriété intellectuelle", constate Alain Kaiser. En pratique, les créations de fonctions spécifiques se multiplient. Responsable de la gestion de la propriété intellectuelle, directeur de la propriété industrielle, responsable de la valorisation des incorporels... les appellations sont variées, mais "ce type de nomination, inhabituel il y a encore peu, concerne en général un poste de haut niveau au comité de direction au niveau corporate", précise Alain Kaiser. Ce mouvement suit l'exemple d'entreprises pionnières comme GE, IBM ou, en France, Bouygues Télécom. Chargés de coordonner la création de valeur et la diffusion de l'immatériel, les heureux élus viennent souvent de l'opérationnel. Mais cette mutation n'en est qu'à ses prémisses. "De nombreux groupes ne s'occupent que de la partie visible de la propriété intellectuelle et en oublient la face cachée (avantages compétitifs, organisationnels, savoir-faire...) qui constitue l'essentiel de la valeur de l'entreprise", regrette Alain Kaiser. Déposer un brevet est une chose, disposer du savoir-faire pour le mettre en oeuvre en est une autre. "Il semble que les entreprises ne soient pas encore organisées pour gérer l'innovation de façon globale et intégrée à leur stratégie, d'autant que les financiers ne se sont pas approprié ces questions de propriété intellectuelle." Conséquence logique : alors que les sociétés étrangères, notamment anglo-saxonnes ou nordiques, sont en avance, les entreprises françaises continuent trop souvent de gérer leurs actifs immatériels de façon dispersée, avec une multitude d'intervenants (directeur des ressources humaines, directeur financier, directeur juridique...). Le chargé de l'innovation, s'il y en a un, reste parfois cantonné à la gestion de projets. Pourtant, "il faut une gestion transversale et organisée de ces actifs, souligne Marie-Ange Andrieux, pour s'assurer qu'ils viennent en support et au service de la stratégie globale de l'entreprise et qu'ils s'intègrent, comme les autres actifs permanents, dans les circuits de reporting et d'investissement". Et de militer pour un véritable directeur des actifs immatériels, chargé d'initier la mise en place et de suivre la gestion de ces derniers. Avec notamment pour fonction de s'assurer qu'une cartographie de ces actifs est établie, avec des indicateurs spécifiques. Surtout, note Marie-Ange Andrieux, "un directeur des actifs immatériels contribuerait à réduire l'écart souvent constaté entre l'appréciation par l'entreprise de la valeur de son immatériel et le prix pouvant en être obtenu". Mais, pour l'instant, remarque Alain Kaiser, "cette direction transversale reste dans une phase de prêche". Par ailleurs, le changement de paradigme devra être plus profond pour que la gestion de l'immatériel soit partie intégrante de la stratégie de l'entreprise. Selon l'associée de Strateva, "c'est un impératif de bonne gouvernance que le conseil d'administration se saisisse du sujet, par exemple au travers du comité d'audit ou de la stratégie". Alexandra PetrovicQuel mode de comptabilité ?Dans le cadre du référentiel comptable international IFRS, l'IAS 38 impose de comptabiliser à l'actif les immobilisations incorporelles. Et l'IAS 36 prévoit des tests annuels de dépréciations sur les immobilisations à durée de vie indéfinie. Reste que seuls les droits de propriété intellectuelle non générés en interne sont comptabilisés. Ainsi, Diageo, propriétaire des marques Guinness et Johnnie Walker, en fait figurer l'une à l'actif pour des milliers de livres suite à la fusion avec Grand Metropolitan, quand l'autre n'y apparaît même pas.
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