Des fortunes bâties à la hâte

Les histoires drôles sont souvent le reflet d'une société et de ses préoccupations. À l'époque de l'Union soviétique, la nomenklatura, les pénuries et les queues interminables devant les magasins constituaient la matière d'un grand nombre de blagues. Autre temps, autres moeurs. Les "nouveaux Russes", ces nouveaux riches amateurs de clinquant qui ont fait fortune dans le chaos de la transition, sont désormais le sujet de prédilection des amateurs de blagues. La Russie, qui ne comptait que quatre milliardaires en 1997, en compte aujourd'hui trente-six, selon le classement 2004 de Forbes.Un "nouveau Russe" vient de mourir et arrive en enfer. Les diables l'habillent de vêtements criards et lui remettent une liasse de dollars. Le "nouveau Russe", tout heureux, entre dans un casino et joue 1.000 dollars sur le rouge. Mais on lui rétorque qu'ici on n'accepte pas l'argent. Il s'approche alors du bar et commande un Martini sec. Désolé, lui répond le barman, mais ici on ne prend pas l'argent. Quelque peu dépité, il se rend au restaurant et demande du caviar, du saumon en sauce et une carafe de vodka. Une nouvelle fois, le serveur lui répond qu'ici on ne prend pas l'argent. Désespéré, il demande ce qu'il peut acheter. "Rien, lui répond-on. Ici, c'est un enfer pour les nouveaux Russes."Fortunes légalesLes frasques de ces "nouveaux Russes" sont désormais bien connues dans les stations de ski chic l'hiver et les hôtels de la Côte d'Azur l'été. Certains établissement ont même établi, en toute discrétion, des quotas. Mais d'où vient leur argent ? Tous ne sont pas d'horribles mafieux dilapidant au plus vite de l'argent acquis dans des trafics inavouables. Tant s'en faut. Les dollars d'origine douteuse continuent certes d'alimenter les comptes en banque en Suisse, à Chypre ou encore dans la City. Mais dans leur grande majorité, ils ont fait fortune légalement, du moins selon les règles encore balbutiantes du capitalisme russe.Ces fortunes ont été bâties le plus souvent sur les dépouilles de la l'Union soviétique, un territoire immensément riche en matières premières. Le journaliste Paul Klebnikov, assassiné fin 2004 après avoir publié la liste des cent personnalités les plus riches de Russie pour le lancement de l'édition russe de Forbes, y soulignait que soixante-six de ces fortunes ont été faites dans les ressources naturelles. Seuls trente-quatre peuvent se targuer d'avoir créé une nouvelle activité.En 1996, Boris Berezovsky, aujourd'hui en exil à Londres, se vantait dans une interview au Financial Times de contrôler, avec six autres hommes d'affaires, la moitié de l'économie russe. Pour ce proche de l'ancien président Boris Eltsine, il y avait dans ces déclarations une part de fanfaronnade. Mais également une dose de vérité. Une récente étude de la Banque mondiale indique que les 23 premières entreprises russes assurent à elle seule 57 % de la production industrielle du pays.À distance des intriguesLes privatisations de l'ère Elstine ont permis à une poignée de Russes bien en cour au Kremlin de bâtir des empires en quelques années. Au milieu des années 90, les privatisations dites "prêts contre actions" ont permis à Mikhaïl Khodorkovsky, aujourd'hui en prison, de mettre la main sur Ioukos ou à Vladimir Potanine de prendre le contrôle de Norilsk Nickel pour une poignée de dollars ou encore à Boris Berezovsky, aujourd'hui réfugié à Londres, d'acheter 51 % de Sibneft avec son comparse de l'époque Roman Abramovitch. Âgé de trente-huit ans, Roman Abramovitch est l'homme le plus riche de Russie depuis l'incarcération de Mikhaïl Khodorkovsky et le dépeçage de sa compagnie pétrolière Ioukos par l'État. Il est en discussion avec Gazprom pour céder 72 % de Sibneft pour plusieurs milliards de dollars.Une seconde génération d'oligarques, aux dents tout aussi longues, est en train de monter. Contrairement à leurs aînés, ils s'efforcent de rester à distance des intrigues du Kremlin. Alexeï Mordashov, patron de Severstal (acier, transport) ou encore Oleg Derispaska (Russian Aluminium) incarnent cette nouvelle génération qui a réussi à bâtir des empires industriels sans avoir bénéficié des privatisations douteuses du début des années 90.Xavier Harel
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