Poussière d'or et mains de velours

C'est un véritable bunker au sixième étage d'un immeuble haussmannien discret, dans le IIIe arrondissement, loin des fastes de la place Vendôme. Des ateliers comme celui-là, il en existe une demi-douzaine à Paris qui se répartissent l'essentiel de la production de haute joaillerie. Les joyaux qui sortent d'ici trouveront preneurs à des prix pouvant aller jusqu'à plusieurs millions d'euros.La maîtresse des lieux, qui ne souhaite pas que le nom de sa maison soit publié - question de sécurité et de bienséance liée au métier - est l'arrière-petite-fille du fondateur. Autour d'elle, des piles de dessins de mains, de cous, de poignets, portant une bague, un collier, ou un bracelet au crayon de couleur. Ce sont les modèles que l'atelier soumet à ses clients joailliers. Derrière elle, un coffre-fort dernier cri, la porte ouverte. Elle en sort un flacon contenant de petits carrés de métal argenté d'un centimètre et demi de côté. Étonnamment lourds. "C'est du platine, explique-t-elle. Nous le travaillons sous cette forme, en fil ou en grenaille." Dans son coffre, elle garde aussi certains des modèles qui ont fait la fortune de sa famille. Quand elle prend un bijou, elle le regarde d'abord par en dessous, puis inspecte l'intérieur. "Voyez cette mise à jour, aucun atelier chinois ne peut mettre une pierre en valeur comme cela." Elle frotte une bague sur sa veste et explique son geste : "Avec un mauvais serti, la bague aurait accroché le tissu."Avant de faire visiter son atelier, elle prévient : "Ici, l'an 1000 côtoie l'an 2000, les techniques les plus modernes se conjuguent avec les plus anciennes." Au sol, des claies de bois évitent de marcher sur un bijou tombé malencontreusement. Les aspirateurs de la maison récupèrent d'ailleurs un kilo de poussière d'or par an. Aux murs, une collection extraordinaire de moulages en plâtre des bijoux qui ont fait la gloire de cette maison depuis plus de cent ans. Très vite, elle présente "son véritable trésor", la trentaine d'ouvriers "parmi les meilleurs du monde". Fondeurs, monteurs, polisseurs, sertisseurs produisent ici chaque mois environ 150 pièces de joaillerie. Deux à trois fois par an, ils se concentrent sur des chefs-d'oeuvre nécessitant entre 500 et 1.000 heures de travail. Tous sont issus des grandes écoles françaises de joaillerie : Boule, Saint-Amant, la BJO de la rue du Louvre. Ils gagnent entre 2.000 et 4.000 euros par mois et incarnent le fameux savoir-faire français. "Nous payons les charges sociales françaises", tient à préciser la chef d'entreprise.Précieuse division du travailDans la première pièce, une jeune femme à l'air rêveur dessine un collier au stylo à bille. "Elle cherche le mouton à cinq pattes, plaisante sa patronne, le modèle qui saura séduire les joailliers." Les dessins sont ensuite proposés aux grandes marques, qui peuvent demander des modifications. Avec une pointe de regret, notre guide admet qu'aujourd'hui la plupart des modèles lui sont soumis par ses clients.À côté, une demi-douzaine d'hommes et de femmes travaillent sur de vieux établis en bois au-dessus desquels pendent de petites fraiseuses à air comprimé semblables à celles des dentistes. Ce sont les monteurs. Le travail est méticuleux, l'ambiance à la concentration. Certains ont un baladeur sur les oreilles. Tel Bruno, la trentaine, formé à la BJO. Il prépare les chatons d'une paire de boucles d'oreilles. À partir d'une plaque de platine, il fait une sorte d'étoile dont il rabat les griffes qui abriteront les pierres. "Même si je travaille dans la plus pure tradition française, je ne fais pas ce travail pour faire partie du "patrimoine vivant". Je le fais parce que l'or et les pierres m'ont toujours fasciné", explique-t-il. Derrière lui, une jeune femme relie les chatons d'un bracelet avec du fil de platine.Ensuite, les sertisseurs entrent en action. Plus concentrés encore que les monteurs, ils doivent fixer la pierre au métal. Sertissage à griffes, invisible, au marteau, la pierre ne doit plus jamais bouger. Ils travaillent avec des masses de sertisseurs, sortes de poinçons de différentes formes qui leur servent de levier pour sertir les chatons. L'un fixe un diamant gros comme un noyau d'olive sur une bague, l'autre une myriade de minuscules rubis roses sur une paire de boucles d'oreilles. Le couloir est occupé par une antique chaîne de montage en bois et en acier, toujours en activité à laquelle est accolé un poste de rayon laser pour les soudures de grande précision.Dans ce qui fut un jour une salle de bains, trois polisseurs s'emploient à faire briller chaque recoin qui d'une bague, qui d'une paire de boucles d'oreilles. "Le poli est essentiel, explique la plus ancienne, les doigts noirs de poussière de platine. C'est ce qui fait que le bijou brillera toujours." Derrière elle, un homme grave le nom d'un grand joaillier à l'intérieur d'une bague à l'aide d'un pantographe.Atelier industrielLa visite se termine là où la fabrication commence : chez le fondeur. Là, l'appartement vire à l'atelier industriel. Sur la table, empilés et soigneusement numérotés, des moules souples, la base de la fonte "à cire perdue". Cette technique permet de mouler avec une grande précision des pièces en cire, qui serviront de modèle en laissant la place à l'or, l'argent ou le platine. Il ne reste plus que la vérification à la loupe de chaque bijou. La moindre rayure, bulle dans le moulage, défaut de polissage, jeu dans le serti et la pièce sera renvoyée. D'ailleurs, les bijoux seront réexaminés en arrivant chez le client. Pour cette descendante d'une lignée de joailliers, la perfection est une religion. Elle espère transmettre sa passion à l'une de ses filles.I. E.
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