Poutine met au pas les médias

C'est l'arroseur arrosé. Le Parti communiste russe en est réduit à descendre dans la rue pour faire entendre sa voix. Pour dénoncer l'ostracisme dont il se dit victime à la télévision, l'ancien parti unique a organisé une manifestation le 21 juin. "Nous voulons des informations plutôt que de la propagande", lisait-on sur des pancartes dénuées d'ironie. "Tout commence avec Poutine et se termine avec Jirinovski", se plaint le leader communiste Guennadi Ziouganov. Leader du parti LDPR, Vladimir Jirinovski est une figure d'extrême droite très présente sur les ondes où il est apprécié autant pour ses performances clownesques que pour son loyalisme envers le Kremlin. Jusqu'aux législatives de 2003, le Parti communiste était le plus important parti au Parlement.Passé maître dans l'art de la "démocratie contrôlée", le Kremlin a trouvé plus pratique de faire disparaître l'opposition du petit écran que de truquer les élections. Le Centre pour le journalisme en situations extrêmes, un organisme de défense de la liberté de la presse, a comptabilisé les apparitions à l'écran du président, de ses partisans et de l'opposition. Il en ressort que les quatre chaînes d'information russes consacrent 90 % des informations à Vladimir Poutine, à son gouvernement et au parti majoritaire Russie unie, qui soutient toujours le président. L'étude révèle que Pervy Kanal (n° 1 en audience) n'a consacré que 2 % de sa couverture à des partis ou personnalités d'opposition, Rossiya (la chaîne d'État) 0,6 %, et TV Tsenter (chaîne régionale contrôlée par le maire de Moscou, allié de Poutine) 2 %. Qui plus est, les rares apparitions à l'écran de personnalités de l'opposition sont accompagnées de commentaires narquois alors que le président est systématiquement mis en valeur et ouvre systématiquement les journaux télévisés.Pluralisme disparuIl n'en était pas de même en 1999, avant l'arrivée de Vladimir Poutine à la tête du Kremlin. Contrôlées par des groupes oligarchiques, les chaînes télévisées reflétaient les luttes de clan et les chaînes d'opposition n'hésitaient pas à tirer à boulets rouges sur l'administration de Boris Eltsine. Loin d'être un havre d'indépendance et de liberté, le paysage médiatique russe pré-poutinien abritait un pluralisme et une liberté de ton aujourd'hui complètement disparus.Comment en est-on arrivé là ? Désireux de se faire accepter au sein d'un G8 en principe réservé aux démocraties, Vladimir Poutine se défend d'avoir mis les médias russes au pas. Tout se serait déroulé selon une "logique économique" comme l'avait affirmé le président russe après la confiscation contestée de la chaîne télévisée NTV par le monopole gazier d'État Gazprom en 2001. NTV était certes fortement endettée, mais elle appartenait surtout à Vladimir Goussinski, un homme d'affaires russe qui avait eu le malheur de soutenir un rival de Vladimir Poutine à la présidentielle de 2000. Quelques mois plus tard, un autre oligarque en disgrâce, Boris Berezovski, quittait la Russie et perdait ses 49 % dans Pervy Kanal, le TF1 russe, au profit d'"actionnaires privés" visiblement proches de l'État puisque seuls des représentants du gouvernement siègent depuis à son conseil d'administration. Roman Abramovitch, un ancien associé de Boris Berezovski qui a récupéré la plupart de ses actifs (RusAl, Sibneft), aurait joué un rôle clé dans l'opération. Considéré comme l'un de ceux qui a favorisé l'accession de Vladimir Poutine au poste de président et comme l'un de ses plus proches alliés, il fut le premier à poser le nouvel axiome : la preuve de loyauté envers le Kremlin passe par le sacrifice d'un média hostile ou indépendant. Quatre ans plus tard, le patron de Severstal Alexeï Mordachov bouclait la boucle en acquérant 70 % de Ren-TV, la dernière chaîne télévisée russe à proposer des bulletins d'information parfois critiques envers le Kremlin. Comme par le passé, les journalistes impertinents ont immédiatement été éjectés.Même chose pour la presse écrite. Un à un, tous les quotidiens et hebdomadaires ont été repris par des hommes d'affaires soutenant la politique du Kremlin. Posséder un organe de presse critique envers la ligne officielle, c'est s'exposer directement à des persécutions fiscales, administratives, judiciaires, etc. Seul Boris Berezovski, exilé à Londres, pouvait se le permettre. Mais il vient d'un coup de revendre ses deux quotidiens (Kommersant et Nezavissimaïa Gazeta) au printemps. L'alibi économique faisant de moins en moins illusion, les rachats prennent des allures alambiquées. Ainsi, le quotidien Novye Izvestia a été racheté par la femme d'un haut fonctionnaire du ministère de l'Économie lié à l'oligarque Oleg Deripaska. Ce dernier entretient d'excellents rapports avec Vladimir Poutine et lui a déjà rendu service en 2001 en contribuant à la liquidation de TV-6, une chaîne de télévision critique envers le Kremlin. Mais toutes ces opérations ont un résultat identique : le passage à une ligne éditoriale progouvernementale.Holding médiatiqueParfois, la résistance des rédactions place les hommes d'affaires dans une situation inconfortable. Lorsque la couverture de la tragédie de Beslan par les Izvestia a fortement irrité le Kremlin, son propriétaire, Vladimir Potanine, a immédiatement fait renvoyer le rédacteur en chef, avant de vendre finalement le quotidien. "Potanine ne fait pas partie du premier cercle des oligarques du Kremlin, et il se sait par conséquent plus vulnérable. Pour ne pas s'attirer des ennuis à cause de journalistes difficilement contrôlables, il a préféré refiler la patate chaude à qui de droit", confie un journaliste des Izvestia.Pour les cas difficiles, le Kremlin prend directement les choses en main. Gazprom, son bras droit dans la sphère économique, s'est ainsi constitué son propre holding médiatique autour des restes de Most Media, le groupe de Vladimir Goussinski. Déjà propriétaire de NTV et de la radio Écho de Moscou, Gazprom-Media a racheté les Izvestia et l'a transformé de journal de l'intelligentsia en tabloïd. Le holding serait en négociation pour racheter Kommersant, dernier quotidien indépendant de qualité, et un autre tabloïd, Komsomolskaïa Pravda, le plus lu du pays. Cerné par ses propres fonctionnaires serviles, le Kremlin n'aura bientôt plus les moyens de savoir ce que pensent réellement les citoyens.
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