Les trois paradoxes de la réglementation bancaire

1.Le premier paradoxe tient à l'existence d'un vaste secteur « parallèle », pratiquement non réglementé, qui opère face à un système bancaire de plus en plus régulé. Le modèle bancaire anglo-saxon (« Originate and Distribute ») qui avait été à l'origine de la crise est, à juste titre, en train d'être contenu :- la titrisation de produits complexes a considérablement diminué ;- les nouvelles règles de capital frappent, de façon spécifique, les opérations de trading ;- les véhicules hors bilan sont intégrés dans le périmètre des activités contrôlées ;- enfin, aux États-Unis, les banques sont désormais sous le coup de certaines interdictions (trading pour compte propre, détention de hedge funds ou de fonds de private equity).Cependant, les activités citées ci-dessus demeurent attractives pour un certain nombre d'investisseurs ou d'acteurs de marché. Et cela d'autant plus que la politique monétaire entretient des taux d'intérêt proches de zéro. La tentation est donc forte de transférer ces activités rémunératrices vers le système bancaire parallèle (« shadow banking ») qui dépasse en importance le secteur traditionnel. Or ce système parallèle présente l'« avantage » de ne pas être réglementé et peut donc se développer sans contrainte particulière.Pour sortir de ce dilemme, la seule attitude logique serait de soumettre à régulation et à contrôle le système parallèle. Les régulateurs, qui sont conscients de ce risque d'arbitrage réglementaire, reconnaissent cette logique, mais soulignent les difficultés pratiques de l'exercice. À ma connaissance, rien n'a encore été fait dans ce domaine. 2. Le deuxième paradoxe touche tout particulièrement l'Europe. Le modèle bancaire prévalant en Europe continentale est celui de banques universelles diversifiées. Ces banques conservent en général à leur bilan les prêts consentis et recourent peu à la titrisation.C'est un modèle particulièrement bien adapté au mode de financement de l'économie européenne où les trois quarts de l'économie sont financés par des prêts bancaires et un quart par les marchés (proportion inverse aux États-Unis). Ces banques ont bien traversé la crise sans recourir à l'aide publique des États (à l'exception de celles qui avaient surdimensionné leurs activités de marché comme en Suisse, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Grande-Bretagne...).Étant donné leur place centrale dans le financement de l'économie et leur faible recours à la titrisation, ces banques ont des bilans importants. Mais elles sont aussi pourvues de bases de dépôts solides qui renforcent leur liquidité. Or, les hauts niveaux de fonds propres, qui résultent des nouvelles réglementations de Bâle (ces contraintes seront multipliées par cinq environ), et surtout les montants de capitaux supplémentaires, qui résulteront des dispositions - en préparation - sur les « institutions systémiquement importantes », vont pénaliser ce type de banques par rapport à celles qui ont des bilans plus modestes (du fait de la titrisation et de leur faible implication dans les prêts à l'économie).La nécessité pour ces banques traditionnelles de constituer des montants accrus de fonds propres aura deux conséquences. Étant donné le coût des capitaux, ces banques seront amenées à augmenter le prix de leurs interventions. Le crédit sera donc plus cher. La seconde conséquence sera de chercher à limiter l'octroi des crédits afin d'agir sur le dénominateur des ratios. Ce faisant, ces banques pourront être tentées de privilégier le maintien au bilan des actifs les plus rémunérateurs, mais aussi les plus risqués. La recherche de meilleurs retours sur actifs, qui a été une des plaies du système financier avant la crise, pourrait ainsi devenir un des critères déterminants de sélection des portefeuilles bancaires. Si l'on ajoute les effets des règles de liquidité - en cours d'élaboration -, le risque est de pousser les banques à raccourcir l'horizon de leurs prêts pour diminuer - sans doute excessivement - la portée de la « transformation » bancaire sans laquelle il n'est pas de financement de l'économie. Ce serait donc un paradoxe cruel que de voir la réglementation bancaire pénaliser le modèle qui a le mieux traversé la crise et inciter les banques européennes à se « financiariser ». 3. Le troisième paradoxe concerne les rôles respectifs de la régulation et de la surveillance en matière financière. On sait que c'est l'extrême faiblesse de la supervision - notamment dans les pays anglo-saxons - qui a été un des facteurs déterminants de la crise. Si les contrôles avaient été plus efficaces (comme ils l'ont été dans des pays comme la France, le Canada, l'Italie...), on aurait sans doute évité le pire de la crise.Ce n'est pas un hasard si la carte de la faiblesse de la surveillance recouvre celle des plus grandes défaillances. Or, les autorités publiques, pour réagir à la situation, ont centré leur action sur la réglementation et non sur la surveillance. Mais la complexité et l'abondance des règles ne résoudront rien ; elles favoriseront les activités parallèles et les arbitrages réglementaires.C'est l'efficacité du contrôle des institutions financières qui sera la vraie réponse aux leçons de la crise. Or, si le G20 évoque maintenant cet objectif dans ses communiqués, on ne voit pas encore, sur le terrain, que ce soit devenu une priorité. Dans ce domaine, les nouvelles autorités européennes auront fort à faire. Il faudra les doter de l'indépendance et des moyens nécessaires et faire en sorte que les meilleurs standards en matière de surveillance soient effectivement mis en oeuvre sur le plan international.
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