L'Allemagne face au défi de l'intégration

Hassan ne fêtera pas le vingtième anniversaire de la réunification. Allemand d'origine turque, il n'a pourtant vécu que sur les bords du Main. Il parle parfaitement allemand et travaille quarante heures par semaine. Il a la vie quotidienne de tout citoyen allemand. Mais les commémorations du 3 octobre le laissent parfaitement indifférent. « Ce n'est pas pour moi une date importante. Du reste, cette année, c'est un dimanche », remarque-t-il, un brin mutin. En cette fin septembre 2010, Hassan s'inquiète plutôt du débat autour de l'intégration qu'a provoqué le brûlot de l'ex-membre du directoire de la Bundesbank, Thilo Sarrazin, « L'Allemagne se délite ». Un livre où est dénoncée l'influence néfaste de l'immigration sur la société allemande et qui a imposé la question de l'intégration dans le débat politique. « Je crains que l'on ne nous considère encore plus comme des Allemands de seconde zone, s'inquiète Hassan. Comme auparavant les Allemands de l'Est », ajoute-t-il avec un sourire amer. Vingt ans après l'adhésion de l'ex-RDA à la RFA, et alors que les préjugés et les différences entre l'Est et l'Ouest s'estompent lentement, l'Allemagne voit donc surgir un nouveau défi longtemps oublié, caché, nié : celui de l'intégration de ses immigrés.Si ce défi surgit avec une telle force outre-Rhin, c'est d'abord parce que la situation démographique du pays est préoccupante. Car s'il est un domaine où l'Allemagne envie la France, c'est bien celui-là. Une Allemande a en moyenne 1,38 enfant, contre près de 2 pour une Française. Avec l'accélération des décès des très nombreuses générations du passé, lorsque l'Allemagne était la locomotive démographique de l'Europe, le déficit naturel s'effondre. En 2009, il manquait 189.400 naissances pour compenser les décès. Un écart que le solde migratoire de plus en plus faible ne compense plus. Résultat : depuis 2005, la population allemande baisse et le mouvement va se poursuivre. Destatis, l'institut fédéral des statistiques, estime que, dans le meilleur des cas, les Allemands, aujourd'hui un peu moins de 82 millions, ne seront plus que 70 millions dans un demi-siècle, 65 millions dans le scénario le plus sombre. Et 35 % des habitants auront alors plus de 65 ans. Cette baisse continue de la population, et particulièrement de la population active, sera plus rapide et plus large que dans les autres grands pays d'Europe occidentale. En conséquence, l'économie allemande ne pourra pas se passer d'une immigration massive pour venir occuper ses emplois, maintenir sa consommation et assurer l'équilibre de ses comptes sociaux. Déjà, les milieux économiques s'inquiètent du manque de main-d'oeuvre qualifiée. Car si la situation démographique de l'Allemagne favorise l'amélioration du marché du travail, elle conduit aussi à des pénuries, notamment pour les postes qualifiés, pourtant si nécessaires à une économie qui vit de la haute qualité de ses produits industriels. Selon l'agence fédérale de l'emploi, 66.000 postes n'ont pas été pourvus en juin 2010, faute de qualifications. Du coup, l'intégration devient un élément clé de l'avenir économique du pays. Pour se maintenir dans la course à l'innovation et à la productivité, l'Allemagne doit désormais non seulement être capable d'attirer une nouvelle génération de « Gastarbeiter » et, pour cela, assouplir sa politique de reconnaissance des diplômes étrangers, un des grands problèmes actuels, selon Klaus Bade, président du comité d'experts sur les migrations et l'intégration. Les économistes comptent beaucoup sur l'ouverture, en avril 2011, du marché du travail aux ressortissants des pays de l'UE qui ont adhéré en 2004. BNP Paribas table ainsi sur 900.000 migrants en quatre ans ! Mais si l'Allemagne proposera des postes, elle ne sera pas encore forcément attirante pour les migrants. Pour preuve, la baisse du chômage depuis 2005 n'a pas induit une hausse de l'immigration, bien au contraire. Il faut encore que les migrants disposent de bonnes perspectives d'intégration pour venir s'installer durablement. Or, l'Allemagne affiche bien des manques de ce côté. Klaus Bade rappelle ainsi que 40  % des jeunes diplômés d'origine turque envisagent de retourner en Turquie. Un chiffre qui montre les faiblesses de l'intégration outre-Rhin et qui, là encore, menace d'ôter de la main-d'oeuvre qualifiée à l'économie. Surtout, l'Allemagne peine à qualifier ces jeunes d'origine étrangère : 13 % d'entre eux quittent le système scolaire sans diplôme contre 7 % pour les jeunes d'origine allemande. Là encore, la situation engage peu les futurs migrants à venir et réduit l'offre future de main-d'oeuvre qualifiée. Selon l'institut IW de Cologne, combler ce vide permettrait d'augmenter de 38 milliards d'euros le PIB d'ici à 2030.Progressivement, l'Allemagne se réveille donc d'un songe dans lequel elle s'est complu pendant longtemps en regardant avec dédain les échecs français et britanniques : celui d'une intégration harmonieuse des « Gastarbeiter » des années 1950-1970. Elle prend à présent conscience que l'absence d'émeutes n'est pas la garantie d'une intégration réussie. Et doit faire face à des réalités douloureuses?: différences sociales et scolaires, existence de ghettos dans ses agglomérations, difficulté des jeunes d'origine étrangère à se définir comme Allemand ou encore absence des migrants dans l'espace politico-médiatique. Il a ainsi fallu attendre le mois d'avril dernier pour voir une Allemande d'origine turque, Aygül Özkan, devenir ministre. Et encore n'est-ce que du Land de Basse-Saxe. Mais ce réveil ne va pas sans douleur. Beaucoup d'Allemands voient dans les ratés de l'intégration un signe de la mauvaise volonté des migrants. Et des thèses de Thilo Sarrazin, qui fait de l'origine ethnique des immigrés la cause de leurs faibles qualifications, peuvent trouver un écho très favorable dans l'opinion. Du coup, les politiques se veulent d'une grande prudence sur le sujet. Même le Parti social-démocrate, celui de Thilo Sarrazin, a ainsi réclamé aux migrants des gages de leur désir de s'intégrer. Quant au gouvernement d'Angela Merkel, il se contente surtout de bonnes paroles là où il faudrait des actes. La crainte des partis traditionnels, c'est l'irruption d'un parti xénophobe et populiste, comme en Suisse, aux Pays-Bas, en France ou en Autriche. Les sondages, qui donnent entre 18 % et 26 % d'intentions de vote à un parti « Sarrazin », ont de quoi faire trembler dans les états-majors politiques. Et reporter à plus tard une politique d'intégration ambitieuse devenue pourtant nécessaire. Romaric Godin, à Francfort
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