L'Afrique condamnée à la croissance

C'est un grand livre sur l'Afrique que publient Jean-Michel Severino, actuel patron de l'Agence française de développement (AFD), et son conseiller Olivier Ray. Les deux hommes, qui connaissent le continent sur le bout des doigts, offrent un regard extrêmement novateur sur le devenir du continent. S'écartant des grilles de lecture traditionnelles, des débats « stériles » entre afro-optimistes et afro-pessimistes, les deux spécialistes considèrent que l'Afrique subsaharienne est d'une certaine façon condamnée à la croissance.Une thèse réjouissante qui repose sur de solides arguments, notamment démographiques. L'Afrique, continent longtemps vide, est en train de se remplir à une vitesse effrénée. « Si la France avait connu la même croissance démographique que la Côte d'Ivoire entre 1960 et 2005, elle compterait aujourd'hui 250 millions d'habitants, dont 60 millions d'étrangers », soulignent ainsi les auteurs. La population d'Afrique subsaharienne devrait de nouveau doubler au cours des quarante prochaines années pour atteindre 1,8 milliard d'habitants, « au moins ». Ce boom démographique sans précédent dans l'histoire de l'humanité s'accompagne d'une urbanisation accélérée. La moitié des Africains vivront en ville en 2030. Un phénomène dont il ne faut ni se réjouir ni désespérer mais qui bouleverse la donne économique.« Le continent africain est en train de se fabriquer un grand marché intérieur », explique Jean-Michel Severino. Qu'il s'agisse de l'Europe du XIXe siècle ou de l'Asie du XXe siècle, l'urbanisation fut à chaque fois au coeur du décollage économique de ces régions. Les milieux urbains sont un facteur d'accélération des gains de productivité et de diversification des économies. L'urbanisation, enfin, est un facteur d'enrichissement des campagnes. L'émergence de marchés solvables va permettre de créer des liens économiques entre ville et campagne. L'histoire de l'Afrique ne sera pas pour autant un long fleuve tranquille. Et le décollage ne sera pas homogène. L'Afrique n'est pas un pays mais bien un continent. Les auteurs proposent au passage une typologie fort utile qui permet de sortir des réflexions trop globalisantes. Primo, les pays fragiles comme le Tchad, le Niger ou le Soudan. Deuxio, les pays rentiers (Angola, Congo ou Gabon) qui peinent à transformer la richesse de leur sous-sol. Tertio, les pays pionniers (Kenya, Ouganda, Ghana, Burkina Faso, etc.), abonnés depuis une dizaine d'années à des rythmes de croissance asiatique. Les auteurs remettent également en cause certaines idées rebattues comme le lien entre démocratie et développement ou la nécessité de donner la priorité à l'éducation. « Le Temps de l'Afrique » est incontestablement l'un des livres les plus stimulants écrits sur l'Afrique depuis longtemps. Xavier Harel« Le Temps de l'Afrique » par Jean-Michel Severino et Olivier Ray. Éditions Odile Jacob. 345 pages. 25 euros.
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