La solitude du coureur de fond

Bloc-notesEt s'il ne s'était rien passé ? Rien du tout ? Et si rien de fondamental n'avait été transformé dans les entreprises après trois ans de crise ? Vous en doutez ? Alors, on va prendre les secteurs, les uns après les autres. Le premier, le plus exposé, la finance. Je vous vois lire, et je vous vois sourire, l'air entendu, « évidemment que rien n'a changé dans la finance », personne ne prend au sérieux ces histoires de « nouveau modèle bancaire ». Un chiffre et une provocation pour finir d'enfoncer le clou : jamais les fonds d'investissement n'ont géré autant d'argent, jamais le secteur dérégulé n'a été aussi puissant. Voilà pour le chiffre, très exactement 2.002 milliards de dollars sous gestion, nous dit le Hedge Fund Research, contre un précédent record à 1.930 milliards pendant le deuxième trimestre 2008 (tiens... 1930... si on aime jouer avec les chiffres, avouez que c'est troublant). La provocation ? Elle est signée Bob Diamond, le nouveau patron de Barclays, « l'heure n'est plus au remords », c'était devant les députés britanniques. La semaine dernière, il est passé aux actes, se faisant voter en assemblée générale un bonus qui pourrait atteindre les 15 millions d'euros au titre de l'année 2010 (« pourrait », parce que, la coquetterie, c'est qu'une partie de ce bonus est soumise à des critères de performance pluriannuelle). Je n'ai pas d'avis là-dessus, après tout, Barclays n'a jamais sollicité l'aide de l'État, et peut-être Bob Diamond mérite-t-il cet argent. C'est juste pour en finir avec les illusions.Regardez même les secteurs industriels les plus dynamiques aujourd'hui, ceux qui donnent l'impression de s'être transformé en profondeur. L'automobile ? L'individualisation (à chacun sa voiture différente, stratégie de Citroën DS par exemple) ou la voiture électrique étaient sur les rails avant la crise. Les télécoms ? Ils sont à l'arrêt. Leur seule stratégie, c'est de gagner des parts de marché dans les pays émergents et de gérer la déprime de leurs salariés. La pharmacie ? Elle regarde avec angoisse s'effondrer les brevets des blockbusters et cherche des parades du côté de la biotech... ou de la santé animale, comme Sanofi-Aventis. Les labos ont vaincu les grandes pandémies, achèvent la conquête des nouveaux territoires et visent désormais les chiens ! Elle n'est pas belle, la vie ?Trêve de plaisanteries, n'est-ce pas le symbole d'un nouveau monde étrange ? Parce que, ce qui a changé, ce sont les « process » internes, les stratégies de réduction de coût. Personne d'ailleurs n'imaginait un tel potentiel de gains de productivité. Le résultat ? Des entreprises gonflées de cash mais en panne de stratégie. Alors, va reprendre un bal étrange : on dépense pour dépenser, l'air blasé, comme on achète un bouquin qu'on n'a pas envie de lire dans une librairie un samedi après-midi pluvieux. J'achète une boîte, je rachète mes actions (beaucoup), j'intéresse mes salariés (parfois). Les marchés d'ailleurs achètent les résultats sans trop savoir pourquoi, parce qu'ils n'ont rien de mieux à faire. Les Chinois font encore plus fort, ils restent au milieu de la librairie, avec 3.000 milliards de dollars de réserves de change, sans arriver à vraiment choisir. Ils regardent se déprécier chaque minute le dollar qui ressemble de plus en plus à une monnaie de singe sans pouvoir faire grand-chose. Tous les managers de transition le savent : dans cette course de fond, ce sont les premiers mètres qui font mal. Il va pourtant falloir s'y mettre, il y a tant de chefs-d'oeuvre à lire, et à écrire.
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