L'analyse de Erik Izraelewicz : Croissance recherche nouveaux équilibres

La croissance mondiale reste incertaine : on a vu, ces derniers jours, les économistes redevenir des « hommes de lettres », qui s'interrogeaient sur la lettre de l'alphabet qui représenterait le mieux le parcours de la conjoncture. Le « V » de la Victoire, celui qui laissait espérer qu'après la récession, le monde était enfin entré dans le rebond, laisse aujourd'hui de plus en plus la place au « W » du Waterloo, celui du scénario de la rechute alors que le rebond était à peine entamé. Ce que sera l'après-sortie de crise Malgré cette incertitude sur le retour de la croissance, les organisateurs des Rencontres économiques d'Aix-en-Provence, ont décidé de consacrer leurs débats, cette année, aux conditions d'une « nouvelle croissance à l'horizon 2015 » - à « l'après-sortie de crise » donc, pour reprendre l'expression utilisée par Jean-Hervé Lorenzi, le président du Cercle des économistes, dans la présentation des débats qu'il faisait hier dans « La Tribune » (daté du 2 juillet). Saine initiative. Pour sortir de la crise, rien de tel sans doute que d'imaginer l'après-crise. La crise d'aujourd'hui est née de sept grands déséquilibres. Un nouveau régime de croissance ne pourra s'installer durablement que lorsque chacun de ces déséquilibres aura été sinon résorbé, lorsque pour le moins sur chacun d'eux un mouvement de rééquilibrage aura été amorcé. Ce n'est pas encore, loin s'en faut, le cas. Le monde est encore à la recherche de ces nouveaux équilibres. Passage en revue. Un : l'État et le marchéTrente ans de libéralisation, un mouvement déclenché simultanément par Margaret Thatcher à l'Ouest et Deng Tsiao Ping à l'Est, ont conduit à accorder, dans tous les mécanismes économiques, une primauté au marché sur l'Etat. L'auto-régulation était devenue le nec plus ultra, le mode de régulation le plus pertinent. Laissons les acteurs fixer eux-mêmes les règles de leur jeu. Le principe s'était imposé. La crise, celle des subprimes tout particulièrement, a démontré que le balancier était allé trop loin, qu'un retour de l'Etat était nécessaire. Le rééquilibrage est en cours ? on le voit dans tous les débats sur la régulation, aux Etats-Unis comme ailleurs. Il n'est pas encore acquis. Il n'est pas exclu, d'ailleurs, qu'il conduise à un nouveau mouvement, excessif, du balancier, à un Etat qui ne tue le risque, au risque d'étouffer les moteurs de la croissance. Deux : la politique et l'économieLà aussi, en parallèle, un autre déséquilibre est né et s'est amplifié avec le temps au cours de ces trois dernières décennies. On a cru à « La fin de l'Histoire » (la mort du politique) et à « La terre est plate » (la disparition des nations). L'économie de marché s'était imposée à tous. Il n'y avait plus de choix, de valeurs, de débats. L'économie avait tué la politique. L'économie s'était mondialisée, la politique était restée nationale, voire locale. Là encore, la crise démontre l'inanité de ces thèses. Comme l'Etat, la politique est en train de reprendre ses droits, avec les risques à nouveau d'une tentative hégémonique de sa part ? le « tout est politique ». Trois : le court et le long termeLes marchés financiers, mariés aux technologies de l'information, ont imposé partout une véritable dictature du court terme. Le « tout tout de suite » de mai 68 est devenu un principe de base chez les consommateurs, dans l'entreprise tout autant que parmi les actionnaires. Là encore, un rééquilibrage est engagé avec une prise en compte croissante du long terme. L'investissement, dans quelque domaine que ce soit, ne saurait produire de la valeur dans l'immédiat. Il a besoin de temps. Une réhabilitation du temps long, d'un capital patient aussi, est en cours. Elle n'est pas encore totalement affirmée. Quatre : l'industrie et la financeLes trente années de libéralisation, entre 1979 et 2008, ont été aussi trente années de « financiarisation » de l'économie. La bulle financière s'est gonflée aux dépens de l'activité industrielle, voire industrieuse. La finance devait être au service de l'industrie, elle a mis l'industrie à son service et a favorisé son dépérissement relatif. Les meilleurs étaient absorbés par le virtuel, aux dépens du réel. Là encore, ce déséquilibre ne saurait être durable. L'industrie (au sens large) a retrouvé un peu de son lustre ? et de son influence. Mais, on le sent bien, la finance n'a pas dit son dernier mot. Elle aimerait un retour au « business as usual », aux affaires comme avant, dans cette ère bénie des années 80-90. Elle y travaille. Le combat n'est pas terminé. Cinq : l'Amérique et la ChineL'étrange alliance entre une Amérique-cigale et une Chine-fourmi a largement contribué à ces « trente nouvelles glorieuses » que furent les années 80-90 et 2000 pour l'économie mondiale. Que le pays le plus pauvre du monde finance l'économie la plus riche de la planète n'était pourtant pas une situation soutenable durablement. Il ne fallait pas être grand clerc pour en douter. La crise a trouvé dans ce déséquilibre-là l'une de ses principales sources. Le rééquilibrage est en cours : l'Amérique épargne un peu plus, la Chine consomme un peu plus. Le déficit américain est en voie de diminution, le surplus chinois aussi. Mais on est encore loin du compte, très loin. Six : les riches et les pauvresLa dynamique des trente années passées a permis une formidable réduction de la pauvreté dans le monde. Elle a néanmoins aussi favorisé, dans le même temps, une bipolarisation sociale extrême partout dans le monde ? entre les pays et à l'intérieur de chaque pays, aux Etats-Unis comme en Chine notamment. Là encore, cette rupture est insupportable durablement. Elle est, des travaux de plus en plus nombreux le démontrent, un handicap à la croissance. Une diminution des inégalités, une plus grande solidarité à tous les niveaux apparaissent ainsi l'une et l'autre comme des conditions d'une nouvelle croissance. Elles ne se sont pas encore imposées à tous. Sept : la nature et la cultureDernier déséquilibre, celui que les trente dernières années d'un développement économique effréné ont favorisé : le déséquilibre entre les ressources naturelles, limitées, de la planète et la consommation, sans limite, que l'humanité en a faite. Il aura fallu une multiplication de catastrophes naturelles et l'action de quelques personnalités d'influence pour que l'économie mondiale prenne conscience des risques d'un épuisement des réserves naturelles. La préoccupation écologique monte un peu partout dans le monde. Elle reste encore très secondaire ? comme l'a montré Copenhague. Il y a pourtant là, dans une exploitation raisonnée de nos réserves naturelles, l'une des dernières conditions clés d'une nouvelle croissance. A travers ce passage en revue des sept équilibres nécessaires à une nouvelle croissance, on comprend que la crise n'est pas finie. On réalise aussi qu'il y a, sur ce chemin, de multiples risques. L'un d'entre eux, c'est que le balancier qui avait été trop loin dans un sens n'aille désormais trop loin dans l'autre. Que l'on donne à l'Etat trop de pouvoir face aux marchés, que l'on se réfugie dans la croissance zéro pour ne pas abîmer la terre, etc... Le risque existe sur chacune de ces sept conditions. La croissance a besoin de nouveaux équilibres. On ne les a pas encore trouvés.
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