Le Robin des Bois de la Bourse

« Allô, je souhaiterais parler à Terminator. » L'appel est reçu un jour par le cabinet Deminor. Bien sûr, l'auteur du coup de téléphone a écorché le nom de la société de conseil aux actionnaires. Mais le lapsus est révélateur. Deminor, tel le robot incarné par Arnold Schwarzenegger, veut faire peur aux dirigeants d'entreprise qui maltraiteraient leurs actionnaires. Il témoigne aussi d'un certain déficit de notoriété. Mais qui est donc Deminor ? À la différence de l'Adam, l'association de Colette Neuville, il ne s'agit pas d'une association mais d'une société anonyme dans laquelle les actionnaires sont les collaborateurs associés de Deminor, comme peut fonctionner un cabinet d'avocats. Alors que Colette Neuville se fit un nom à Paris lors de l'affaire Tuffier, qui défraya la chronique financière dans les années 1980, Deminor fut créé en 1990 en Belgique par Éric Coppieters pour contester les conditions de rachat de la société des Wagons-lits par le groupe Accor. Et banco, il obtient gain de cause en obligeant Accor à verser 1 milliard de francs supplémentaires aux actionnaires de Wagons-lits. Pas mal pour un début ! Bons joueurs, Paul Dubrule et Gérard Pélisson, les fondateurs d'Accor, déclareront en 1996 que l'un des plus grands regrets de leur carrière aura été « d'avoir croisé le chemin de Deminor ».« Beaucoup d'actionnaires n'ont pas vraiment d'idée du fonctionnement de la Bourse. Si un élément fédérateur comme Deminor n'existait pas, ils se borneraient à encaisser leurs pertes », plaide Fabrice Rémon, responsable de Deminor en France. La société de conseil aux investisseurs se sent en effet rapidement à l'étroit en Belgique. Elle ouvre un bureau à Paris dès 1993. Le Luxembourg suivra en 1998, puis Amsterdam, Milan et Genève. La société cherche actuellement à s'implanter en Allemagne.« Nous avons rapidement pris conscience de la nécessité de disposer d'implantations locales afin de bien comprendre les spécificités réglementaires et culturelles de chaque pays », argumente Fabrice Rémon. Autre particularité de Deminor, qui le rapproche davantage des cabinets anglo-saxons que des associations de défense traditionnelles : le profil de ses Robin des Bois de la Bourse. Ils sont tous anciens financiers ou juristes, parfaitement rodés aux chausse-trappes de la Bourse. « Je devais entrer à l'Aérospatiale, toujours pour m'occuper des fusions et acquisitions, lorsqu'un ami m'a proposé de rejoindre Deminor. Cela m'a séduit, c'est probablement mon côté justicier », se souvient Fabrice Rémon. Au total, Deminor aligne 27 collaborateurs, dont six en France, une force de frappe inhabituelle sur le Vieux Continent. Le but de Deminor n'est pas, bien évidemment, purement philanthropique. Une commission forfaitaire est exigée de l'actionnaire lors de la prise en charge du dossier. Laquelle s'élève, par exemple, à 120 euros par actionnaire dans le cas du dossier Natixis, où certaines personnes ont perdu la quasi-totalité de leur épargne. À cette somme initiale s'ajoute ensuite une commission, qui peut représenter 10 %, 15 % ou 20 % des indemnités que Deminor aura obtenues pour ses actionnaires. « De cette façon, les investisseurs qui nous saisissent savent que nous sommes motivés », justifie Fabrice Rémon. Et donc, avec à la clé des résultats sonnants et trébuchants. À titre d'exemple, dans le dossier Sidel, Deminor avait réussi à obtenir, au profit d'un millier d'actionnaires, une indemnité conséquente de 20 euros par action, après avoir démontré que la société avait publié des comptes erronés et gonflé ses perspectives de croissance.Mais, contrairement à ce que sa détermination pourrait laisser penser, Deminor préfère les actions au civil à celles au pénal. Pour la bonne raison que, dans le cadre d'une action au civil, les deux parties peuvent à tout moment décider de s'asseoir autour d'une table afin de négocier un accord à l'amiable. Ce qui est impossible dans les actions au pénal, souvent privilégiées par l'Adam, qui accepte le principe de procédures généralement plus longues. C'est pourquoi le financement de l'Adam repose, pour l'essentiel, sur des cotisations annuelles, souscrites par des actionnaires individuels mais également par des investisseurs institutionnels. Pas de concurrence frontale donc pour les deux défenseurs des minoritaires. « Ce sont de bons professionnels et nous nous respectons mutuellement », explique Colette Neuville. Et de préciser : « Lorsque l'un s'attelle à un dossier, l'autre ne s'en empare pas. Natixis constitue donc un cas exceptionnel, mais, dans ce dossier, nous nous complétons, l'un agissant au pénal et l'autre au civil. Nous avons une convergence de vues sur la plupart des sujets, comme la gouvernance d'entreprise ou la nécessité d'instaurer en France la possibilité d'engager des actions collectives afin d'alléger les procédures. »Deminor est surtout connu pour ses croisades contre des sociétés cotées, Marionnaud ou Gaudriot, par exemple, mais le cabinet se préoccupe également du sort des actionnaires des sociétés non cotées, non soumises aux mêmes contraintes de transparence. « Nous pouvons démarrer avec un actionnaire qui possède 3 % du capital, et fédérer jusqu'à 30 % de l'actionnariat », explique Fabrice Rémon. Enfin, et c'est sans doute là l'activité la plus méconnue, le cabinet a lancé il y a deux ans un fonds, Deminor Investment Management, qui gère 40 millions d'euros, dans le cadre de participations minoritaires, de l'ordre de 1 %, dans des sociétés cotées en Europe et présentant des failles en matière de gouvernance. Objectif : améliorer la gestion de l'entreprise, sans pour autant se livrer à un activisme violent, comme certains fonds spécialisés. « Le fait d'être constitué en société et non en association nous permet de disposer du matelas financier nécessaire au développement de ces activités », explique Fabrice Rémon. Si Deminor n'a pas pour seul rôle la défense des actionnaires, c'est pourtant bien dans le cadre de son activité fondatrice que l'on entendra parler d'elle au cours des prochains mois. Deminor n'a pas que Natixis comme fer au feu. Mais également l'affaire Madoff. Mandatés par 800 investisseurs qui ont perdu au total 220 millions d'euros dans cette gigantesque escroquerie financière, Deminor a assigné en justice UBS, la banque qui a commercialisé la Sicav LuxAlpha, entièrement investie dans « du Madoff ». Affaire à suivre. Christine Lejoux
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