Derrière la bataille des programmes d'économie

Quatre Français sur dix ne savent pas ce qu'est le chiffre d'affaires d'une entreprise, et le confondent avec ses bénéfices. Quant aux dividendes, ils sont six sur dix à les prendre tantôt pour une plus-value, tantôt pour une taxe, tantôt pour la valeur de l'action (1) !« On peut vivre sans ! », me direz-vous. Est-ce bien sûr ? Quand neuf Français sur dix ne savent pas calculer le taux d'intérêt effectif des emprunts qu'ils contractent (1), et qu'encore six sur dix se révèlent incapables de comparer deux abonnements de téléphone portable (1), c'est que leur lacune devient un handicap pour simplement bien vivre. Et ils le savent : trois Français sur quatre disent avoir besoin de « connaissances économiques »pour « réussir leur vie ».Cela fait un bail que, de gauche (Michel Rocard) comme de droite, les responsables politiques s'inquiètent de la faible maîtrise des concepts de base chez un peuple très prompt à épouser les thèses les plus complexes sur la mondialisation, les inégalités et la précarité. En économie les Français ont peu de connaissances et beaucoup de croyances. Pourquoi ? Le rapport de l'économiste Roger Guesnerie ainsi que les travaux d'évaluation réalisés par des économistes de grandes universités étrangères à la demande de l'Académie des sciences morales et politiques (2) sont formels : c'est dans l'enseignement économique et social dans les lycées qu'il faut en chercher la cause. À savoir, dans des programmes balayant « les problèmes politiques, économiques et sociaux contemporains », ainsi que les thèses qui s'affrontent sur leur interprétation, au détriment de l'appropriation de quelques outils conceptuels et analytiques applicables à toutes les situations. Et qui négligent la microéconomie, sans laquelle la macroéconomie reste hermétique. Mais aussi des manuels pauvres en analyses et formalisation, où dominent illustrations, extraits d'articles, tableaux, etc.C'est pour pallier ces déficiences que le ministre de l'Éducation Luc Chatel a demandé à deux groupes d'experts de redéfinir les programmes de la classe de seconde. Avec un objectif : les centrer sur l'exploration d'outils conceptuels et de raisonnements applicables à des univers distincts, plutôt que sur des thèmes, qui ne seront plus que des prétextes pour étudier le fonctionnement des outils eux-mêmes. Reprenant ainsi l'approche des « Principes d'économie moderne » de Joseph Stiglitz. Cet enseignement, désormais obligatoire, se déclinera en deux programmes : les sciences économiques et sociales et les principes fondamentaux de l'économie et de la gestion. Le premier n'a pas supprimé tous les défauts des programmes actuels : il poursuit toujours deux objectifs pas toujours conciliables ? former les citoyens et préparer aux études d'économie ?, et mêle encore sociologie et économie, deux disciplines distinctes dans leur concept et leur démarche. Avec deux fois plus de sociologie que d'économie. Mais au lieu de tout embrasser, il se concentre sur quelques notions clés. Le second, en revanche, se consacre à l'activité strictement économique des acteurs, en particulier aux arbitrages des entreprises pour créer de la richesse, à l'utilité des banques, au rôle multiple de l'État, et a le rôle économique de l'échange. Le tout selon une pédagogie qui part de l'observation des faits, pour passer à leur analyse, à l'appropriation de concepts, puis à la formalisation d'un raisonnement.À première vue, rien que de très raisonnable donc : moins d'ambitions, mais plus approfondies. En clair, maîtriser les concepts de base. Pourtant, la mobilisation des associations des professeurs du secondaire (voir « La Tribune » du 2 février) ? dont l'une est présidée par Sylvain David qui a lui-même contribué à l'élaboration de ces programmes ? montre que les enjeux de cette bataille vont bien au-delà d'une querelle de pédagogues. D'un côté, le gouvernement et les professeurs d'économie à l'université, qui s'accordent à dire que donner aux enfants une vision du monde sans leur donner la maîtrise des outils, c'est construire des préjugés sans capacité de s'en affranchir. Et que faire de l'économie, c'est apprendre à gérer la rareté des moyens. De l'autre, les professeurs du secondaire, dont beaucoup sont historiens ou géographes avant d'être économistes, qui considèrent que les outils, comme l'offre et la demande, sont en eux-mêmes porteurs d'une idéologie. Ils estiment que la mise en perspective doit primer, même si cela revient à verrouiller la vision du monde donnée aux enfants. Et que la redistribution et la régulation importent plus que la production de richesses. Deux conceptions de la liberté et de l'abondance des ressources donc. Entre les deux, il faut coire que les Français ont tranché : les trois quarts disent ne rien comprendre à l'information économique (1). Ils veulent donc que cela change. Faut-il enfin confier l'enseignement de l'économie à des économistes ?(1) Sondage TNS-Sofres - Codice Les Français et l'économie 2008.(2) « Commentaire ». Automne 2008.Point de vue Valérie Segond Éditorialiste à « La Tribune »
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