« Nous considérons ? Le Monde ? comme un bien commun »

Le quotidien « Le Monde » s'est longtemps présenté comme une institution dans le paysage de la presse française, le symbole de l'indépendance. Puis, au milieu des années 1990, sous la houlette du tandem Colombani-Minc, « Le Monde » a voulu se transformer en groupe de presse, quitte à se banaliser dans un secteur en pleine mutation. Alors que le projet de reprise de MM. Pierre Bergé, Xavier Niel et Matthieu Pigasse a obtenu, le 28 juin - de justesse - les faveurs d'une majorité du conseil de surveillance, le vénérable quotidien se prépare à une nouvelle aventure avec de nouveaux propriétaires. Le trio a cependant pris soin d'affirmer que « Le Monde » était, à leurs yeux, « un bien commun ». Cela venait comme une réponse au communiqué des anciens présidents de la Société de Rédacteurs du Monde, pour qui leur journal « est un bien commun qui doit être défendu ».En théorie économique, un bien commun est un bien ouvert à tous, comme l'eau ou les poissons, mais marqué par un caractère limité, donc source de rivalités. Pour la philosophe Myriam Revault d'Allonnes, le bien commun va au-delà?: il constitue, dans une société, un lien indispensable entre des individus, comme la culture ou le langage. « Le bien commun, par opposition au bien privé, est un bien qui s'impose à tous, une valeur comprise par tous, à laquelle tous les membres d'une communauté peuvent se référer », précise-t-elle. En ce sens, « ?Le Monde?, comme toute la presse, peut être considéré, indépendamment de ses actionnaires, comme un bien commun », l'information étant dans nos démocraties modernes « le ciment d'un fragile équilibre entre exigence de l'écoute de l'opinion et le respect des droits individuels ».Bertrand Pecquerie est plus circonspect. Le directeur du World Editors Forum note que « c'est précisément au moment où les différentes sociétés de personnels perdent ce qui était une authentique propriété commune que resurgit le bien commun ». Pour autant, la formule ne doit pas être balayée d'un revers de la main. « Cette notion renvoie aux thèses de saint Thomas d'Aquin, selon lesquelles le bonus communis doit toujours l'emporter sur l'intérêt individuel et la référence chrétienne n'est pas très éloignée des valeurs dont se réclamait le fondateur Hubert Beuve-Méry. » Mais elle renvoie aussi, selon Bertrand Pecquerie, à la notion anglo-saxonne de « common good », largement utilisée dans le monde des nouvelles technologies, des logiciels libres, de cette nouvelle économie numérique fondée sur le partage et le don. Un nouveau « Monde » pourrait alors naître de cette matrice de deux mondes, comme une sorte de « logiciel libre de la pensée française ».Trop tôt pour l'affirmer. Mais sans remonter au Moyen Âge, le sociologue des médias Jean-Marie Charon y voit surtout une « tradition bien française de la presse, issue de la Libération, qui conduit toujours à préférer les hommes de contenus ou d'idées aux entrepreneurs susceptibles de dégager les moyens financiers suffisants pour assurer leur indépendance ». De cette volonté en France de défendre, à tout prix, le pluralisme est née cette idée diffuse, mais tenace, de quasi-service public de l'information. « C'est cette tradition qui se retrouve aujourd'hui », estime le sociologue. Sauf que « le mécène se substitue à l'État pour garantir pluralisme et indépendance ».Analyse éric Benhamou Éditorialiste à « La Tribune »Chaque semaine, « La Tribune » décrypte une phrase ou une citation qui marque un temps fort de l'actualité politique, sociale ou économique.Retrouvez les réactions de Jean-Marie Charon, Bertrand Pecquerie et Myriam Revault d'Allonnes sur « La Tribune numérique du samedi ».? LaTribune. fr onglet Le Quotidien? sur l'iPhone, onglet LE Quotidie
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