« Une contre-puissance face aux États-Unis »

Quel rôle joue la Chine sur le marché pétrolier international ?D'exportateur net de brut, le pays est devenu, en 1993-1994, importateur net pour des quantités croissantes. Personne ne l'a vu venir. Aujourd'hui, la Chine produit un peu moins de 4 millions de barils par jour et importe près de 5 millions de barils, ce qui est considérable sur un marché international de 85 millions de barils. Par ailleurs, la Chine constitue une contre-puissance face aux Américains, qu'il est important pour nous, Européens, de ne pas négliger.Pourquoi Total est-il moins présent en Chine que d'autres majors ?Total est presque arrivé en Chine trop tôt. Nous avons été en 1991 le premier pétrolier international à conclure un partenariat pour construire et exploiter une raffinerie, à Dalian, dans le Nord-Est. Nous étions associés à Sinochem, notre partenaire de trading. Nous avons dû en céder le contrôle au géant CNPC-PetroChina qui, avec Sinopec, avait le monopole du raffinage à l'époque. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Côté production, la Chine a ouvert tôt son domaine minier, dès les années 1980. Elf et Total avaient chacun un permis, associés à Cnooc. Le succès n'a pas été au rendez-vous. Nous nous sommes retirés. Entre-temps, les autres majors sont arrivées. Nous avons été précurseurs mais nous avons raté la période d'ouverture. L'avantage, c'est que cela nous a piqués au vif. Et quand les autres ont pris un peu de recul à leur tour, nous sommes revenus.Comment abordez-vous aujourd'hui le marché chinois ?Dans l'aval, on vise des projets intégrés associant raffinerie, pétrochimie et distribution. C'est la stratégie d'Exxon, par exemple, qui permet de supporter les périodes où les prix des produits pétroliers sont gelés. Nous avons ouvert la première station Total en 2005, en partenariat avec Sinochem. Nous en détenons 112, avec un objectif de 500. Cependant, malgré notre antériorité, nous n'étions pas assez connus en Chine. Nous avons donc multiplié les voyages et les contacts. Aujourd'hui, nous sommes reconnus comme un vrai partenaire, ce qui nous permet de travailler à l'étranger avec les compagnies chinoises.Ne craignez-vous pas le transfert de technologie ?Dans le pétrole, on passe notre temps à faire du transfert de technologie vers les pays producteurs. C'est indispensable sinon ils ne travailleraient pas avec nous. L'important, c'est de toujours garder une étape d'avance. Notre technologie se renouvelle sans cesse. Notre véritable savoir-faire, c'est nos équipes. Quant aux Chinois, ils ont besoin de pétrole. Au lieu d'attendre qu'ils aillent le chercher seuls, autant y aller avec eux ! Le cas d'école, c'est ce que nous sommes en train de faire en Ouganda. Notre partenariat avec Cnooc nous a permis de passer devant l'ENI afin d'acquérir un gisement. S'associer permet également de bénéficier, en Chine, des coûts de production domestiques et non des prix réservés aux étrangers. C'est un des aspects de notre partenariat avec PetroChina sur le vaste projet du champ de gaz non conventionnel de Sulige, en Mongolie intérieure.Mais ces associés peuvent devenir des concurrents ?Effectivement, le risque, c'est que les compagnies chinoises nous évincent. Elles apprennent très vite, elles peuvent opérer seules dans certaines zones où la technologie n'est pas prépondérante, comme en Iran ou en Irak, où elles ont beaucoup fait baisser les prix. Il faut être très vigilant mais c'est vrai avec tout le monde. On ne peut pas utiliser cette excuse pour ne rien faire. D'autant que les compagnies chinoises ont vraiment besoin de nous dans les pays où la culture est très différente, comme en Afrique et encore plus en Amérique.Les pétroliers chinois bénéficient en outre d'une grande puissance financière...Leur priorité est de s'assurer l'accès aux ressources naturelles. Et ils ont toutes les sources de financement dont ils ont besoin. C'est un avantage pour nous d'avoir des associés solides. On n'est pas obligé de porter leurs participations. L'inconvénient, c'est qu'ils n'ont pas les mêmes exigences de rentabilité.Propos recueillis par Marie-Caroline Lopez
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.