Le Louvre de Patrice Chéreau

L'esquisse d'un sourire, le regard perdu dans le songe, le visage serein. Le portrait s'étale sur la façade du Louvre. Immense. Patrice Chéreau en est l'invité. Impressionné. Même gêné de l'importance qu'on lui donne. Pas une consécration non plus. Simplement la suite d'une extraordinaire aventure artistique commencée à la fin de l'adolescence avec la mise en scène de « l'Affaire de la rue de Lourcine », de Labiche. Puis très vite le choc de « la Dispute » de Marivaux dont on garde encore aujourd'hui dans le regard des lambeaux de beauté. De Bond à Koltès, de Shakespeare à Marivaux, une véritable révolution esthétique du théâtre. Un compagnonnage avec Giorgio Strehler et Roger Planchon et des opéras dont l'inoubliable « Ring » de Wagner dont il a laissé à Bayreuth une empreinte indélébile avec Pierre Boulez.Mais il y a une autre passion chez Patrice Chéreau, le cinéma. Ce fut « l'Homme blessé », « Ceux qui m'aiment prendront le train » on encore « Intimité ». Et aujourd'hui le Louvre avec « Les Visages et les corps », pour faire voir, entendre, écouter tout ce qui fait que la vie est parfois un théâtre. « Les Visages et les corps ». Est-ce un autoportrait de vous, ou comme une sorte de testament artistique ?Ni l'un ni l'autre. Quand Henri Loyrette m'a fait cette invitation, très vite le thème des visages et des corps s'est imposé. Ce titre résume, je crois, mon métier, en tout cas la façon dont moi je le fais, que ce soit au théâtre, à l'opéra ou au cinéma : ces corps que je mets en scène, ces visages que je filme, tous ces gestes qui m'accompagnent. J'ai passé des journées entières dans le Louvre pour chercher ce que pouvait bien me dire ce lieu et ce que l'on pouvait y raconter. Le hasard a voulu qu'au même moment je rencontre, grâce à Pierre Boulez, un texte de l'écrivain norvégien Jon Fosse : « Rêve d'automne ». C'est à partir de cette pièce que j'ai eu envie de monter à quelques mètres de la Joconde, que j'ai commencé à imaginer ce que serait une oeuvre à part entière où le théâtre, la musique, la danse, la peinture, l'écriture, tout contribuerait à créer une nouvelle pièce, atypique, bien sûr, se déployant dans tout le Louvre. Les visages que l'on voit au musée sont aussi bien ceux peints par Titien ou Bacon que ceux des acteurs, Romain Duris ou Valeria Bruni-Tedeschi, les corps sont ceux peints par Courbet, photographiés par Nan Goldin ou encore ceux des danseurs, des chorégraphes : Thierry Thieû Niang, Mathilde Monnier, Boris Charmaz. Quant à parler de « testament »... c'est mal me connaître. Ce que je fais au Louvre parle moins de mort que de désir.Où et comment, justement, naît ce désir ?Le désir, c'est soudain l'envie de refaire du théâtre, là dans un musée, dans un lieu qui n'est pas fait pour ça : le salon Denon est aussi haut qu'une cathédrale. L'envie d'emmener ici des acteurs qui n'ont jamais joué dans un tel lieu, de voir se jouer ici cette histoire écrite par Jon Fosse, cette histoire de désir fou, justement, mais aussi de famille, avec ce que ça peut avoir de pire. Et puis, aussi, le désir, sans doute, de partager avec le public ce que le Louvre me raconte à moi, à travers les tableaux que j'ai choisis et « mis en scène », d'une certaine façon dans l'exposition. Des fantômes surgissent-ils ?Comme l'écrivait Proust : « Les musées sont des maisons qui abritent seulement des pensées », c'est-à-dire sans doute plus de pensées que de simples « images » au sens où on l'entend habituellement. Des fantômes, bien sûr qu'il y en a, mais qui peut prétendre vivre sans fantôme ? Et puis, qu'est-ce que ça veut dire ? Par exemple, je mets en scène Romain Duris dans un texte de Bernard-Marie Koltès, « la Nuit juste avant les forêts », que je n'avais pas vraiment compris quand Bernard-Marie me l'avait envoyé, il y a maintenant longtemps. Donc Koltès pourrait être un fantôme, mais Romain Duris est un acteur avec qui j'ai commencé à travailler récemment pour « Persécution » mon dernier film. Je ne vis pas dans le passé, jamais.
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