Le bonheur est dans ma boîte

C'est demain. Cela doit normalement avoir des allures de fête. Et ça s'appelle « J'aime ma boîte ». L'idée ? Une journée pour célébrer son entreprise. L'initiative vient de Sophie de Menthon, présidente du mouvement Ethic. Son objectif ? « Faire reconnaître l'entreprise comme un lieu de vie, d'échange, de collaboration, de création et d'épanouissement personnel. Renforcer l'esprit d'appartenance et la solidarité, replacer le projet d'entreprise dans le cadre d'une aventure humaine et sociale. » Jusque-là on est tous d'accord. Cela nous fait même assez envie, cette idée de prendre demain le petit déjeuner tous ensemble, de jouer et de rire, et pourquoi pas, comme le préconise le site de l'opération, de créer des quiz photos. « Elle permet aux salariés de se connaître autrement en échangeant autour de leurs intérêts à l'occasion d'un café ou d'une vraie fête », défend Sophie de Menthon. Sauf que si Monsieur Coué avait raison de vouloir nous aider par des prophéties autoréalisatrices, cette année, le « J'aime ma boîte » pourrait bien rester dans la gorge de plus d'un salarié.être deuxAlors que nombre d'entre eux arrivent au bureau l'estomac noué et le dos bloqué par l'angoisse, que les cadres se shootent au Lexomil pour éviter d'enchaîner les insomnies, que la souffrance au travail n'est plus un épiphénomène, difficile d'entendre le slogan publicitaire « une journée pour lui dire que je l'aime ». Certes, l'étude commandée pour l'occasion certifie que le travail est un facteur d'épanouissement pour 8 actifs sur 10, que pour 4 sur 10 il compte même autant que la vie personnelle et que 62 % des Français sont intéressés par leur travail et aiment leur boîte pour cette raison. Bien sûr ! Mais il manque au joli constat une nuance de taille : aimer, oui ; être heureux, pas forcément. Les deux ne sont pas toujours liés. Les couples le savent très bien. Et puis pour s'entendre il faut être deux. En l'occurrence le salarié et son entreprise? La même Sophie de Menthon au moment de l'université d'été du Medef écrivait dans « Le Monde » : « C'est aux entrepreneurs de rassurer et non de mettre en scène tout leur désarroi déjà bien réel », invitant les chefs d'entreprise à prouver qu'ils « ont compris le monde de demain ». C'est donc bien à eux de faire sentir aux salariés déboussolés à quel point ceux-ci sont essentiels à la bonne marche de l'entreprise. La vraie mission d'un manager. Au risque sinon de voir la contestation poindre son nez. En 2008, Alexandre des Isnards et Thomas Zuber, deux jeunes chefs de projets aujourd'hui consultants qui se sont rencontrés à Sciences po, ont écrit un best-seller « L'open space m'a tuer », vendu à près de 40.000 exemplaires. Dans l'entreprise décloisonnée, la positive attitude fait fureur. Il est de bon ton d'avoir l'enthousiasme contagieux. Mais il n'est pas rare de devoir se réfugier dans les toilettes pour libérer un trop plein d'émotion. Ou de décider de rester travailler chez soi pour prendre un peu l'air. Alors j'aime ma boîte ? Assurément, ceux de Hertz ou de Hewlett-Packard l'aiment, leur entreprise, eux qui au printemps dernier ont accepté des baisses de salaire en signe de solidarité mais surtout pour préserver l'emploi. Alors si, comme le préconise Joseph Stiglitz, l'économiste américain, il faut repenser une économie qui mette l'accent sur la richesse humaine et environnementale plutôt que sur la seule croissance des biens, il faut aussi révolutionner la manière dont l'opinion et les politiques l'envisagent. « On peut ainsi se pencher sur le réseau social et voir la façon dont on organise notre économie, comment elle influe sur notre solitude, ou au contraire le développement de nos relations humaines, donc de notre bonheur », souligne l'ancien conseiller de Bill Clinton. Et donner sens enfin dans l'entreprise une bonne fois pour toutes au célèbre adage du philosophe du XVIe siècle Jean Bodin « il n'est de richesse que d'hommes ». Alors ce jour-là nous serons prêts à lancer une nouvelle journée baptisée « Notre boîte nous aime ». n Il y a des aspects du bonheur qu'on ne peut ignorer, et d'autres que l'on doit prendre en compte. » Joseph Stiglitz, économiste
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