Le capitalisme américain en chantier

Des montagnes de cash dans l'industrie. Comment expliquer le gonflement des réserves de liquidités dans les sociétés non financières du S&P 500 ? Pour les uns, c'est la récompense de la cure de rationalisation menée après la crise de 2008. Une tendance appelée à se prolonger, l'industrie américaine venant à peine d'entamer son régime de « lean system », l'organisation légère et flexible de l'ère numérique. Pour les autres au contraire, les réserves de cash proviennent de coupes sauvages dans des organisations inchangées dans leur principe. L'accumulation de liquidités est la preuve d'une hésitation peu glorieuse face à la décision d'investir.Une seule certitude : le capitalisme américain est en chantier et il donne toujours le ton au capitalisme mondial. Il a ses conservateurs et ses progressistes. Les premiers croient à la pérennité du compromis entre « Wall Street » et « Main Street », la manière américaine de régler les rapports du capital et du travail. « Wall Street » est l'arbitre de la confrontation entrepreneurs-investisseurs. « Main Street » est l'univers quotidien du citoyen, du consommateur, de l'épargnant. Les crises passent, le compromis fondateur renaît, tel le Phénix. Une vue optimiste radicalement contestée par les progressistes au nom d'un double raisonnement managérial et sociétal.Côté business. Les sceptiques s'apitoient au spectacle de Wall Street plébiscitant Pfizer le jour de l'annonce simultanée de la hausse de son bénéfice et de la fermeture d'un centre de 2.000 chercheurs en Grande-Bretagne. Et ils posent des questions faussement naïves. Comment se fait-il que Microsoft n'ait pas eu l'idée d'inventer Google ? Pourquoi Netflix n'est-il pas né de blockbuster ? Comment expliquer que Skype ne soit pas apparu dans la nébuleuse AT&Tmp;T ? Le monde des organisations s'est aligné en longues séquences sur le General Motors d'Alfred Sloan, l'IBM de Thomas Watson Jr et le Walmart de Sam Walton mais aujourd'hui, le Facebook de Mark Zuckerberg entre déjà dans la zone stérilisante de l'omniscience, ce qui n'en fait pas une matrice du nouveau management.Côté sociétal. Michael Porter, le gourou de la stratégie à Harvard, et son associé Mark Kramer sont les deux porte-parole du courant de la « shared value », la valeur partagée entre l'économie et la société, par opposition à la « Shareholder Value », la valeur actionnariale jugée mauvaise conseillère. Selon eux, le lien entre l'entreprise et le citoyen s'est distendu, ce qui met l'ordre social en péril. Heureuse surprise, l'emboîtement des pays riches et des pays pauvres dans le cadre de la mondialisation offre une chance historique de réinventer le capitalisme. Les peuples de l'Inde, de l'Asie ou de l'Afrique ont des besoins infinis dans la santé, l'agriculture, la logistique ou l'énergie. Le duo Porter-Kramer est hostile aux comportements compassionnels et aux « fausses solutions » du mécénat ou du commerce équitable. Il propose des formes nouvelles d'organisations à la fois contractuelles et très business, telle la création de « clusters » régionaux, assemblages de réseaux clients-fournisseurs-instances locales dans un territoire donné. Il tient à jour des centaines de fiches sur des expériences innovantes de multinationales ou sur l'itinéraire de start-up non conventionnelles. Il y a quelques jours, la division micro-turbines Energy Systems Business d'Ingersoll Rand était rachetée par un petit investisseur « cleantech », Sail Venture Partners, actionnaire d'une dizaine de PME à la fois capitalistes et militantes de l'eau potable en Inde ou des énergies propres aux États-Unis. Le socialisme n'a jamais su donner leur chance aux utopistes, le capitalisme mondialisé aura-t-il cette audace ?
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