Sarkozy-Soubie, le couple improbable

« Le plus jeune de mes conseillers. » C'est ainsi que Nicolas Sarkozy parle de Raymond Soubie, son conseiller social depuis trois ans. Dans le cercle des conseillers du président, « Raymond-la-science » - comme l'appellent les leaders syndicaux - se situe juste derrière Claude Guéant, le secrétaire général de l'Élysée. Il a un statut à part. « Il n'a rien à prouver. C'est le spécialiste des relations sociales en France. C'est un grand commis de l'État qui a servi plusieurs ministres et Premiers ministres (*). Mais c'est aussi un homme d'entreprise qui a créé Altedia, qui est une référence en matière de ressources humaines », résume Éric Aubry, son homologue à Matignon. Son arrivée à l'Élysée ne doit donc rien au hasard. Pourtant, l'homme qui ne faisait pas partie de l'équipe de campagne du candidat Sarkozy ne s'y attendait pas. « Quand Nicolas Sarkozy m'a demandé de le rejoindre, j'ai été surpris. Je me suis dit que je ne pouvais pas être totalement inutile », explique avec malice celui qui soufflera ses 70 bougies en octobre.Depuis 2007, Nicolas Sarkozy et Raymond Soubie se voient ou se téléphonent quotidiennement. Ils se vouvoient et se comprennent. Difficile pourtant d'imaginer deux personnalités aussi dissemblables. Dans ce couple improbable, on trouve l'impulsif et le sage. L'avocat d'affaires et l'énarque. L'amoureux des chansons de Johnny Hallyday et l'adorateur des cantates de Bach. L'adepte du « Kärcher » pour nettoyer les banlieues et le conseiller modeste, qui dit souvent des formules telles que « je ne veux pas m'élever au-dessus de ma condition » ou « votre serviteur ».Le couple Sarkozy-Soubie fonctionne. Sans couacs. « Ils sont complémentaires. Et pas si différents, car Nicolas Sarkozy est aussi un pragmatique. Ils ont une même vision de l'évolution de la société française », explique Xavier Bertrand, secrétaire général de l'UMP. « Il y a un respect mutuel, abonde Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO. Avec Sarkozy c'est cash. On parle à bâtons rompus. On se coupe la parole. Avec Soubie, c'est différent. Il ne prononce jamais un mot plus que l'autre. » Alors, mariage de raison ou intérêt commun?? « Entre eux, il y a un très grand respect qui n'était pas acquis d'avance. Nicolas Sarkozy apprécie la sagesse et la stabilité de son conseiller. Raymond Soubie apprécie l'énergie de son président », explique Laurent Wauquiez, secrétaire d'État à l'Emploi qui rencontre tous les mercredis à l'issue du Conseil des ministres celui qu'il surnomme « Maître Yoda », le sage de « la Guerre des étoiles ».Au quotidien, la répartition des rôles est claire?: le chef de l'État lance les réformes, son conseiller les met en musique. Avec un art unanimement reconnu. Sa recette?: le dialogue social. Et à ceux qui lui reprochent de prendre trop de temps, de mener des réformettes, voire de « brider » ou de « chiraquiser » Nicolas Sarkozy, il répond?: « Je préfère une bonne réforme réussie à 80 % qu'une réforme réussie à 100 % mais qui meurt 48 heures plus tard car elle est massivement rejetée », explique-t-il. Avant de poursuivre?: « La méthode de la réforme est un sujet encore plus important que l'objet de la réforme. Je crains le syndrome du ?pont trop loin? », explique-t-il en référence au film réalisé par Richard Attenborough et sorti en 1977 relatant l'opération Market Garden menée en 1944 par le général Montgomery à Arnhem aux Pays-Bas. Pour lui, le CPE de Dominique de Villepin a été le « pont de trop ». Après avoir conseillé le gouvernement Raffarin sur le projet de Fillon de réforme des retraites, Raymond Soubie est à la manoeuvre pour la future réforme des retraites. Pour la faire passer, Soubie fait du Soubie. Intelligent, respectueux, cet « homme d'influence », comme le qualifie Xavier Lacoste, qui lui a succédé à la tête d'Altedia, écoute, observe, tisse des liens de confiance avec ses interlocuteurs... « Il met le temps qu'il faut pour épuiser la conviction et le dialogue. Il n'humilie pas et laisse toujours une porte de sortie », explique Pierre Gadonneix, président d'honneur d'EDF et président du Conseil mondial de l'énergie, son vieux complice depuis 1976. « Ce qui m'a frappé chez lui, c'est son extrême courtoisie », explique Rose-Marie Van Lerberghe, présidente de Korian, et qui l'a souvent côtoyé. Mais gare à celui qui perdra sa confiance?; il risque de subir l'une de ses froides colères. Xavier Darcos le sait bien, lui qui a été « débarqu頻, à la demande de Raymond Soubie, de son fauteuil de ministre du Travail après l'échec de la droite aux régionales... Peu engagé sur le plan politique, cet amoureux de la comédie humaine sait y faire. Son tour de force?: avoir remis la CGT dans le jeu social. « Il y a un principe de réalité. C'est la première organisation et elle doit être traitée comme telle. Bernard Thibault a une vraie vision stratégique », explique-t-il. L'homme est prudent. Et prend toujours le temps de réfléchir. « Dans ma vie, j'ai toujours la volonté d'avoir les quelques centimètres de recul », confie-t-il. Une attitude héritée de l'enfance, où il a dû surmonter son handicap. Le jour de sa naissance, le 23 octobre 1940, une bombe britannique tombe sur la maternité de Talence, près de Bordeaux, en Gironde. Il y perd son bras gauche.Aujourd'hui, le président du Théâtre des Champs-Élysées n'a plus le temps de courir les festivals de musique, et le regrette. Beaucoup le voient tirer sa révérence, une fois la réforme des retraites adoptée. Le scénario probable. Même si l'intéressé, qui a toujours dit qu'il partirait avant 2012, botte en touche. C'est tout juste s'il confirme une rumeur persistante qui veut qu'il rouvre un cabinet de conseil en ressources humaines. « Si le conseil réapparaît dans mon horizon, je ne serai pas le moteur central », explique-t-il. Mais l'entrepreneur qui sommeille en lui ne prendra pas sa retraite. Et l'homme de presse qu'il a été - il a dirigé le groupe Liaisons Sociales dans les années 1980 - pourrait reprendre son aventure dans la presse spécialisée en ligne. Ce sera aisé?: il est déjà actionnaire majoritaire, avec sa femme Danielle Deruy, dans l'Agence éducation formation (AEF). En attendant une rentrée sociale qui s'annonce agitée, l'homme va souffler quelques jours en août dans sa maison d'Eygalières dans les Alpilles. Isabelle Moreau(*) Joseph Fontanet, ministre du Travail de Jacques Chaban-Delmas. Jacques Chirac puis de Raymond Barre à Matignon.
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