"Flécher l'assurance-vie vers les PME et les ETI est une excellente idée"

LA TRIBUNE - Vous avez accompagné les pionniers du Web, vécu avec eux la bulle Internet des années 2000, et suivez aujourd\'hui plusieurs jeunes entrepreneurs du Web 2.0 ; qu\'est-ce qui caractérise cette nouvelle génération ?JEAN-DAVID CHAMBOREDON - Pour faire croître une entreprise aujourd\'hui, il faut aller vite, surtout dans le numérique. Le cycle de vie des produits dans ce secteur ne dépasse pas six ans : voyez Facebook et l\'iPhone qui s\'essoufflent actuellement. Face à ce défi du temps, les jeunes entrepreneurs s\'associent, parfois à trois ou quatre, pour fonder leur entreprise. Pour gagner en réactivité, ils bâtissent des équipes avec peu de hiérarchie, favorisent l\'initiative et les décisions collégiales. Les entrepreneurs de cette génération échangent beaucoup entre eux pour identifier les bonnes pratiques, et apprendre des erreurs des autres. Ils nouent leurs premiers contrats avec d\'autres « pure players » du Web, plutôt que de chercher à tout prix à séduire les grands comptes. Et, pour se donner les moyens d\'une croissance rapide, ils acceptent sans complexe d\'ouvrir leur capital. En somme, ils sont loin du « self-made-man » des années 1970, omnipotent et incapable de faire confiance, effrayé à l\'idée d\'être dilué.L\'essor de la création d\'entreprises, le mouvement des Pigeons que vous avez lancé, les Assises de l\'entrepreneuriat, etc., ont donné lieu à des mesures soutenues par le président de la République en faveur des start-up. La France vit-elle une révolution culturelle ?L\'échec est désormais possible en France : c\'est bel et bien une révolution dans notre pays. Il était temps ! Depuis trente ans, la France est gouvernée par les baby-boomers qui détiennent 80 % du patrimoine et qui ont verrouillé l\'économie dans une vision « sans risque ». Leur bilan est accablant. À force de répéter que l\'argent était soit sale, soit tabou, ils n\'ont pas su assurer l\'avenir de leurs enfants, qui ont des conditions de vie moins bonnes que les leurs. Mais les nouvelles générations sont mieux formées. Et ainsi, d\'année en année, la population comprend mieux les enjeux économiques et la prise de risque s\'accroît. Parallèlement, l\'influence des aînés se réduit.Jusqu\'à quel point les sphères politique et administrative ont-elles compris les entrepreneurs ?Les Assises de l\'entrepreneuriat ont permis d\'ouvrir un dialogue inédit et constructif entre des parlementaires, membres des cabinets ministériels, hauts fonctionnaires et les entrepreneurs. À part quelques tabous, comme l\'ISF, tous les sujets ont été abordés, et pas seulement dans le domaine fiscal. L\'Élysée et Matignon ont désormais une vision plus claire de l\'entrepreneuriat, de ses problématiques. À Bercy, je ne suis pas certain que ce soit le cas de tout le monde. Arnaud Montebourg a tout de même interdit à grand bruit le rachat de Dailymotion par Yahoo trois jours après la clôture des Assises ! C\'est un signal déplorable. Certes, le régime des plus-values de cession a été modifié, et les Pigeons ont obtenu gain de cause. La France est redevenue un pays « normal » dans le domaine de la fiscalité des plus-values, qui est peu ou prou comparable à la moyenne européenne. Mais tous les obstacles ne sont pas levés. La mobilisation reste donc forte autour de ceux qui portent des revendications précises et vitales pour leur communauté, comme les Poussins, qui défendent l\'auto-entrepreneuriat, et que j\'ai soutenus publiquement.Les Pigeons s\'apprêteraient-ils à reprendre la plume ?Les Pigeons se sont battus sur un point précis aujourd\'hui résolu. Mais le manque de financement pour les start-up qui grandissent demeure. Du fait de la crise, depuis 2008-2009, les capacités en capital investissement ont fondu de moitié : on tourne désormais à 5 milliards d\'euros levés par an, les stocks sont épuisés, et l\'année 2013 s\'annonce très mauvaise. Or, ces 5 milliards d\'euros manquants représentent un levier pour la création de centaines de milliers emplois.L\'appel à l\'épargne des Français via le futur PEA-PME, prévu pour 2014, et l\'action de la Banque publique d\'investissement ne peuvent-ils pas corriger cette lacune ?La BPI, avec 1 milliard d\'euros de capacité annuelle d\'investissement n\'aura pas de capacités suffisantes. Le PEA-PME est un dispositif intéressant, mais les banques ne sont pas incitées à le mettre en avant. La collecte risque donc d\'être anecdotique. En revanche, flécher une partie des 1400 milliards d\'euros placés dans l\'assurance-vie vers le financement des PME et ETI, comme le recommande le rapport Berger-Lefebvre, est une excellente idée ! Si l\'on dirige 1 % de cet encours vers le capital-investissement, on retrouve sur cinq ans son niveau d\'avant crise.N\'est-il pas risqué d\'investir une part de cette épargne de précaution sur de petites sociétés, plus jeunes et plus fragiles ?Aux Pays-Bas, le fonds de pension néerlandais APG gère 40 % des actifs du régime retraite du pays. Il n\'a « que » 340 milliards d\'euros sous gestion et pourtant il investit à lui seul plus en capital dans les PME que toutes les banques et tous les assureurs français réunis. Pour les contrats de plus de 500 000 euros, quel danger y a-t-il à en consacrer une petite partie au « capital productif ? France Digitale, dont je suis administrateur, et l\'Association française des investisseurs pour la croissance (Afic) sont engagés sur ce sujet. J\'espère que des dispositions en ce sens seront intégrées dans le projet de loi de finances 2014.Quel est l\'impact des dispositifs publics pour l\'innovation ?Pour les entreprises Internet, obtenir ou non le crédit impôt recherche (CIR) ou le statut Jeune entreprise innovante (JEI) peut changer du tout au tout le besoin de financement. Que les bénéficiaires de ces dispositifs soient contrôlés, soit. Mais les services fiscaux ne comprennent pas ce qu\'est l\'innovation dans notre secteur. Selon la Direction générale de la compétitivité, de l\'industrie et des services (DGCIS), une innovation doit « faire évoluer l\'état de l\'art ». Facebook, par exemple, n\'aurait sans doute jamais obtenu le statut de JEI. Or, dans le numérique, l\'état de l\'art évolue toutes les semaines, et l\'innovation d\'usage est aussi cruciale que la technologie qui évolue de façon incrémentielle et interactive.L\'écosystème français des start-up est-il menacé par la croissance fulgurante de la TechCity de Londres, ou la concurrence de Berlin ?Paris compte bien plus de jeunes pousses au premier stade de financement que Berlin et Londres. En revanche, quand il ne s\'agit plus de trouver quelques dizaines de milliers d\'euros mais plusieurs millions, vous levez deux fois plus de fonds à Londres, deux fois plus vite. En France, faute de moyens, on exige trop tôt des entreprises qu\'elles deviennent rentables, ce qui brise leur potentiel de développement. C\'est pour cela que de jeunes entrepreneurs français, business plan en poche, traversent la Manche, ou partent à New York, Singapour ou Tel-Aviv pour fonder leur entreprise. Ceux qui ont déjà embauché des salariés en France ne peuvent pas forcément partir... Jusqu\'au stade de l\'internationalisation, où la question se pose de nouveau. C\'est le cas pour Criteo, le leader mondial de la publicité en ligne reciblée : il a levé 30 millions d\'euros à la fin de 2012, essentiellement au Japon et aux États-Unis, et pourrait par exemple transférer son siège de Paris à Londres. Or, cette start-up affiche l\'une des croissances les plus rapides en Europe, avec plus de 300 millions d\'euros de chiffre d\'affaires en 2012, 800 salariés et 250 recrutements prévus cette année.
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