L'Amérique a repris le clavier de la narration du monde

PerspectivesLes révélations de WikiLeaks redéfinissent l'échiquier diplomatique global. En « livrant » au reste du monde, via Wikileaks, les notes « secrètes » et autres rapports du département d'État sur les enjeux, pays, personnalités de la planète, les États-Unis ont redimensionné et redéfini, malgré eux (?), l'échiquier diplomatique mondial. Les joueurs sont les mêmes, les parties aussi, mais elles se jouent sur un nouveau terrain, éclairé, balisé cette fois par les appréciations, les analyses de la diplomatie américaine qui servent, depuis, de presque unique cadre de référence. Des diplomates jusqu'aux populations en passant par les médias, toutes les parties prenantes de l'opinion mondiale ont adhéré, sans opposition, au nouveau décor et à ses règles. Toutes se repositionnent désormais par rapport aux documents rendus publics par WikiLeaks. Dès 2008, la CIA écrivait : « WikiLeaks représente une potentielle menace pour l'armée américaine. » On peut s'interroger. WikiLeaks est-il vraiment un « ennemi » des États-Unis ? Voire même un danger réel ? Il y a comme un mystère ou une évidence dans ce qui ressemble à une série de séquences cohérentes suivant le coup d'envoi du cataclysme de novembre. Depuis, rien n'est pareil. Dans un rythme mensuel, les pays se relayent dans ce feuilleton d'un genre nouveau. Les leaders tombent les uns après les autres. C'est la série de l'année. Mais qui la scénarise ? Qui la réalise ? Qui la produit ? Les Européens, les Russes, regardent, silencieux spectateurs comme beaucoup, les épisodes se succéder. Les Chinois, craintifs, tentent de dresser des digues de défense virtuelle. Qui s'exprime ? Barack Obama, Hillary Clinton... Qui d'autre ? Barack Obama appelle l'armée à assurer la transition : « Le peuple a parlé, sa voix doit être entendue. » Hillary Clinton se fait l'apôtre de la liberté d'accès à l'Internet. Elle soutient « le droit universel de tous les peuples à se rassembler en ligne » et proclame que « le droit à se connecter » fait partie intégrante des droits de l'homme.Le Web social, ou 2.0, redéfinit, de son côté, les géographies. Il crée de nouveaux territoires, une nouvelle temporalité aussi. Il relie dans le global en s'adaptant au local. Ses technologies, ses marques sont au coeur de tous nos actes. Elles réécrivent notre manière de communiquer, de vendre, d'acheter... de contester, de s'allier ou de se faire la guerre. Et peut-être aujourd'hui de faire de la diplomatie. Cette révolution digitale est par essence américaine. Ses outils sont nés aux États-Unis où ils ont leurs sièges, leurs serveurs aussi ! Plus forts dès aujourd'hui que les bombes ou les balles, Google, Facebook, Twitter, Youtube... gouvernent le Web et peut-être déjà davantage. D'une neutralité identitaire rassurante pour les utilisateurs, ces marques restent comme l'essentiel de l'Internet, américaines. Cette nouvelle génération médiatique s'offre à nous tous gratuitement en même temps qu'elle nous colore du message culturel et sociétal « US ». Celui de la communication et des cultures en mouvement, qui cohabitent, interagissent et se transforment. C'est le coeur de l'expérience américaine.Dans les rues du monde arabe globalisé, les populations jeunes, très nombreuses, plus éduquées, sont individualisées, lucides aussi car paupérisées et sans perspectives d'avenir. Elles s'informent, se politisent et structurent leur activité politique via le Web, rare espace de distraction, d'information, de conversation et donc de liberté et d'espoir. Anonymat, instantanéité et mobilité créent une sécurité de communication et d'action sans précédent. S'il permet d'oublier sa réalité en se distrayant à travers ce que les autres jeunes créent ou inventent partout dans le monde, le Web fait aussi passerelle avec un ailleurs, parfois lointain, souvent proche, qui expérimente de nouvelles formes de partage d'opinions, de résistances. Les jeunes ne sont fascinés ni par l'Iran ni par l'Arabie Saoudite. Dans toutes ces manifestations, plus de slogans assassins contre l'Occident satanique. On ne brandit plus la charia mais la démocratie. Les « foules arabes » demandent l'accès à la liberté, la démocratie. Des élections libres. Des médias libres. Des partis politiques libres. Autant de fondamentaux que l'Occident cherchait, jusqu'alors en vain, à diffuser. L'Amérique a repris la main de la narration du monde. Et si nous étions en train de regarder, passifs, se mettre en place une nouvelle narration du monde. Un « storytelling » global, programmé, séquencé par de nouveaux scénaristes et réalisateurs à travers une nouvelle diplomatie publique de terrain, une « grassroot diplomacy », cyber ou 2.0, portée par les tuyaux et les outils du Web. De nouveaux producteurs aussi, capables dans une diplomatie plus classique, plus hard, technique, financière et militaire aussi, capables de convaincre et de maîtriser les armées des pays concernés.
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