Le Gore-Tex ou marchons sous la pluie

Avant il y avait le ciré ou le K-Way. Dix minutes passées sous une averse suffisaient alors à transformer tout randonneur en jambon cuit à l'étouffée. La chaleur ressentie et la sudation qui ruisselait à l'intérieur de la veste étaient insupportables. Puis, à la fin des années 1970, vint le Gore-Tex. Cette membrane est au marché des articles de sport ce que fut le nylon aux collants?: une libération corporelle?!Contrecollé à un tissu déperlant, le Gore-Tex le transforme en matière imperméable et respirante. C'est-à-dire que les gouttes d'eau de pluie ruissellent à l'extérieur, tandis que les gouttelettes de vapeur d'eau de la transpiration sont évacuées vers l'extérieur. Question de taille de gouttes. «?À l'époque, les professionnels du textile pensaient qu'on leur racontait des histoires. À leurs yeux, un tissu imperméable mais troué pour être respirant, cela ne pouvait pas être du sérieux?!?», s'amuse Édouard Frignet, responsable de la division textile de Gore en France.Tout débute en fait outre-Atlantique, aux États-Unis à Newark dans l'État du Delaware. Le Gore-Tex est une invention de Bob Gore, fils de Bill, ancien chimiste de chez DuPont, fondateur avec sa femme du groupe américain WL Gore spécialisé dans les applications du PTFE. Ce polytétrafluoroéthylène est un plastique fluoré dont, depuis 1958, la société familiale débite des isolants de câbles électroniques. En 1969, Bob Gore, aujourd'hui président du conseil d'administration, a l'idée d'expanser ce PTFE. Surprise?: la matière ne se casse pas. Elle est poreuse. Bob Gore invente un procédé pour la laminer. Et il en teste l'effet dans une veste qu'il porte lors de randonnées. Bingo. Ça marche.Ainsi s'ouvre un nouveau champ d'applications, notamment les filtres industriels de microparticules et l'habillement. Dix ans de recherches plus tard, en 1979, la marque Gore-Tex est lancée. Elle pèse aujourd'hui pour environ 30?% des 2,7?milliards de dollars de chiffres d'affaires du groupe WL Gore non coté.Entre-temps, le groupe américain n'a pas ménagé sa peine pour convaincre des vertus imperméabilisantes et respirantes du Gore-Tex. En Europe, en partenariat avec des marques réputées, l'américain équipe des alpinistes chevronnés, les envoie sur les 4.000 mètres de l'Arc alpin pour tester les produits. Ils en reviennent conquis. Parmi eux, figure l'Italien Reinhold Messner, premier homme à avoir atteint le sommet de l'Everest sans oxygène, et Michel Drapier, «?touche-à-tout de la montagne?», grand trekkeur et fondateur du magazine «?Montagne Magazine?». Auprès de ces aventuriers de l'extrême, Gore-Tex décroche une caution technique. Elle en fait la publicité dans les magazines professionnels et les revues de trek. Et ainsi, elle forge sa notoriété et se hisse au niveau d'une marque générique. «?Nous sommes une marque ingrédient, comme Intel Inside l'est devenue auprès des marques d'ordinateurs?», juge aujourd'hui Édouard Frignet. WL Gore a aussi formé tous les vendeurs de magasins de sport au concept Gore-Tex. Et les détaillants d'articles de sport y ont vu très vite une belle opportunité de développer leur chiffre d'affaires. Car le port d'une veste Gore-Tex exige de revoir sa façon de s'habiller. Il faut porter en dessous des sous-vêtements techniques et respirants. Et remiser son tee-shirt en coton, matière hydrophile qui absorbe la transpiration et colle à la peau. C'est l'effet panoplie de Gore-Tex. «?Ses performances ont révolutionné la manière de s'habiller par couches successives?», résume Éric Pansier, directeur marketing de la marque The North Face en Europe. Autant d'arguments qui poussent le candidat au Gore-Tex à dépenser dans l'achat d'une polaire et d'un sous-vêtement technique. Le tout à des prix de 20 à 25?% plus chers que les articles d'antan. Bref, les produits labellisés Gore-Tex deviennent une machine à cash pour un commerçant d'articles de sport. «?C'est un moyen de se différencier de ses concurrents?», préfère dire Édouard Frignet.De Chamonix à Courchevel en passant par Isola 2000, la mayonnaise prend peu à peu. Les français Millet et Eider se jettent à l'eau en lui ouvrant leur collection. L'allemand Schöffel et l'anglais Bergaus font de même. Au milieu des années 1980, alors que la mode du jean et de la doudoune dévale les pistes de ski, Killy, la marque du plus connu des skieurs français, est la première à griffer ses vestes Gore-Tex. À l'aube des années 2000, le label est devenu un must. En 1999, le phénomène aurait fortement contribué aux +?15?% affichés par le marché mondial du loisir d'extérieur (« outdoor »). «?C'est la Rolls Royce de l'imperméabilité?», image Éric Pansier.Oui, mais voilà. Depuis, tous les acteurs du sport se sont engouffrés dans le créneau en lançant leur propre label. Moins cher, bien entendu. Décathlon, numéro un français des distributeurs d'articles de sport, griffe ses vestes du label Novadry. The North Face, qui avait fait du Gore-Tex sa clef d'entrée sur le marché européen, a lancé son propre label, Hyvent, en 2000, en complément de sa ligne haut de gamme toujours griffée Gore. «?Il s'agit de couvrir d'autres niveaux de prix?», relève Éric Pansier.Gore, qui a déposé nombre de brevets pour protéger sa membrane et sa technique de laminage, s'attendait à cette concurrence par le prix. Dès 1989, la marque a mis en place une garantie à vie de ses produits au bénéfice du consommateur. «?Cela justifie notre prix?», explique Édouard Frignet. Tout propriétaire de Gore-Tex peut se faire rembourser sa veste, quelle que soit sa marque, si elle présente un défaut d'étanchéité. «?Il y a moins de 1?% de retour par an?», assure-t-on chez Gore-Tex. La tactique alimente le mythe. Parallèlement le groupe se diversifie. En créant notamment le Windstopper. Cette membrane coupe-vent à appliquer sur des tissus plus souples doit lui permettre de sortir du strict créneau de l'outdoor et d'entrer dans le secteur du prêt-à-porter plus quotidien. Le défi sera plus difficile à relever notamment en Europe du Sud dont la météo n'incline pas au choix d'une Gore-Tex au quotidien et où les fous de mode rechignent au look de randonneur qu'elle procure. «?Cela n'ira pas de soi?», juge le responsable d'une marque d'habillement. «?Nos produits sont de plus en plus présents au sein des collections de ville?», assure cependant Édouard Frignet. En 2009, 6,5?millions de vêtements comprenant un label Gore ont été vendus dans le monde. Le groupe américain mise maintenant sur les chaussures. L'an dernier, 20?millions de paires aux couleurs de Gore ont été vendues.L'américain cherche surtout à pénétrer de nouveaux marchés. «?L'an dernier, l'Asie a fortement contribué aux plus de 10?% de croissance de la division textile?», explique Édouard Frignet. La Chine présente un gros potentiel. Mais aussi la Corée, pays couvert à 70?% de montagnes et au climat fort rude. Signe que les vestes Gore-Tex n'ont pas fini de faire le tour de la planète. Juliette Garnie
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