Brandohôtel, les « cocoonés » du « Bounty »

Samedi matin, Papeete. Aux commandes de son Airvan GA8, Richard dit « Dick Bailey », le président de Pacific Beachcomber, met le cap sur Tetiaroa, à 53 kilomètres au nord. Philippe Brovelli le directeur des hôtels, lui sert de copilote. « Tout a commencé il y a vingt-six ans quand j'ai rencontré Marlon Brando à Los Angeles, explique-t-il. La star avait découvert l'atoll pendant le tournage des « Révoltés du ?Bounty? » ; le film virait au cauchemar, lui est tombé sous le charme de la Polynésie et de Tarita, sa partenaire, qu'il a ensuite épousée. » Située à quelques miles de Moorea, en direction de Bora Bora, Tetiaroa est l'unique île basse de l'archipel de la Société. Elle a officiellement été découverte en 1789 par le capitaine Bligh à la poursuite des fameux révoltés, mais on en trouve trace déjà dans les écrits de James Cook. Après quinze minutes de vol, Tetiaroa apparaît. Sur 7 kilomètres de diamètre, 13 motus, seules traces de l'ancien cratère, encerclent le lagon.En 1965, quand Marlon Brando entreprend d'acquérir Tetiaroa, une vieille dame, Mme Doran, habite le motu d'Onetahi avec ses 40 chats et ses chiens. Elle a hérité du lieu par son grand-père, un dentiste qui aurait reçu l'atoll de la famille royale Pomare. Elle accepte de céder un bail emphytéotique ; Marlon Brando devient propriétaire pour 99 ans - le territoire polynésien conservant un droit de préemption -, à une condition : qu'il veille à ce que Tetiaroa soit à jamais protégé.Marlon s'installe avec sa famille et fait bâtir huit bungalows pour en faire un petit hôtel. Mais l'affaire tourne au désastre. Ici, il n'y a ni eau potable, ni électricité, ni moyen d'évacuer les déchets. Pour chaque client, il faut affréter un vol spécial d'Air Moorea. Marlon Brando y va de sa poche. Sur 33 ans, les pertes sont estimées à 100 millions de francs pacifiques, dont 40 non versés à Air Moorea. En 1990, le fils aîné de la star, Christian, est emprisonné pour le meurtre du petit ami de sa demi-soeur Cheyenne. L'acteur dépense des fortunes pour tenter de le sortir de prison. En 1995, Cheyenne se suicide ; Marlon Brando décide de ne plus revenir en Polynésie.Que faire de Tetiaroa ? Les plus grands hôteliers, intéressés, sont éconduits. Marlon Brando ne fait confiance qu'à Dick Bailey, un Américain lui aussi tombé amoureux de la Polynésie. À chaque séjour à Papeete, Marlon Brando logeait à l'Intercontinental. Philippe Brovelli l'a toujours soigné comme un prince. « Dès les années 1980, Marlon m'a demandé d'étudier le dossier. Sans eau potable, ni électricité, ni possibilité de recyclage des déchets, avec le coût des transports pour emmener les clients, et enfin, la menace des cyclones, aucun modèle économique de développement durable n'était viable. » Les deux hommes s'évertuent à trouver des solutions. Dick Bailey et Philippe Brovelli font des dizaines d'allers et retours à Los Angeles.En 2004, à la mort de la star, la succession entre en scène. Les ex-femmes, les six enfants (sans compter les adoptions), les partenaires financiers et même les conseillers de Michael Jackson (auquel Marlon avait donné 2.000 m2 de l'atoll en usufruit)... la négociation est ardue, mais un accord est conclu. En 2006, le projet de construction est déposé. Mais, la Polynésie, qui ne veut pas être en reste, vit les premiers temps de son autonomie et l'instabilité politique ralentit les initiatives. Défenseurs et détracteurs se déchirent. L'atoll de Tetiaroa possède 36 vestiges archéologiques et les défenseurs de la culture ancestrale s'irritent du projet de complexe hôtelier. En 2009, « La Dépêche de Tahiti » annonce que des pelleteuses attaquent la barrière de corail pour construire un appontement ; les écologistes crient au scandale. Les pêcheurs aussi. Dick Bailey doit convaincre, expliquer, démentir. Plusieurs fois retardé, le projet devrait ouvrir ses portes en 2012.Tetiaroa est un chantier à ciel ouvert. Il suffit de survoler l'atoll pour déceler le moindre écart au contrat. L'hôtel se déploiera sur le motu d'Onetahi. Soit 8 hectares sur 585 de terres émergées. Les autres motus resteront vierges. La réserve aux oiseaux est protégée. Et le classement du lagon est en cours. Les 39 villas (125 m2 chacune), surélevées à cause des cyclones et des risques de tsunami, se déploieront le long de la côte en retrait de la plage ; du lagon on ne verra rien. Chacune verra son intimité protégée par 5.000 m2 de terrain ; les restaurants seront concentrés à l'intérieur du motu (un grand chef parisien devrait officier). Sur la plage, pas d'éclairage pour ne pas perturber la ponte des tortues vertes.Dick Bailey le répète, « à 2.500 dollars la nuit, les clients veulent qu'on fasse tout pour être écologiquement parfait, mais ils n'ont pas envie qu'on les barbe avec le développement durable ». Il le sait aussi, s'il manque à la promesse écologique, le projet sera un fiasco. Avec la villa témoin et le back-office, le troisième bâtiment en cours de construction est une station écologique, la Tetiaroa Society, réservée aux chercheurs environnementaux du monde entier. L'association Te Mana o te Moana pour la défense des tortues vertes, qui a entamé un recensement sur l'atoll, a reçu 100.000 dollars de la succession Brando. Dick Bailey y siège aux côtés du fils de la star Teihotu. Pour l'écolodge, il vise la certification environnementale LEED, la plus exigeante. Le complexe sera 100 % énergie renouvelable, grâce à des panneaux solaires. L'eau potable sera fournie par une station de désalinisation. La climatisation, par l'exploitation de l'eau froide des profondeurs.180 ouvriers sont à pied d'oeuvre. Le groupe hôtelier est déjà le premier employeur privé de Polynésie et Tetiaroa va encore le renforcer. La commune d'Arii, dont dépend l'atoll, soutient le projet. Elle concentre un grand nombre d'entreprises, dont Carrefour, et espère gagner des emplois dans l'aventure. Estimé à 25 millions de dollars en 2006, l'investissement pour la seule construction atteint aujourd'hui le double. L'an prochain, une dizaine de villas seront mises en vente. La liste des privilégiés promet d'être longue. « Revenez et vous verrez ; ici, seuls les bateaux plats seront autorisés à se déplacer dans le lagon, et seuls deux ou trois pâtés de coraux auront été déplacés pour faire passer le tuyau du Swac pour l'air conditionné - un système 100 % écologique qui va puiser l'eau des profondeurs au tombant du récif. » Pas question, contrairement à Bora Bora, de voir la faune et la flore du lagon détruites par les ferries.« Tetiaroa c'est le projet d'une vie. Tout est affaire de compromis, il nous faut mener à bien l'entreprise, tout en protégeant ce paradis au maximum », raconte Dick Bailey. Souhaitons qu'il réussisse.Isabelle Lefort
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