Et si le Japon avait raison ?

 « Austériens de tous les pays: unissez-vous ! » La rengaine des obsessionnels de la rigueur fiscale et budgétaire, volontairement moralisatrice, masquerait-elle les vrais enjeux de l’austérité ? L’aspect expiatoire du sacrifice, la vertu par l’austérité, n’est pas une raison suffisante. Derrière cette lutte menée avec ferveur – et dédain pour ceux qui ne partagent pas leurs positions – les partisans de cette rigueur savent bien que les économies budgétaires et le recul de l’Etat ne feront que distribuer davantage de ressources en leur faveur. Il semblerait bien que la préoccupation fondamentale de ces « austériens » soit de ne pas laisser passer cette crise sans adopter encore et toujours plus de réformes « structurelles ». Autoriser aujourd’hui des mesures de relance de la croissance et desserrer ainsi l’étau insoutenable qui étouffe les populations reviendraient en effet à…gaspiller une bonne crise, et à n’en pas tirer parti du point de vue de la rationalisation, de la dérégulation, comme de l’amélioration de la sacro-saint compétitivité ! A cet égard, pour les défenseurs de l’orthodoxie budgétaire, le cas récent du Japon est l’équivalent de l’Antéchrist. Voilà en effet un pays qui stagne depuis plusieurs décennies : entre une instabilité gouvernementale endémique, la productivité qui s’effondre, les dépenses colossales mais vaines dans de grands travaux publics pour relancer son économie, le traitement moyenâgeux de la femme et une population qui vieillit irrémédiablement, l’implosion n’était plus qu’une question de mois. Avec la crise de 2008, puis le tremblement de terre et le tsunami de 2011 aurait permis de mettre en place de vraies réformes structurelles. Le pays aurait enfin pu réagir en adoptant les bons réflexes au lieu de sempiternellement céder à la facilité en gonflant sa dette publique, pour soulager son économie. Et pourtant, un homme d’Etat volontariste parvient, contre toute attente, à opérer un redressement de cette économie en perdition et à combattre la déflation grâce à… encore plus de stimuli. Un mauvais exemple?« Et pourtant elle tourne », elle fonctionne à merveille cette planche à billets nippone qui, par « Abenomics » interposés, relance les précieuses anticipations inflationnistes. Elle fait enfin baisser la monnaie nationale et propulse une bourse naguère en état de mort cérébrale, au grand dam des austériens qui déplorent que cette reprise économique japonaise ne remette aux calendes grecques la mère des réformes qu’ils appellent de leurs vœux. Pourquoi, en effet, se donner la peine de rationnaliser un système qui redémarre ? Pourquoi ménager l’Espagne, la Grèce ou le Portugal qui saisiront ainsi cette occasion afin de se soustraire aux réformes structurelles jugées vitales par les austériens ? Comment oser préconiser la sortie de l’euro de certains pays qui pourraient s’en sortir par une dévaluation massive de leur monnaie qui leur évitera de passer par la case « crucifixion » ? Le cauchemar absolu pour ces austériens ne serait-il pas que la relance et que les stimulis marchent, après tout ? Selon leur logique imparable, la souffrance et les privations d’aujourd’hui représentent de réelles opportunités d’assainir en profondeur et rien ne serait plus regrettable que de dilapider la chance offerte par cette crise.Leur hantise suprême étant que ces mesures keynésiennes soient bénéfiques : car le néo-libéralisme ne sait ni ne peut prospérer que sur la désolation sociale. Par exemple, ce sont ces mêmes austériens irréductibles qui souhaitent ardemment une envolée des frais de financement de la dette publique française qui forcera ce pays à enfin prendre les bonnes décisions pour l’amélioration de sa compétitivité… Pour ceux qui ne l’auraient pas encore compris, nous nous retrouvons aujourd’hui dans une authentique « stratégie du choc » décrite par Naomi Klein où une infime minorité – ai-je prononcé le terme d’élite ? – exploite les malheurs et profite des désastres afin de renforcer son pouvoir.*Michel Santi est un économiste franco-suisse qui conseille des banques centrales de pays émergents. Il est membre du World Economic Forum, de l\'IFRI et est membre fondateur de l\'O.N.G. « Finance Watch ». Il est aussi l\'auteur de l\'ouvrage \"Splendeurs et misères du libéralisme\"
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